"Mais qui?", "Qui?": ce que signifie ce slogan de certains manifestants anti-pass sanitaire

Le parquet de Metz a annoncé dimanche l'ouverture d'une enquête après le brandissement d'une pancarte antisémite lors d'une manifestation anti-pass sanitaire. Plusieurs associations ont porté plainte, tandis que la manifestante a été interpellée.

"Manifestement antisémite." Le parquet de Metz a ouvert dimanche une enquête de flagrance sur une "pancarte au message manifestement antisémite" brandie au cours d'une manifestation anti-pass sanitaire samedi, enquête qui a mené les enquêteurs à interpeller une manifestante, ce lundi.

Une image unanimement condamnée par les représentants de l'État, du maire de la commune François Grosdidier au préfet de la Moselle jusqu'au ministre de l'Intérieur. Gérald Darmanin, qui a qualifié la pancarte d'"abjecte", a assuré dimanche que "de tels propos ne resteront pas impunis".

"Un vieux procédé de l'extrême-droite"

Mais qu'est-il exactement inscrit sur ces affiches? Déjà, une question, "mais qui?", écrite en rouge avec les cornes du diable. Puis des noms de personnalités: "BHL" pour Bernard-Henri Lévy, "Soros" en référence au milliardaire hongrois George Soros, l'écrivain Jacques Attali... Le nom de Patrick Drahi, président du groupe Altice propriétaire de BFMTV, y est aussi mentionné.

"On retrouve dans cette pancarte cette addition de noms de personnalités juives de fait. Un vieux procédé de l'extrême droite qui, sans le dire le dit et sans accuser les juifs les accuse", explique sur notre antenne Noémie Madar, présidente de l'Union des Etudiants Juifs de France (UEJF).

Des noms de représentants de l'État y figurent aussi: le président Emmanuel Macron, le ministre de la Santé Olivier Véran et sa prédécesseure Agnès Buzyn, même le nom de Laurent Fabius, le président du Conseil constitutionnel y est inscrit. Une liste non-exhaustive s'accompagnant enfin d'un adjectif pour tous les qualifier: "Traîtres."

La question "Mais qui?" a déjà été employée dans d'autres cortèges d'opposants au pass sanitaire. Parfois réduite au simple pronom "Qui?", elle fait référence à une seule et même actualité.

Une interview à l'origine du slogan

Tout part d'une interview télévisée qui s'est tenue le 18 juin sur la chaîne télévisée CNews. Dominique Delawarde, un général à la retraite co-signataire de la "tribune des militaires" parue dans le magazine conservateur Valeurs Actuelles, est alors interrogé par un intervenant. À la question, "qui contrôle la 'meute médiatique?'", posée à plusieurs reprises par le communicant Claude Posternak, l'ancien général rétorque alors que "vous savez bien, regardez qui contrôle la meute médiatique dans le monde et en France".

"Qui contrôle le Washington Post? Qui contrôle le New York Times? Qui contrôle chez nous BFMTV et tous les journaux? Qui sont ces gens? C'est la communauté que vous connaissez bien", a déclaré le général Delawarde, coupé juste après par nos confrères.

Une intervention télévisée qui n'était pas restée sans réponse des autorités, le parquet de Paris ayant ouvert peu après une enquête pour "diffamation publique" et "provocation à la haine et à la violence à raison de l'origine ou de l'appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion". Le général à la retraite est alors accusé d'avoir tenu des propos antisémites.

Un discours de haine qu'il est possible d'observer dans les récentes manifestations anti-pass sanitaire, entachées de messages à caractère antisémite. Du port de l'étoile jaune - symbole de la persécution des juifs pendant la Seconde Guerre mondiale - par certains participants à l'expression "pass nazitaire", la banalisation de l'antisémitisme inquiètent plusieurs associations.

"La question 'Mais qui?' est une question faussement codée qui renvoie à l'accusation du fait que les juifs seraient une communauté malfaisante et à l'origine de tous nos maux", explique sur BFMTV Dominique Sopo, président de SOS Racisme qui voit derrière cette manoeuvre une tentative de l'extrême droite de mener ce nouveau mouvement contestataire. Pour lui, "il n'y a pas de doute sur la signification de cette pancarte".

L'inaction des autres manifestants condamnée par les associations

L'avocat Alain Jakubowicz, ancien président de la Licra, s'interroge sur le lien entre ces propos antisémites et ces manifestations anti-pass sanitaire: "La véritable question qui se pose c'est celle de l'infiltration de ces milieux extrémistes dans ces manifestations." L'interrogation "qui?" ou "mais qui?", plus discrète que les étoiles ou les autres propos antisémites, est devenue, comme le relève nos confrères de Libération, un nouveau slogan suivi par l'extrême droite qui accuse les juifs d'être responsables de la pandémie et de la politique vaccinale.

"Ce 'Mais qui?' a en quelque sorte remplacé l'étoile jaune des dernières semaines", estime Noémie Madar qui déplorent l'inaction des manifestants devant cette pancarte, 'par le laisser-faire, ces manifestants cautionnent ce procédé, ces discours et font en quelque sorte de cette haine antisémite le symbole, l'étendard de ces manifestations."

Une absence de réaction que déplore aussi Simone Rodan-Benzaquen. La directrice de l'American Jewish Committee, invitée sur notre antenne, estime que "s'il n'y a pas une réaction du corps social et de la société, c'est là qu'il faut s'inquiéter". Pour Rudy Reichstadt, politologue et directeur de Conspiracy Watch, "il y a une responsabilité des manifestants et des organisateurs de ces manifestations lorsqu'ils ne disent rien, lorsqu'ils ne dissocient pas et ne désolidarisent pas de ce genre de propos ou lorsqu'ils le minimisent".

En parallèle de l'ouverture de l'enquête du parquet de Metz, la Licra a annoncé son intention de porter plainte, considérant que l'"on est très clairement en présence d'une pancarte à l'antisémitisme assumé".

L'association SOS Racisme a également indiqué "étudier" la possibilité d'une action en justice tandis que l'UEJF s'interroge sur l'éventuel aboutissement de ces poursuites judiciaires: "Nous sommes en concertation avec nos avocats pour voir ce qu'il est possible de faire." La Licra, elle, a annoncé dès dimanche soir se porter en justice.

"C'est un vrai test", estime enfin Patrick Klugman, "si je peux aller dans la rue écrire n'importe quoi sur n'importe qui, mettre en cause des gens, une communauté et en toute impunité, c'est le début du délitement social [...] c'est un test qui est jeté et c'est à la justice d'y répondre."

Article original publié sur BFMTV.com

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