Dans « She Said », le visage d’Harvey Weinstein n’est pas visible et ce n’est pas anodin

(from left) Megan Twohey (Carey Mulligan), Jodi Kantor (Zoe Kazan) and Rebecca Corbett (Patricia Clarkson) in She Said, directed by Maria Schrader.
JoJo Whilden/Universal Pictures (from left) Megan Twohey (Carey Mulligan), Jodi Kantor (Zoe Kazan) and Rebecca Corbett (Patricia Clarkson) in She Said, directed by Maria Schrader.

CINÉMA - She Said n’est pas un film sur l’affaire Harvey Weinstein. Plutôt une ode aux femmes qui ont eu le courage de s’exprimer, et aux journalistes qui ont recueilli leur parole. En salles ce mercredi 23 novembre, le long-métrage porté par les actrices Carey Mulligan (Promising young woman) et Zoe Kazan (The Deuce) revient sur le long travail d’enquête publié dans le New York Times il y a cinq ans, détonateur d’une immense libération de la parole des femmes sur les violences sexuelles ou le sexisme.

« Il s’agissait de rendre hommage et justice à nos sources, ces femmes, véritables rescapées et tous ceux qui ont été assez courageux pour apporter leur témoignage à notre enquête », décrit dans les notes de production la journaliste d’investigation Megan Twohey, qui a accepté que ce pan de sa vie soit adapté au cinéma. Et Jodi Kantor, coautrice de l’enquête originale, de compléter : « Nous pensons vraiment que cette histoire doit appartenir au public, et particulièrement aux femmes du monde entier ».

Au fil des 2h10 du film et à la manière des Hommes du président (1976) sur le scandale du Watergate, ou de Spotlight (2015), qui avait mis les projecteurs sur l’enquête du Boston Globe sur la pédocriminalité dans l’Église catholique, on suit ces deux femmes, journalistes aguerries et jeunes mères, qui pendant de longs mois ont tout fait pour retrouver les (nombreuses) victimes d’Harvey Weinstein, souvent tenues au silence par des accords de confidentialité comportant une clause de non-divulgation. Mais aussi pour confronter ceux qui ont, pendant plusieurs décennies, participé à étouffer les comportements abusifs du producteur hollywoodien.

Quelques plans d’Harvey Weinstein de dos

La mise en scène et l’écriture sont sobres, rythmés par les rencontres souvent intenses entre les journalistes et leurs sources. Et il n’a jamais été question de montrer à l’écran les agressions dont ces femmes ont été victimes. La règle fixée par la réalisatrice Maria Schrader avec les rescapées était la suivante : chaque agression serait décrite par la personne qui l’avait vécue, avec ses propres mots. « Il était hors de question d’ajouter une énième scène de viol au cinéma, il y en a déjà bien assez eu comme cela », précise-t-elle. Et surtout, la volonté était aussi de limiter autant que possible la présence d’Harvey Weinstein (et de Mike Houston qui l’incarne) à l’écran.

Si le film monte en intensité jusqu’au face-à-face final entre les journalistes du New York Times et Harvey Weinstein et ses avocats, juste avant la publication de l’article, les seules images que l’on verra de lui sont quelques courts plans de dos. « Notre propos était le livre et la vie des journalistes. C’est leur point de vue, leur expérience, et le témoignage de celles qui ont osé témoigner que nous avons suivi. On voit à peine Harvey Weinstein à l’écran, mais sa présence se fait réellement sentir, et ce sont ses méfaits qui jalonnent le film, assure la cinéaste. Je pense que c’est comme ça que Megan et Jodi l’ont ressenti pendant leur enquête. Elles n’ont pas eu tellement de contact avec lui, non plus. »

Quand le courage fait éclater la vérité

Le film s’arrête le 5 octobre 2017, lorsque Megan Twohey et Jodi Kantor, épaulés de toute leur rédaction, ont publié les 3 300 mots de leur investigation sous le titre Harvey Weinstein paye des dessous-de-table pour étouffer des affaires de harcèlement sexuel depuis des décennies. La suite de l’histoire, on la connaît : Harvey Weinstein a été licencié trois jours après par la Weinstein Company, avant que la justice new yorkaise n’ouvre une enquête pour viols et abus sexuels quelques mois plus tard.

L’ancien magnat de Hollywood âgé de 70 ans - qui avait produit Pulp Fiction, Gangs of New York, la trilogie Le Seigneur des anneaux et beaucoup d’autres - a depuis été reconnu coupable et condamné à 23 ans de prison. Tandis qu’un deuxième procès s’est ouvert cet automne à Los Angeles où il fait face à 11 chefs d’accusation. En tout, plus de 80 femmes ont témoigné contre Harvey Weinstein à la suite de la publication de l’enquête du New York Times.

Le long métrage permet certes une « dénonciation des failles d’un système qui a toléré le harcèlement et l’abus sexuel, et lui ont permis de perdurer pendant tant d’années ». Mais la journaliste Megan Twohey fait avant tout le vœu que She Said soit « une démonstration de la manière dont le courage de ceux qui s’engagent à faire éclater la vérité peut amener d’incroyables changements ».

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