"Le seul crime d'être une femme": des Afghanes protestent contre une nouvelle loi des talibans

Une nouvelle loi des talibans interdit aux femmes de faire entendre leur voix en public et rappelle leur obligation de sortir totalement couverte. L'ONU la qualifie d'"intolérable" et demande son abrogation.

"La voix d'une femme est son identité, pas quelque chose qui devrait être caché". C'est ce que chante une jeune femme afghane, Taiba Sulaimani, devant son miroir dans une vidéo postée sur X ce mardi 27 août. Comme d'autres Afghanes, à l'intérieur du pays ou à l'étranger, elle proteste en ligne contre une nouvelle loi promulguée par les talibans fin juillet mais dont l'annonce n'a été faite que le mercredi 21 août.

Cette nouvelle législation de 35 articles porte un nouveau coup de massue aux droits des femmes, déjà piétinés depuis le retour au pouvoir des talibans en 2021. Un article de cette loi prévoit que les femmes doivent être entièrement couvertes, une mesure en soi déjà ordonnée depuis 2022 lorsque le voile intégral a été imposé.

La nouvelle loi visant à "promouvoir la vertu et prévenir le vice" dispose aussi que les femmes ne peuvent chanter ou réciter des vers à haute voix en public ni laisser leur voix passer les murs de leur maison.

"Lorsqu'une femme adulte doit quitter sa maison par nécessité, il lui est demandé de couvrir son visage, son corps et sa voix", prévoit la loi en utilisant le terme de droit islamique "'awra" désignant les parties du corps humain à cacher.

Plus globalement, cette loi contrôle tous les aspects de la vie des Afghans, de l'habillement aux interactions sociales, dont la tenue et la longueur de la barbe des hommes, l'interdiction de l'homosexualité, des combats d'animaux, de la musique dans les lieux publics, et des congés autres que ceux du calendrier religieux musulman.

Les femmes et les hommes n'ont pas le droit de regarder des membres du sexe opposé autres que des parents proches et les chauffeurs de taxi de transporter des femmes voyageant sans "mahram" (chaperon, un homme de leur famille).

"Lorsque je vois les talibans récités des poèmes à la télé ou dans tout autre programme, cela me met en colère. S'ils font quelque chose, c'est bien pour eux, mais si nous voulons faire la même chose, ils ne nous laisseront pas faire", déplore une Afghane qui témoigne anonymement au micro de BFMTV.

Des groupes de militantes ont posté des vidéos dans lesquelles on les voit le poing levé ou déchirant des photos du chef suprême des talibans, l'émir Hibatullah Akhundzada, qui règne sur l'Afghanistan par décrets de son fief de Kandahar (sud).

"La voix d'une femme, c'est la voix de la justice", scande un groupe de militantes dans une autre vidéo.

Dans une autre vidéo, qui aurait été filmée en Afghanistan, une femme chante vêtue de noir des pieds à la tête, un long voile couvrant son visage.

"Vous m'avez réduite au silence pour les années à venir", lance-t-elle, "vous m'avez emprisonnée chez moi pour le seul crime d'être une femme".

L'Organisation des Nations unies a appelé à l'abrogation de cette loi, la qualifiant de "totalement intolérable".

Celle-ci "renforce les politiques qui effacent complètement la présence des femmes dans l'espace public, réduisant leur voix au silence et les privant de leur autonomie individuelle, tentant ainsi de les réduire à l'état d'ombres sans visage et sans voix", a lancé la porte-parole du Haut-commissariat des Nations unies aux droits de l'homme, Ravina Shamdasani.

L'ONU s'est également déclarée préoccupée par les restrictions imposées aux libertés religieuses et à la liberté de la presse dans la loi, qui stipule que les médias ne doivent pas publier "de contenus hostiles à la charia et à la religion" ou "qui montrent des êtres vivants".

Cependant, l'ONU juge positifs les articles interdisant les mauvais traitements envers les orphelins et le "bacha bazi", ou "jeu de garçon", dans lequel des hommes plus âgés forcent les garçons à se déguiser en filles et les exploitent sexuellement.

Les autorités talibanes ont quant à elles affirmé lundi que la nouvelle loi serait appliquée "avec ménagement", sans recours à la force et à l'oppression. Des sanctions allant de l'avertissement à l'emprisonnement sont toutefois prévues en cas de non-respect.

Pour le principal porte-parole du gouvernement taliban, Zabihullah Mujahid, les critiques contre cette loi sont les révélateurs d'une "arrogance" et d'une mauvaise compréhension de la charia.

Article original publié sur BFMTV.com