"On s'est endettés à mort": comment Philippe Lacheau a réalisé "Babysitting", son premier succès

C'est l'histoire du pire babysitting de l'histoire, devenu l'acte fondateur de la bande la plus bankable du cinéma français contemporain. Course poursuite façon Mario Kart, visage fouetté par le fessier d'une danseuse brésilienne, perroquet tué par un ventilateur... Sorti il y a dix ans, Babysitting, le premier film de Philippe Lacheau, est désormais une œuvre culte.

Tout commence en 2010. Philippe Lacheau a 30 ans. Avec ses acolytes Tarek Boudali et Julien Arruti, il forme "La Bande à Fifi" et rêve de se lancer dans le cinéma. Entre deux apparitions sur Fun TV et dans Le Grand Journal sur Canal+, ils ont écrit un premier scénario, une parodie de Titanic intitulée Le Petit navire. Mais le projet, trop coûteux, est resté à quai.

Un autre projet, un pastiche de Mission Impossible baptisé Vivre c'est mieux que mourir, capote lui aussi. "Heureusement que ça ne s'est pas fait! Sinon on n'aurait jamais refait de cinéma!", s'amuse aujourd'hui Philippe Lacheau. Le producteur Ariel Zeitoun, qui chapeaute ce projet, lui apprend les rudiments du métier de scénariste et lui offre un rôle dans une de ses productions, L’Arnacœur.

Pour accéder à son rêve, Philippe Lacheau a une idée: faire le film "le moins cher possible". Il s'inspire du Projet Blair Witch et de Paranormal Activity, classiques du "found footage", des films d'horreur tournés à bas coûts, de manière pseudo-amateur et en plans séquences pour maximiser l'effroi.

"Un axe de comédie génial"

Son idée - dont il est "très fier" - est de mêler les images retrouvées aux réactions des personnages à ces séquences. "Ça nous donnait un axe de comédie génial", commente Philippe Lacheau. Fort de ce concept inédit en France, il écrit rapidement une histoire. "Un concept, tu sens qu'il est fort si les idées, tu les tires facilement. C'est ce qui s'est passé."

L'idée séduit Gaumont. Un producteur bien installé lui fait écrire plusieurs versions afin de présenter à Sidonie Dumas, la patronne de Gaumont, un scénario parfait. "Elle ne lit qu'une fois", lui souffle son interlocuteur. "Donc je réécris", se souvient Philippe Lacheau, qui multiplie alors les piges à la radio pour subvenir à ses besoins et écrit "5 pages par soir, en heures sup'".

Au bout de plusieurs mois, le développement lambine et le réalisateur en herbe s'impatiente. "J'avais besoin de sous et je voyais que je ne me sortais pas trop de cette affaire." Il décide alors d'envoyer son scénario à tous les producteurs de France. Mais là aussi, les déconvenues se poursuivent. "On pense qu'il y a de la maltraitance sur les enfants, on n’y croit pas", lui répond un producteur.

Au cours de l'hiver 2011, Lacheau trouve son sauveur en la personne de Marc Fiszman, qui vient de lancer sa société de production, et de Christophe Cervoni, le producteur du teen movie Mes copines, le premier film de Léa Seydoux. "Il accepte de me signer. Que dalle, mais il accepte de me signer. Même si j’ai l’impression qu'il n’a pas produit grand-chose, c’est ça ou rien", glisse le réalisateur.

Inspiré par Pierre Richard

Philippe Lacheau consacre l'année 2012 à peaufiner son scénario. "Ce qui fait la qualité de Babysitting, c'est qu'il y a eu une maturation très longue", salue Christophe Cervoni. Assez proche du rendu final, ce premier scénario témoignait de l'inexpérience de son auteur, sourit Marc Fiszman: "Il y avait marqué 'en fait' à chaque début de réplique. Quand on les a supprimés, il y avait dix pages en moins."

Dans les bureaux de la production, il fait très froid. "On n'avait pas de quoi les chauffer", assure Christophe Cervoni. "Philippe venait et se mettait entre deux radiateurs avec ses moon boots. Il écrivait avec ses gants." "C’était vraiment des bureaux pourris. Je n'osais même pas m'asseoir sur le canapé tellement il y avait de taches. Je pense qu’il y avait des rats", s'amuse de son côté Philippe Lacheau.

En mars, le réalisateur se rend au cinéma voir Projet X, comédie américaine filmée en found footage ("enregistrement trouvé") sur une fête qui dégénère. La bande-annonce, qu'il a découvert en novembre 2011 sur Allociné, l'a beaucoup inquiété. "Je me suis dit que mon film était mort." Il détecte "trois-quatre gags" similaires et modifie son scénario pour éviter toute comparaison.

"On a moins axé sur le bordel et on a retravaillé la fin pour que ça soit plus sympa", commente Christophe Cervoni. "On ne pouvait pas rivaliser avec le lance-flamme de Project X. Il a fallu davantage raconter une histoire. On s'est inspiré du Jouet (de Francis Veber avec Pierre Richard, NDLR) pour donner une vraie épaisseur à la relation entre le père, l'enfant et le baby-sitter."

Tarek Boudali et Julien Arruti contribuent aussi à l'écriture. "Julien a apporté un côté un peu lunaire, quasi poétique", précise Christophe Cervoni. "Tarek a amené deux-trois idées qui m'ont traumatisé à l’époque (dont) la scène où je dois l'embrasser dans le noir", poursuit Philippe Lacheau, qui se souvient d'avoir dû tourner en dix prises cette séquence. "Je n'ai pas du tout aimé."

"Endettés à mort"

Financer le film n'est pas aisé. Personne ne veut de ce projet sans star. Et le procédé effraie. "Beaucoup de financiers nous demandaient comment on allait faire les gags en plan séquence. Normalement, la comédie repose sur du montage, des champs/contrechamps, des réactions", concède Philippe Lacheau. "Finalement, Projet X m'a rendu service. Comme le film a cartonné, ça a servi d'exemple."

De Canal+ à Mars Films, tous les distributeurs passent leur tour. "A notre grand étonnement, ce sont les filiales de boîtes américaines, Warner et Universal, qui finançaient très peu de films français, qui se sont montrées intéressées", se souvient Christophe Cervoni. Les gags inspirés par Mary à tout prix font mouche. "Les Français ne comprenaient pas leur humour. Les Américains direct ont compris."

C'est Universal qui remporte la mise. Un accord se noue entre les producteurs et le DG de la filiale française, Stéphane Huart, un dimanche matin dans un marché parisien. "À la lecture du scénario, on a eu un très grand coup de foudre", confirme ce dernier. "C'était vraiment ce qu'on avait lu de mieux depuis de nombreuses années. Ce qui nous a beaucoup plu, c'est l'universalité de l'idée."

Universal est leur seul soutien. "Ils ont pris un risque important", souligne Christophe Cervoni. Universal apporte 2 millions d'euros tandis que les deux producteurs font "tapis avec (leurs) sociétés respectives" pour boucler le budget de 3,4 millions d'euros. "On y croyait à mort. On avait zéro argent. On s'est endettés à mort. Si le film ne marchait pas, nos sociétés explosaient."

Jonathan Cohen refuse

Philippe Lacheau est accompagné derrière la caméra par Nicolas Benamou, caméraman des 11 commandements dont le premier film en tant que réalisateur, De l'huile sur le feu, avait été produit par Christophe Cervoni. "On savait que Nicolas apporterait son savoir-faire et une dynamique qui nous a rassuré", commente Stéphane Huart.

La présence d'un distributeur américain permet aussi à Philippe Lacheau de décrocher le rôle principal de son film. "Pour Universal, le concept était plus fort que les comédiens", raconte Christophe Cervoni. Lorsque Canal+ avait manifesté son intérêt, le studio avait posé comme condition d'avoir une tête d'affiche dans le rôle principal. Contactés, Jonathan Cohen et Max Boublil avaient tous les deux refusé.

Philippe Lacheau peut aussi compter sur le soutien de Gérard Jugnot. Séduit par le scénario, il accepte sans hésiter de participer à l'aventure. "Il est venu sans loge, sans rien, pour un prix dérisoire", salue Christophe Cervoni. "La problématique du film, c'est qu'on n'avait pas d'argent et il nous fallait un acteur établi disponible au mois d'août, qui ne prenait pas de vacances. C'était une équation quasi impossible."

Illusion du désordre

Le tournage se déroule dans une certaine insouciance, captée dans un making of signé Ladj Ly, le futur réalisateur césarisé des Misérables. L'ambiance est aussi studieuse: constitué principalement de plans séquences, avec beaucoup de comédiens et de nombreuses cascades, le film nécessite beaucoup de préparation pour donner une illusion de désordre.

"Tout a été très compliqué à caler", confirme Christophe Cervoni. "Surtout qu'on n'avait pas les moyens d'allonger le tournage. Il fallait absolument que ça rentre à la fin de la journée." "On a répété pendant des jours certains plans", renchérit Nicolas Benamou. "Les régleurs des cascades se sont dit qu’ils n’y arriveraient jamais." L'absence d'argent incite à la débrouille.

"J'ai fait le choix de n'utiliser qu'une seule caméra dont je modifiais la taille du capteur pour donner l’illusion d’une caméra amateur", détaille le chef opérateur Antoine Marteau. "On a mis au point un système de petite minette éclairante sur la caméra pour augmenter le niveau de lumière en se déplaçant. Ça a permis de réduire le nombre de jours et de tenir le budget."

Pour "donner de l'ampleur aux images", les producteurs acceptent aussi de doubler le budget alloué au son. "On avait très peur, comme on a tourné avec 2 euros, que ça n'ait pas trop d'impact", souligne Christophe Cervoni. À l'exception des dialogues, tout le son du "found footage" a été refait "pour rendre le résultat plus jouissif", se souvient Frédéric Le Louet, responsable du son des films de Philippe Lacheau.

"Ils m'ont donné carte blanche pour y aller à fond et créer un son immersif", renchérit le technicien. "Tous les cris ont été changés. On a fait très attention à la diction. Avec le son, on crée du rythme. Ce n'est pas un son de remplissage, mais un son narratif qui aide la comédie. Il ne faut pas que le spectateur s'en rende compte." "Pour faire croire que c'est amateur, c'est beaucoup de travail", résume le réalisateur.

"Touché par la grâce"

Choisir des comédiens novices était risqué. Mais Christophe Cervoni n'a jamais douté: "Philippe, depuis qu'il est enfant, fait des films, des gags, des spectacles. Il avait tellement réfléchi à ce qu'était l'humour, à la façon de filmer l'humour, qu'il avait déjà beaucoup d'expériences." "Philippe a très vite compris comment tout fonctionnait", confirme Antoine Marteau. "Il a tout absorbé très vite."

Dès les premiers jours, Christophe Cervoni sent que le projet est sur de bons rails. "J'ai vu qu'il se passait quelque chose. Je me souviens du soulagement. Le film a été touché par la grâce. Il y avait une envie, une énergie folle. Philippe faisait tellement bien ses têtes de victimes! Il pourrait jouer le dandy, et qu'il accepte à ce point d’être ridicule pour faire rire tout le monde, c'était fabuleux."

Les producteurs sont si confiants qu'ils ajoutent à la fin du film la mention "à suivre..." "Personne ne savait que ça serait un succès", modère Nicolas Benamou. "On se demandait ce que ça allait donner. Il y avait toute une grammaire visuelle à inventer pour pouvoir coordonner le filmage classique et le 'found footage'. Ça a été une vraie réflexion au montage. Quand j'avais les mains dedans, je me grattais la tête."

Au cours de la postproduction, le film est testé auprès du public qui confirme les intuitions des producteurs. "On a dû remixer certaines parties du film car les gens rigolaient tellement fort et tellement longtemps qu'ils n'entendaient pas la vanne d'après", révèle Frédéric Le Louet. "Le but, c'était de faire plaisir au public."

Changement de stratégie

Babysitting est présenté fin janvier au festival de la comédie de l'Alpe d'Huez. "J'étais terrorisé", se souvient Philippe Lacheau. "J'étais à côté de Gérard Jugnot qui n'avait jamais vu le film. Quand le film a commencé, je me suis enfoncé dans ma chaise. Puis j'ai entendu les gens rire, et je me suis redressé." "Tu m'as ringardisé en 1h30", écrit Michaël Youn à Nicolas Benamou après l'avant-première.

À l'Alpe d'Huez, Babysitting reçoit deux prix dont celui du public. Enthousiasmé par le résultat, Universal décide de "changer de braquet" et de sortir la comédie en grande pompe, dans 350 copies. Le studio imagine aussi une bande-annonce particulièrement efficace, rythmée sur le tube de Macklemore Can't Hold Us. "Ça envoyait. C'était vraiment l'énergie du film, ce morceau", commente Philippe Lacheau.

En salles le 16 avril, Babysitting attire 2,3 millions d'entrées. Un score d'autant plus impressionnant qu'il résiste à l'autre succès surprise du moment, sorti le même jour: Qu'est-ce qu'on a fait au bon Dieu? Universal, qui avait été prévenu du potentiel raz de marée de la comédie de Christian Clavier, avait maintenu Babysitting à cette date.

Renouveau de la comédie

Philippe Lacheau, qui visait les 500.000 entrées "grand max", se souvient de son angoisse en découvrant le score de son concurrent: "Comme Le Bon Dieu faisait des chiffres de ouf, on s'est dit que ça ne marchait pas. Quand ils font 200.000 le premier jour, nous on fait 50.000. On s'est dit qu'on faisait un bide! Le distributeur nous a dit que ce n'était pas un bide, que c'était très bien et qu'eux, c'était exceptionnel!"

"Quand Babysitting est sorti, ça a donné un grand coup pied à l’ancienne génération. C'était le renouveau de la comédie", s'enflamme Christophe Cervoni. Babysitting décroche aussi la palme du film le plus rentable, avec près de 600% de rentabilité. Ils ont essayé d'exporter le concept. "Des droits de remake ont été vendus dans certains territoires", note Stéphane Huart.

Babysitting est depuis devenu incontournable. Les enfants, en particulier, en raffolent. "On ne s'y attendait pas. Notre cible était les gens de notre âge", commente Philippe Lacheau. "Si j'avais su ça, on aurait mis moins de grossièretés dans les dialogues. Parfois, ça me pique les oreilles. Julien (Arruti) est papa. Il a montré pour la première fois à sa fille et il y a plusieurs scènes où il n'était pas à l’aise."

Quelques mois après la sortie de Babysitting, une suite est tournée au Brésil. "On l'a financé sur 4 pages", se félicite Christophe Cervoni. "On l'a écrit, préparé et tourné là-bas." La bande, qui bouillonne d'idées, achève cette suite en quelques mois à peine. En salles en décembre 2015, c'est un autre succès. La "bande à Fifi" est définitivement lancée.

Article original publié sur BFMTV.com