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Comment les agriculteurs survivent-ils malgré la sécheresse ?

Pour la quatrième année consécutive, les agriculteurs doivent composer avec la sécheresse.
Pour la quatrième année consécutive, les agriculteurs doivent composer avec la sécheresse.

Pour la quatrième année consécutive, les agriculteurs font face à une sécheresse qui menace les cultures. Les tentatives sont nombreuses pour lutter contre ce phénomène et s’en sortir malgré tout.

Côté sécheresse, en France, chaque année semble pire que la précédente. Ce mois de juillet 2020 devrait d’ailleurs figurer “au premier rang des mois de juillet les plus secs” depuis 1959, a récemment annoncé Météo France. Des conditions climatiques extrêmes qui touchent particulièrement les agriculteurs.

Les cultures de printemps en danger

“Depuis mars, on n’a quasiment pas eu d’eau”, constate Damien Brunelle, agriculteur dans l’Aisne et vice-président de la Coordination Rurale. Même s’il rappelle que, depuis quelque temps, il y a “chaque année des à-coups climatiques”, celui-ci est particulièrement marqué.

Conséquence, les cultures de printemps risquent d’être très décevantes. “On est très inquiets pour les légumes qui n’ont pas encore été récoltés”, avoue-t-il. Et, du côté de ce qui a déjà été récupéré, comme le lin, les féveroles ou l’orge, c’est “catastrophique”. Alors, Damien Brunelle guette chaque jour la météo. “S’il pouvait pleuvoir, on pourrait encore rattraper le coup... Mais ce n’est pas prévu”, regrette-t-il.

Lui peut au moins compter sur un sol formé de limon argileux qui, “de part sa composition, retient assez bien l’eau”. D’autres n’ont pas cette chance, et dans certaines régions où la sécheresse sévit plus encore, les chiffres font frémir. “Dans le Centre, les agriculteurs sont à seulement 50% de leur rendement habituel”, nous décrit le vice-président de la Coordination Rurale.

Les aléas climatiques de plus en plus sévères

Bien sûr, les aléas météorologiques font “partie du métier”, reconnaît Damien Brunelle. Mais l’évolution du climat qu’il constate rend la situation de plus en plus difficile. “En 2016, on a eu un excès d’humidité, et depuis, on fait face chaque année à un excès de sécheresse”, rappelle-t-il.

Même constat alarmant chez Sylvain Ratheau, paysan dans la Nièvre et porte-parole de la Confédération paysanne de son département. “C’est la deuxième année de suite que le cours d’eau donnant sur ma ferme s’arrête en juillet, alors que les deux seules fois où s’est arrivé auparavant, c’était en 1973 et en 2003”, relate-t-il.

Il doit d’ores et déjà nourrir ses vaches tous les jours, alors qu’elles peuvent normalement paître jusqu’à novembre. En d’autres terme, “ça veut dire qu’on s’attaque dès maintenant aux stocks hivernaux”, nous explique l’agriculteur.

“On tâtonne, on essaie plein de choses”

Alors, il faut trouver des solutions. “On tâtonne, on essaie plein de choses”, décrit Damien Brunelle. Lui pratique une agriculture de conservation des sols, dont le but est de “faire remonter le taux de matière organique”. “Quand on travaille le sol, on casse les molécules de carbone qui s’y trouvent, ce qui entraîne un relâchement de CO2. À l’inverse, moins on travaille le sol, plus le carbone présent naturellement y reste, et plus les matières organiques auront un rôle d’éponge”, nous explique l’exploitant picard.

Dans cette logique, l’agriculteur sème du seigle en automne. Il l’utilise ensuite comme un paillage permettant de retenir l’eau et d’empêcher les mauvaises herbes de pousser, pour recouvrir les potimarrons qu’il installe en avril. Sauf que cette année, la pluie s’est faite tellement rare depuis le mois de mars que le seigle a pompé toute l’eau du sol, empêchant les cucurbitacées de pousser correctement. Tous les essais ne sont pas concluants.

Autre possibilité, éviter de mettre tous ses oeufs dans le même panier en alternant cultures d’hiver et cultures de printemps. Ce qui permet, généralement, de pouvoir sauver au moins l’une des deux. C’est par exemple ce qui aidera, pour cette année, Damien Brunelle. “On a eu une très bonne récolte de céréales, parce qu’on a semé à l’automne et qu’il y a eu beaucoup de pluie, ce qui a permis aux cultures de bien s’enraciner”, témoigne-t-il.

Choisir des plantes mieux adaptées

Dans la Nièvre, Sylvain Ratheau a trouvé un arrangement avec ses voisins céréaliers. “Ils cultivent de la luzerne pour nourrir mes bêtes, et en échange, je leur donne du fumier lorsqu’ils n’ont plus d’engrais”. Un échange de bons procédés qui évite l’importation, mais qui n’empêchera pas certains paysans de connaître de “très grosses difficultés”.

Il évoque aussi d’autres solutions, notamment la réduction de la production de plantes d’export, très gourmandes en eau, comme le maïs, et l’abandon de l’agriculture industrielle et intensive. Et, incite plutôt à se tourner vers des plantes à forte valeur ajoutée et mieux adaptées au climat, comme “la luzerne ou le sorgho”.

L’irrigation, efficace mais controversée

Une autre méthode a déjà fait ses preuves : l’irrigation. Voilà plus de 25 ans que Joël Limouzin, agriculteur en Vendée et membre du bureau de la FNSEA chargé du dossier respect climatique et sanitaire, a investi. Et il ne l’a jamais regretté. Dans son groupement agricole d’exploitation en commun, Joël Limouzin et cinq autres agriculteurs élèvent des vaches charolaises et laitières, ainsi que des truies et des porcs, et produisent l’intégralité des fourrages et céréales nécessaires à nourrir les bêtes.

Ils ont fait construire deux retenues collinaires leur permettant de stocker 170 000 m3 d’eau. Mais cette méthode a un coût - 5 à 7 euros du mètre cube au moment d’investir, nous confie Joël Limouzin - et de nombreux détracteurs du côté des associations de défense de l’environnement.

Pour autant, elle est souvent nécessaire. Depuis son installation sur l’exploitation, il ne s’est pas passé une année sans que Joël Limouzin ne se serve de l’eau de pluie ou issue du ruissellement récoltée pendant l’hiver. “Ça nous permet d’avoir des récoltes satisfaisantes”, témoigne l’agriculteur. Mais ça ne balaye pas toutes les inquiétudes pour autant. “Les plantes n’aiment pas les épisodes caniculaires, lors desquels l’évaporation est très importante, jusqu’à 8 ou 9 millimètres”, témoigne-t-il.

Pour lui, c’est clair, “on a une vraie responsabilité à stocker de l’eau lorsqu’il en tombe”. D’autant que, depuis quelques années, il remarque que les épisodes pluvieux sont plus intenses et les périodes de sécheresse plus longues.

“On aimerait que l’État soit plus conciliant”

“Même dans des régions comme les Hauts-de-France, beaucoup d’agriculteurs se demandent s’ils ne devraient pas installer un système d’irrigation, c’est une forme d’assurance”, avance de son côté Damien Brunelle. Mais outre le coût, les autorisations pour faire des retenues d’eau sont très difficiles à obtenir. “On aimerait que l’État soit plus conciliant”, plaide l’agriculteur de l’Aisne. Un avis partagé par le Vendéens Joël Limouzin. “Ce qu’on demande, c’est que la réglementation nous lâche un peu et nous laisse la possibilité de faire du stockage d’eau”, réclame-t-il, défendant en parallèle l’importance de “respecter les cours d’eau et les milieux”.

Face à la sécheresse de cet été, le gouvernement a pour l’instant pris une mesure forte : la possibilité, depuis le 31 juillet, d’utiliser les surfaces en jachères pour faire pâturer leurs troupeaux ou faucher pour produire du fourrage. Une solution qui aurait été utile... deux mois plus tôt. “C’est beaucoup trop tard”, estime Sylvain Ratheau, puisque l’herbe des jachères est déjà desséchée. “Il n’y a plus aucune valeur alimentaire, les bêtes ne vont même pas en vouloir !”, ajoute de son côté Joël Limouzin.

Si certaines mesures d’urgences pourraient être prises, comme “interdire le broyage des pailles et fixer les prix pour éviter qu’ils s’envolent”, la vraie solution pour Sylvain Ratheau seraient “d’agir véritablement pour le climat et d’éviter le réchauffement”. “Quand on évoquait le sujet, il y a 10 ans, on nous riait au nez. Aujourd’hui, on paie les conséquences”, constate-t-il, amer. Une situation qui risque, en tout cas, de ne pas s’améliorer les prochaines semaines.

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