Scream-Jaradin: la lame de l'amoureux éconduit

Les scellés exposés au premier jour du procès de Thierry Jaradin, en 2003. - BENOIT DOPPAGNE / BELGA / AFP
Les scellés exposés au premier jour du procès de Thierry Jaradin, en 2003. - BENOIT DOPPAGNE / BELGA / AFP

Visage blanc fantomatique, cape noire spectrale et lame tranchante ensanglantée. Ghostface, le personnage de la saga d’épouvante culte Scream, a terrorisé des salles de cinéma entières. Mais en 2001, la fiction de Wes Craven a basculé dans le réel et l’effroi s’est répandu en Belgique.
Le premier volet de la série, sorti en 1996, s’ouvre sur le célèbre gimmick du bourreau: "Quel est ton film d’horreur préféré?". Au bout du téléphone, Casey Becker - interprétée par Drew Barrymore - s'apprête à regarder un "Slasher-movie" seule dans une grande maison bourgeoise de Woodsboro, une ville fictive de Californie. Halloween, Les griffes de la nuit... Elle ergote sur les thrillers les plus angoissants avec un mystérieux inconnu. Mais la conversation téléphonique, un temps amusante, devient vite oppressante pour Casey qui préfère couper court.

Ghostface apparaît alors à l'écran, sa lame aiguisée brandie au bout de ses mains gantées. S'ensuivent de longues minutes d'une course-poursuite effrénée dans la maison, rythmées par des effets sonores à faire sursauter les plus téméraires. Dans la pénombre du jardin, le masque blanc fend le brouillard et se jette sur sa victime poignardée à mort, avant de poursuivre sa funeste échapée sur les autres protagonistes pendant l'heure et demie suivante.

La frustration de l'amoureux transi

Films à succès ayant récemment inspiré une série télévisée, les Scream et leur costume emblématique ont marqué toute une génération, allant jusqu’à inonder les rues et les soirées déguisées pour les fêtes de Halloween. Mais le 9 novembre 2001, le scénario a fait un pas vers le réel, sous l'œuvre macabre de son copycat, Thierry Jaradin.

A 24 ans, le jeune homme timide est amoureux d'une adolescente qui habite à deux numéros de chez lui, à Gerpinnes, en Belgique. Allison Cambier a 15 ans, elle est pétillante. Entre ses amis, les baby-sitting et l'équitation, elle passe des heures à regarder des films, comme Thierry Jaradin.

Ce soir d'automne, il appelle l'adolescente et lui demande de lui rendre des cassettes qu'il lui a prêtées. Rechignant légèrement, elle sort de chez elle, parcourt quelques mètres et sonne à la porte de l'amoureux transi qui compte lui avouer ses sentiments. Il espère être aimé en retour mais Allison Cambier est à mille lieux d'imaginer une histoire avec Thierry Jaradin, de neuf ans son aîné. Econduit, frustré, il se retire dans la salle de bains et en ressort quelques minutes plus tard affublé du masque blanc et de la robe noire de Ghostface, deux couteaux attachés à la ceinture.

"Allison n'a pas eu peur car elle connaissait le film, ils en parlaient ensemble. Il l'a lardée de plus de trente coups de couteau", raconte à BFMTV.com Martine Michel, la juge qui a instruit l'affaire à l'époque.

"L'effroi est total"

Quand elle arrive sur la scène de crime, la magistrate est tétanisée par ce qu'elle voit. Allison est allongée sur le lit, une rose dans les mains, "il lui a fermé les yeux et a laissé des traces de sang sur ses paupières". A côté, un gyrophare bleu est actionné sur la table de nuit "en référence à une scène du film", nous explique Martine Michel. Thierry Jaradin a également craqué une allumette pour signifier "la fin du voyage" de la jeune fille qui était surnommée ainsi.

Lui n'est plus là, mais il est rapidement interpellé dans un hôpital dans lequel il s'est rendu après s'être blessé en attaquant sa victime. Dans sa voiture, les policiers retrouvent le costume dans lequel il a commis son crime.

"L'effroi est total, il est recouvert de sang...", se souvient la juge d'instruction.

Les enquêteurs mettent également la main sur un carnet dans lequel l'homme a détaillé son dessein meurtrier. "Il a écrit que si Allison refusait de l'épouser, il enfilerait ce costume acheté spécialement pour la tuer. Pour lui, le fait de se masquer lui permettait de ne pas faire face directement à Allison. Elle ne voyait pas son visage au moment du meurtre, donc elle ne pouvait pas l'y associer et lui en vouloir. Il a eu une sorte de dédoublement de la personnalité", développe Martine Michel.

"La médiatisation du crime, et plus encore sa magnification par le roman et le cinéma, peuvent susciter des carrières criminelles", analyse l'écrivain et historien Bruno Fuligni, auteur de Dans les secrets de la police, entre autres.

Personnalité vulnérable

La frontière entre la fiction et le réel peut être brouillée par le visionnage de séries et de films, ajoute Jacqueline B. Helfgott, directrice du centre de recherches sur la justice et le crime de l'Université de Seattle, interrogée par BFMTV.com. Pour cette spécialiste, qui caractérise les copycat comme des "hommes vulnérables pouvant souffrir de troubles de la personnalité", "n’importe qui peut lire un livre, regarder un film et en tirer une idée".

"On se dit dans le cas d’un criminel, qu’il aurait basculé de toute façon avec ou sans ça."

Après un tel crime, Martine Michel s'attendait à faire face à un "monstre". Lors des interrogatoires qu'elle a conduits, elle s'est retrouvée confrontée à un homme "qui ne correspondait pas du tout à l'horreur de la scène. Il était très poli, très introverti", décrit la magistrate qui reste déboussolée, près de 20 ans après le meurtre. "C'était un type sans histoire, le monsieur-tout-le-monde", avec un passé familial toutefois douloureux, délaissé par une mère alcoolique et un père absent, incapable d'accepter un nouvel abandon.

Thierry Jaradin a été condamné en 2003 à la réclusion criminelle à perpétuité. Malgré les excuses et les regrets qu'il a exprimés, l'homme a traumatisé toute une famille et marqué les esprits par le mimétisme de ce qui devait se limiter à effrayer les cinéphiles à la recherche de frissons. Il n'est toutefois pas le seul à avoir enfilé le masque pour commettre ses méfaits. Dans le monde, plusieurs agressions de ce type sont recensées, avec parfois, la mort au bout du couteau.

Article original publié sur BFMTV.com