Schizophrénie : une nouvelle cible thérapeutique pour certains symptômes méconnus
Peut-être avez-vous déjà vu circuler sur les réseaux sociaux le hashtag #Schizo ? Ce diminutif du mot schizophrène est généralement utilisé pour qualifier une personne d’insensée, la stigmatiser ou l’insulter. Cet usage inapproprié, totalement déconnecté des réalités de la maladie, n’est pas anodin : il engendre une souffrance chez les 1 % de Français souffrant de la maladie et chez leurs proches.
Une situation qui concerne plus de 600 000 individus en France, et près de 64 millions dans le monde. La schizophrénie se déclare le plus souvent dès l’adolescence, typiquement entre 15 et 25 ans, phase particulièrement intense de maturation du cerveau durant laquelle les neurones des différentes régions cérébrales se réorganisent.
Mal connue du grand public, cette maladie chronique se caractérise par divers symptômes. Si certains d’entre eux peuvent être efficacement pris en charge grâce à des médicaments, d’autres, qui affectent gravement la qualité de vie des patients, sont moins bien diagnostiqués et moins bien soignés, faute de traitements.
Dans ce contexte, nous nous sommes intéressés au rôle joué par une protéine baptisée Asc-1, située dans la membrane de certains neurones. En effet, des résultats antérieurs suggéraient que cette protéine mal connue pourrait constituer une cible thérapeutique intéressante. Nos travaux appuient cette hypothèse, et pourraient ouvrir la voie à la mise au point de nouveaux médicaments. Explications.
Des symptômes qui restent méconnus
Hallucinations, idées délirantes, perception perturbée de la réalité… Les symptômes les plus visibles de la schizophrénie, qui sont aussi les plus utilisés pour diagnostiquer la maladie, sont des symptômes dits productifs (aussi appelés symptômes « positifs », car ils ne sont pas observés chez les personnes en bonne santé, mais viennent « s’ajouter » aux fonctions mentales habituelles)
Pour problématiques qu’ils soient, ces symptômes sont bien connus, et peuvent être pris en charge de façon assez efficace, par des traitements à base d’antipsychotiques.
Ce n’est pas le cas des symptômes dits « négatifs » (ou « déficitaires ») de la maladie. Ces derniers, qui se traduisent par des capacités de communication altérées, un manque de motivation et une tendance à l’isolement, sont moins bien diagnostiqués et pris en charge que les symptômes positifs. Ils affectent pourtant très sérieusement la qualité de vie de nombreux patients.
On considère en effet que plus de la moitié des patients souffrant de schizophrénie chronique présentent au moins un symptôme négatif significatif.
Aujourd’hui, grâce à la mise au point de traitements de plus en plus performants, les patients peuvent bénéficier d’une rémission durable, mais aucune thérapie ne peut guérir la pathologie.
Afin d’élargir l’arsenal thérapeutique potentiel, nous nous sommes intéressés au fonctionnement des synapses, les jonctions entre les neurones, afin de mieux comprendre les mécanismes chimiques qui s’y opèrent et permettent la transmission de l’information d’un neurone à l’autre.
Des cibles thérapeutiques situées à la jonction des neurones
L’espace situé entre deux neurones est loin d’être vide : il contient de nombreuses protéines, dont certaines sont spécialisées dans le transport des molécules qui contribuent à transmettre des informations d’un neurone à l’autre (ces molécules sont très logiquement appelées des « neurotransmetteurs »).
Schématiquement, des neurotransmetteurs libérés par un premier neurone dans l’espace situé au niveau de la jonction avec son « voisin » vont être captés par ce dernier grâce à des récepteurs spécifiques desdits neurotransmetteurs. Cet événement va à son tour entraîner des modifications dans le comportement du second neurone.
Au cours de nos travaux, nous nous sommes particulièrement intéressés à une protéine appelée Asc-1, ainsi qu’à des récepteurs spécifiques, les récepteurs NMDA.
Ces récepteurs sont impliqués dans les processus d’apprentissage et de mémoire, et leur déficience a été associée à de nombreux symptômes chez les patients schizophrènes. La protéine Asc-1, quant à elle, a pour rôle d’assurer le transport de certains composés chimiques indispensables au bon fonctionnement des récepteurs NMDA.
Parmi ces composés figure la D-Sérine, un acide aminé (les acides aminés sont les « briques » qui constituent les protéines ; ils se trouvent également à l’état libre dans l’organisme). Cette molécule suscite un intérêt particulier dans le cadre de la schizophrénie. En effet, des travaux menés sur des modèles animaux ont montré qu’une déficience de production de D-Sérine se traduit par le développement d’anomalies de structure cérébrale semblables à celles observées chez les patients souffrant de la maladie. Les troubles qui en résultent disparaissent cependant lorsqu’on administre aux animaux un traitement contenant de la D-Sérine.
D’autres études, menées cette fois chez les malades atteints de schizophrénie, ont aussi révélé que ceux de leurs neurones dont la membrane comporte des récepteurs NMDA sont particulièrement touchés en cas de déficit en D-Sérine. Celui-ci se traduit par un défaut d’activité de ces neurones et par leur atrophie progressive.
Or, cette atrophie est corrélée à la présence des symptômes négatifs et aux troubles cognitifs de la schizophrénie. En outre, des résultats obtenus suite à des essais cliniques ont montré que les traitements à base notamment de D-Sérine permettent d’améliorer la mémoire et de réduire les symptômes de la maladie.
Étant donné que la D-Sérine est transportée à l’intérieur des neurones par la protéine Asc-1, cette dernière pourrait donc constituer une cible thérapeutique.
Réguler le trafic du tunnel Asc-1
Asc-1 fonctionne comme un tunnel à double sens. Située dans la paroi des neurones, elle permet aux acides aminés de se diriger vers les récepteurs NMDA, et d’en repartir.
Si nous parvenions à favoriser le sens des arrivées au détriment de celui des départs, nous pourrions envisager de réguler le trafic dans un sens plus favorable à l’acheminement la D-Sérine vers les récepteurs NMDA défectueux. Et, ainsi, espérer que l’augmentation de concentration qui résulterait de son accumulation ait un impact positif sur les troubles cognitifs des patients.
Pour vérifier la viabilité de cette approche, la première étape est de comprendre le plus finement possible comment fonctionne Asc-1 : quelles parties de la protéine sont importantes pour son fonctionnement, comment des modifications peuvent l’impacter ? etc.
Mais ce n’est pas une mince affaire. Pour comprendre le défi que cela représente, il faut savoir que la fonction des protéines est intimement liée à leur structure dans l’espace (structure tridimensionnelle, ou 3D). Ladite structure dépend de l’enchaînement des acides aminés qui constituent la protéine considérée (autrement dit, sa séquence). Cet enchaînement influe en effet sur la façon dont la protéine va se replier, et donc sur son architecture finale.
Pour pouvoir étudier la structure 3D d’une protéine, et donc savoir quelle partie est importante pour une fonction donnée, comme le transport de composés dans le cas d’Asc-1, il faut passer par une étape consistant à la cristalliser (plusieurs méthodes existent pour y parvenir, en recourant notamment à divers solvants).
Cependant les protéines situées dans les membranes, comme Asc-1, sont très difficilement cristallisables. Impossible donc d’étudier leur structure de cette façon. Heureusement, de nos jours, l’informatique peut nous aider à pallier ce genre de problème.
Asc-1, Lego et dessins animés
Pour déterminer la structure d’Asc-1 et comprendre comment cette protéine se comporte, nous avons procédé par étapes. Nous avons tout d’abord identifié, dans les bases de données de protéines existantes, des protéines appartenant à la même famille qu’Asc-1, mais dont la structure était connue.
La séquence de ces protéines étant par endroit très proche de celle de la séquence d’Asc-1, nous avons supposé que certaines parties de leurs structures se ressemblaient fortement aussi. En effet, on sait que les parties de protéines qui possèdent une grande similarité de séquence ont des chances de se replier de la même façon. C’est un fait scientifiquement bien établi.
Nous avons ainsi pu « approximer » la structure de la protéine Asc-1 grâce à des logiciels de modélisation moléculaire. Pour prendre une métaphore dans le monde des jouets, tout s’est passé comme si nous avions prélevé, sur plusieurs modèles de Lego relativement similaires, diverses parties de structure, puis que nous les avions utilisées pour construire un modèle « cousin », proche, mais pas tout à fait identique.
Nous avons de cette façon obtenu une structure 3D « virtuelle » de protéine Asc-1. Ou plutôt, trois structures.
En effet, pour nous aider à décrire comment Asc-1 transporte la D-Sérine, nous avons construit 3 modèles différents : le premier représente la protéine ouverte, prête à accueillir un acide aminé (1). Le second la montre fermée, l’acide aminé étant piégé dans une poche (2). Enfin, le troisième modèle illustre le moment où Asc-1 est prête à larguer l’acide aminé dans la synapse (3) :
Ces modèles statiques représentent les états intermédiaires qu’adopte la protéine Asc-1 lors de son fonctionnement. Nous avons ensuite pu les utiliser pour produire une animation de la protéine en train de transporter les acides aminés, en extrapolant, grâce à un logiciel, les transitions les plus probables entre ces trois formes ; un peu comme les animateurs de dessins animés s’appuient sur des « dessins-clés » pour guider l’animation globale.
Vers de nouvelles pistes thérapeutiques
Tout ceci nous a permis, dans une ultime étape, de tester (toujours virtuellement) différentes molécules susceptibles de modifier le fonctionnement d’Asc-1. Nous avons ainsi pu identifier une molécule capable de bloquer l’absorption de la D-Sérine, mais pas son efflux. Mieux, nous avons identifié avec quelle partie d’Asc-1 cette molécule interagit, ce qui permet d’envisager la mise au point de médicaments capables de produire le même effet.
Actuellement, des essais cliniques de phase III (donc chez l’être humain) sont menés sur une autre protéine transporteuse qui permet de faire affluer de la glycine, un acide aminé important lui aussi pour le fonctionnement des synapses des neurones NMDA. Ces essais visent à confirmer que l’Iclepertin, un médicament prescrit initialement pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, peut avoir des effets bénéfiques sur les capacités cognitives et fonctionnelles des patients atteints de schizophrénie.
Nos résultats pourraient ouvrir une seconde voie de recherche, dans le même esprit. Et, nous l’espérons, aboutir demain à la découverte de nouveaux traitements médicamenteux permettant de mieux prendre en charge les symptômes négatifs dont souffrent les personnes schizophrènes.
Des symptômes qui, il est important de le rappeler, sont avant tout dangereux pour les personnes atteintes par la maladie plutôt que pour leur entourage, contrairement à ce que bon nombre d’idées reçues qui circulent sur la schizophrénie…
La version originale de cet article a été publiée sur La Conversation, un site d'actualités à but non lucratif dédié au partage d'idées entre experts universitaires et grand public.
Lire la suite: