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Sandrine Rousseau et Julien Bayou: une relation sous haute tension depuis des années

Sandrine Rousseau et Julien Bayou le 4 octobre 2022 à l'Assemblée nationale  - Christophe ARCHAMBAULT / AFP
Sandrine Rousseau et Julien Bayou le 4 octobre 2022 à l'Assemblée nationale - Christophe ARCHAMBAULT / AFP

Julien Bayou s'est voulu très direct. "Elle est allée trop loin et tout le monde le mesure", a avancé l'écologiste dans les colonnes du Monde mardi matin, en visant Sandrine Rousseau. La contre-attaque cherche à discréditer l'écoféministe qui, une dizaine de jours plus tôt, évoquait à la télévision des "comportements" de son collègue à l'Assemblée "de nature à briser la santé morale des femmes". La députée était alors interrogée sur le signalement de son ex ancienne compagne.

Depuis, l'ancien numéro un du parti s'est mis en retrait de la co-présidence du groupe à l'Assemblée nationale et a démissionné de ses fonctions au sein du mouvement. Cette séquence arrive après des années de tensions larvées entre les deux.

Rupture sous Manuel Valls

Les mots se veulent encore plus forts sur le plateau de France 5 où il s'exprime quelques heures plus tard- le même endroit que celui où Sandrine Rousseau a évoqué son cas.

"Pour moi, il ne faut pas confondre féminisme et maccarthysme", assène-t-il alors dans une comparaison historique lourde de sens.

Ses propos, très durs, ont tout d'un point d'orgue d'une relation conflictuelle depuis presque 10 ans. Tous deux porte-paroles du mouvement à la fin des années 2010, ils se divisent publiquement lors de l'arrivée de Manuel Valls à Matignon, à coup de communiqués de presse.

Manifestations et thèse

Alors que Julien Bayou plaide pour le départ de Cécile Duflot, alors ministre du Logement, Sandrine Rousseau, qui partage son avis et le dit dans une tribune, pousse officiellement pour son maintien. Les parlementaires écologistes veulent à l'époque donner une chance à la proposition du Premier ministre de leur accorder un grand ministère de l'Environnement.

"L'un était pour une certaine pureté idéologique. L'autre assumait de faire un certain entrisme pour faire avancer nos sujets. Ça laisse un peu songeur avec le recul", explique un ancien élu Europe Écologie-Les Verts auprès de BFMTV.com.

Au-delà des différences politiques, leurs parcours s'opposent sur le papier. Julien Bayou est arrivé à l'écologie par la mise en scène d'action coup de poing. Du collectif Générations précaires en 2005 qui dénonçait les conditions de travail des stagiaires, à Jeudi noir dans lequel il squatte de très beaux appartements vides en passant par Sauvons les riches, le jeune homme se fait une place dans la machine EELV.

Deux jeunes ambitieux

Sandrine Rousseau, elle, vient du monde universitaire. Elle a planché sur une thèse sur la rente environnementale avant d'enseigner à Lille-1 et d'adhérer aux Verts au début des années 2000. Son éducation politique se fait par Rachel Carson et son livre Printemps silencieux, qui a lancé le mouvement écologiste aux États-Unis.

"On a beaucoup parlé de l'activiste Julien Bayou et de la professeur Sandrine Rousseau. Peut-être bien, mais très vite, ils sont montés en responsabilité et ont compris chacun comment la machine fonctionnait", avance Émile Meunier, conseiller EELV de Paris.

L'une part, l'autre reste et grimpe

De quoi aiguiser leurs appétits respectifs. Ils arrivent tous deux à se faire élire conseillers régionaux, en Île-de-France et dans les Hauts-de-France. Sandrine Rousseau essuie cependant un vrai échec: elle réunit moins de 5% des voix aux régionales en 2015. Leur stratégie politique commence alors à diverger. Là où Julien Bayou accepte les seconds rôles, la féministe veut se faire élire sur son nom.

Un an plus tard, elle croise le fer avec David Cormand pour prendre la tête du parti. C'est lui qui l'emporte et Julien Bayou se met dans sa roue. La défaite est d'autant plus dure à encaisser que l'élue a révélé 3 semaines plus tôt avoir été agressée par le député EELV Denis Baupin.

Un an après, l'universitaire quitte le parti tandis que son ancien collègue continue son ascension en interne, jusqu'à prendre la tête du parti en 2018. De quoi laisser des traces entre ces deux figures du mouvement.

"À un moment, Sandrine a jugé qu'elle était allée au bout de ce que le parti pouvait lui offrir. Julien, lui, ne s'est jamais imaginé en dehors", décrypte une parlementaire écologiste.

Une primaire sous haute tension

En 2021, l'écoféministe décide de reprendre sa carte au parti pour candidater à la primaire interne des écologistes en vue de la présidentielle.

Très vite, les tensions reviennent au galop. Sandrine Rousseau juge que Julien Bayou soutient en sous-main Éric Piolle, le maire de Grenoble, alors qu'il est officiellement neutre de par son statut de numéro 1 un du parti. En pleine journée d'été du parti, à quelques semaines du vote des militants et des sympathisants, Sandrine Rousseau accuse l'édile de l'avoir bousculé.

Le patron du parti répond deux jours plus tard, dans une lettre au conseil fédéral, affirmant avoir "mené une enquête" qui "conclut à l'innocence d'Éric Piolle". La scène est restée vive dans les mémoires, y compris dans le camp de l'eurodéputé Yannick Jadot.

"Nous, on essayait de faire campagne en restant un peu au-dessus de cette affaire. Julien Bayou a été très dur à ce moment-là dans une ambiance de campagne très intense", reconnaît l'un des lieutenants du futur vainqueur de la primaire.

Exclue et recadrée

L'écoféministe perd finalement de peu le second tour de la primaire face au député européen. Dans un premier temps, Sandrine Rousseau élude son soutien au vainqueur, l'appelant à se "saisir du mouvement qu'il y a derrière elle".

"Ça fait un peu mauvaise perdante", répond alors devant des journalistes Julien Bayou.

Quelques mois plus tard, alors que la greffe entre Yannick Jadot et elle ne prend toujours pas, elle est finalement exclue de la campagne après avoir jugé que le candidat à la présidentielle "vendait des chaudières".

"Nos grands stratèges politiques sont juste nuls. Je deviens folle. Ils se plantent sur tout. C'est un gâchis", avance-t-elle encore lors d'un déjeuner avec des journalistes, visant, sans le nommer, Julien Bayou.

Bras de fer lors des législatives

"Qu’elle laisse les personnes qui veulent faire progresser l’écologie faire campagne", répond-il quelques heures plus tard sur BFMTV.

Le faible score de Yannick Jadot à la présidentielle semble donner raison à Sandrine Rousseau mais n'empêche pas le parti de lui en vouloir.

"Elle a eu le sentiment que quelque chose ne fonctionnait pas dans notre candidature. Il y a toujours un entourage, une direction qui veut protéger le candidat, parfois maladroitement", décrypte Nour Durand-Rauche, vice-président des Écologistes de Paris.

Faut-il y voir une mesure de rétorsion? En pleine négociation avec la France insoumise en vue des législatives, Sandrine Rousseau fait savoir que son nom n'apparaît pas dans les candidatures retenues pour la capitale. À la place, c'est celui de Claire Monod, une militante de Générations, le mouvement lancé par Benoît Hamon, qui était sur la même liste aux régionales en Île-de-France en 2021 que Julien Bayou.

"Les phases de négociation sont toujours du bluff. Il n'a jamais été question qu'elle ne soit pas présente sur les listes", assure cependant l'un des négociateurs écologistes.

Un congrès symbolique

Sandrine Rousseau finit officiellement par décrocher son investiture et se fait élire à l'Assemblée nationale, avec 22 autres députés, dont le patron des écologistes. Bon gré, mal gré, l'attelage tient, alors que le parti peine à trouver ses marques dans l'hémicycle, après 5 ans sans aucun député.

Jusqu'à un tweet: celui de Relève féministe. Si Julien Bayou avait évoqué dans les colonnes du Figaro en juillet un signalement de son ex-compagne, c'est ce collectif qui interpelle publiquement Europe Écologie-Les Verts sur le manque de réaction supposée du parti. Sur le plateau de C à vous, interpellée sur ce cas, Sandrine Rousseau répond.

Si l'écoféministe n'a pas repris publiquement la parole depuis que Julien Bayou est sorti de son silence, elle a déjà donné le ton.

"Je ne regrette rien", a-t-elle déclaré à France 3.

Soucieuse de ne pas envenimer la situation, elle n'a pas repris la parole depuis. De quoi conclure leur relation politique? À priori, non. La prochaine étape devrait être le congrès interne des écologistes qui verra s'opposer Mélissa Camara, une proche de Sandrine Rousseau, et Marine Tondelier, une intime de Julien Bayou.

Article original publié sur BFMTV.com