Sénégal: de la prison requise contre des sages-femmes dans le procès de l’affaire «Astou Sokhna»
Six sages-femmes sont devant la justice depuis jeudi 5 mai à Louga au Sénégal dans l’affaire « Astou Sokhna », du nom de cette femme enceinte de 9 mois décédée en couches à l’hôpital de Louga. Les professionnelles sont inculpées pour « non-assistance à personne en danger », avec la famille de la défunte dénonçant des négligences du personnel de la maternité. Mais pour la défense, ces poursuites sont injustes. Le procureur a toutefois requis la relaxe pour deux des sages-femmes, et la peine d’un an de prison dont un mois ferme pour les quatre autres.
Avec notre envoyée spéciale à Louga, Charlotte Idrac
La salle d’audience était comble pour l’ouverture de l’audience dès 9h (TU), beaucoup de personnes devant rester debout pour y assister.
D’abord tour à tour, les six sages-femmes, avec les cheveux entourés de foulards colorés, ont été interrogées par le président du tribunal et les nombreux avocats : « À quelle fréquence avez-vous surveillé Astou Sokhna après son admission à la maternité ? » ; « Saviez-vous que la patiente avait des antécédents et que c’était une grossesse à risque ? » ; « Saviez-vous qu’une césarienne était programmée le lendemain ? ». Soit des questions qui peuvent être résumées par « avez-vous fait ce qu’il fallait ? »
Aucune ne reconnaît la non-assistance à personne en danger, elles assurent que le protocole a été respecté et qu’au moment de leur visite, Astou Sokhna « n’était pas dans un état inquiétant ».
Du côté des parties civiles, le mari de la victime a évoqué l’indifférence, voire les propos malveillants des sages-femmes à l’endroit de son épouse. La mère d’Astou Sokhna, quelque peu floue, mais combative, a aussi pointé du doigt les sages-femmes, au sens figuré comme au sens propre.
Un an de prison dont un mois ferme : le procureur a demandé une application « bienveillante » de la loi. Après les plaidoiries de la partie civile, les avocats du mari et de la mère d’Astou Sokhna, qui au contraire ont demandé un jugement « pour l’exemple ».
Astou Sokhna souffrait de douleurs terribles, puis des difficultés respiratoires et personne n’est venu la voir entre 17h et 22h. « Hippocrate n’est pas hypocrite », a lancé l'un des avocats des plaignants en référence au serment des soignants pour protéger les patients.
« Les propos dégradants dans les maternités du Sénégal, ça suffit », a renchéri un autre avocat des parties civiles, qui a appelé les sages-femmes du pays à faire leur introspection « pour changer leur comportement et faire preuve d’humanisme ».
Un système de santé « malade »
« Injuste » pour les soutiens des prévenues. « Il n’y a pas de décès évitable », a répondu l'avocat de la défense : « les sages-femmes ont fait tout ce qu’elles pouvaient, tout ce qu’elles devaient faire », dit-il. Astou Sokhna a été admise, elle a été examinée, le protocole a été suivi, mais les sages-femmes n’ont pas les moyens de travailler dans de bonnes conditions », poursuit l’avocat qui parle d’un système de santé « malade » et qui appelle à « ne pas céder à la vindicte populaire ».
C’est aussi ce que se disent les représentants des syndicats de la santé, qui se sont mobilisés aujourd’hui à Louga pour marquer leur solidarité avec leurs collègues. Ils insistent sur les conditions difficiles de travail des sages-femmes, qui se sont mobilisées dans le calme aux abords du Palais de justice. Ce dernier est sous haute surveillance policière
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