Sécheresse, moyens, "culture de l'évacuation": pourquoi la Grèce a des difficultés pour contenir les feux
Le maire de la ville de Marathon a parlé d'une "catastrophe biblique". La Grèce continue ce mardi 13 août, pour le troisième jour consécutif, à lutter contre un incendie dans la banlieue nord-est d'Athènes, où l'aide européenne doit commencer à affluer pour endiguer des ravages qui sidèrent le pays et soumettent le gouvernement à de virulentes critiques.
Au moins une personne est morte calcinée et plus de 60 personnes sont soignées pour des blessures, dont deux pompiers. Alimenté par des vents violents, le pire incendie de forêt de l'année en Grèce s'est propagé sur un territoire asséché, forçant des milliers de personnes à fuir leur domicile et semant la destruction dans les environs de la capitale. Depuis plusieurs années, le pays connaît, à l'été, des incendies d'ampleur à répétition.
Cocktail explosif dû au réchauffement climatique
En cause d'abord: le dérèglement climatique. Ce mardi, la température devrait avoisiner les 39°C à Athènes, avec des vents de 39 km/h, a indiqué l'Observatoire national de Grèce, dont le siège est lui-même menacé par l'incendie et qui avait déclaré ce lundi qu'au moins 10.000 hectares avaient été dévastés par le feu.
La Grèce subit depuis deux mois une intense canicule -quasiment tout le bassin méditerranéen a surchauffé-, avec le mois de juillet le plus chaud jamais enregistré avec 2,5°C au-dessus des moyennes. L'hiver dernier a également été le plus chaud depuis 60 ans.
En outre, de forts vents continentaux, et donc très secs, soufflent sur le pays. Et quand ce cocktail arrive sur une végétation particulièrement sèche, éprouvée par plus de trois années de sécheresse, cela crée des conditions propices au développement des incendies. Depuis le début de l'année, il n'est tombé que 82mm de pluie à Athènes, soit l'équivalent de ce qui est tombé rien que cet été à Paris.
Les scientifiques avertissent que les émissions de combustibles fossiles d'origine humaine aggravent la durée, la fréquence et l'intensité des vagues de chaleur dans le monde entier. Selon le Giec, la hausse des températures entraîne un allongement de la saison des feux de forêt et une augmentation de la superficie brûlée par les flammes dans le monde entier.
Les pouvoirs publics sous le feu des critiques
Le gouvernement conservateur impute également les incendies à la crise climatique. Mais si les feux de forêt sont effectivement "plus forts" ces dernières années en raison du changement climatique, "cela ne peut pas servir de justification", confie à l'AFP l'universitaire Alexandros Dimatrakopoulos, qui rappelle que 10% des zones boisées du pays ont été brûlées entre 2007 et 2023.
"Trop c'est trop", tonne le quotidien centriste Ta Nea, journal le plus vendu du pays, tandis que le journal libéral Kathimerini estime que ce feu "hors de contrôle" laissait "une destruction immense et des questions qui attendent toujours réponse".
Beaucoup d'autres médias dépeignent un "cauchemar", y compris le journal pro-gouvernemental Eleftheros Typos, et le quotidien de gauche Efsyn, en référence au bâtiment abritant le bureau du Premier ministre, lance pour sa part: "Évacuez le palais Maxímou".
Comme l'an dernier, des critiques s'élèvent à propos d'une impréparation des pouvoirs publics. Plutôt que d'axer sa politique sur la prévention, le gouvernement a développé une "culture de l'évacuation", déplorent de nombreux Grecs.
"Chaque année, nous payons environ 240 millions pour la protection des forêts. Parmi ceux-ci, environ 80% vont à l'extinction et seulement 20% à la prévention", informe le journal de gauche I Avgi.
Besoin de prévention
Malgré l'intervention de centaines de pompiers, de dizaines de camions de pompiers et de canadairs, le feu a progressé ce lundi sur le mont Pentelikon, qui domine la capitale, et s'est abattu sur des banlieues où vivent des dizaines de milliers d'habitants.
"Les services de secours et de lutte contre les incendies en Grèce sont très performants et particulièrement bien formés avec des années de pratique là-dessus", affirme à BFMTV Jean-Baptiste Filippi, chercheur au CNRS au laboratoire Sciences pour l'environnement et pompier.
"Le problème est que la Grèce est de plus en plus inflammable à cause du dérèglement climatique", concède-t-il d'abord.
Ensuite, le spécialiste pointe également un manque de gestion du couvert forestier dans le pays. "Étrangement, il y a plus de forêts maintenant que dans les années 1990", affirme-t-il.
Cela est notamment dû au départ d'habitants, d'agriculteurs et d'éleveurs des régions forestières, qui permettaient d'entretenir les zones boisées. "Mais maintenant ce n'est plus le cas, les forêts se sont développées de manière incontrôlée depuis vingt ans en Grèce", expliquait l'été dernier au Monde Nikos Georgiadis, coordinateur du programme terrestre du Fonds mondial pour la nature (WWF) en Grèce. "Le feu n'a nulle part ou s'arrêter une fois qu'il démarre", explique Jean-Baptiste Filippi.
Autre exemple selon Greenpeace Grèce, dans des forêts qui ont brûlées en 2022, les troncs d'arbres calcinés n'ont toujours pas été dégagés.
Un manque de moyens?
Un premier contingent de 91 sapeurs-sauveteurs de la sécurité civile est parti de Brignoles (Var, sud-est) à bord de plusieurs véhicules de lutte contre les incendies à l'aube ce mardi matin pour la Grèce.
Ils font partie des quelque 180 sapeurs-pompiers et sapeurs-sauveteurs mais aussi 55 camions envoyés en renfort, dans le cadre d'un mécanisme de protection civile de l'Union européenne créé en 2001, déploiement annoncé ce lundi par le ministre démissionnaire de l'Intérieur Gérald Darmanin.
"Ils reçoivent des renforts de la France mais on a aussi reçu des renforts de la Grèce, ils sont bien équipés", confie Jean-Baptiste Filippi.
De nombreux Grecs déplorent néanmoins un manque de personnel et d'équipements adéquats. Dans le Le Monde, Nikos Barlagiannis, secouriste de la Croix-Rouge, estime que "les moyens pour les pompiers restent insuffisants. Sur le terrain, ils sont exténués et dépassés. Il faut avoir un plan d’envergure pour faire face au changement climatique".
Des forêts résilientes face au changement climatique
Que faut-il faire pour contenir ces feux, avant qu'ils ne soient si extrêmes qu'ils deviennent impossibles à maîtriser? "Il faut développer de nouvelles stratégies face au changement climatique", plaide Jean-Baptiste Filippi.
Il explique ainsi qu'il faut "planter des espèces qui vont moins propager le feu". Il s'agit, effectivement, de bâtir une forêt résiliente, notamment en diversifiant les espèces, en évitant, par exemple, comme en Gironde, les monocultures de pins maritimes, trop vulnérables face aux flammes. Après un incendie, il est également nécessaire de laisser une forêt se régénérer naturellement pour la rendre plus résiliente.
Jean-Baptiste Filippi estime qu'il faut également "aménager des zones sans végétation", notamment en réimplantant de l'agriculture, "pour fabriquer des zones tampon" et stopper l'avancée des flammes.
"Sur le long terme, il faut inventer des paysages qui soient moins propices à la propagation des incendies en particulier en bordure de forêt", conclut-il.
En Grèce, les soldats du feu et les autorités font aussi face à un autre problème de taille: la topologie. Les zones en proie aux flammes sont souvent difficiles d'accès, notamment sur la myriade d'îles parfois très éloignées qui compose le pays.