Riad Sattouf remporte le Grand Prix du festival de la BD d'Angoulême
Souvent accusé de célébrer la BD indépendante ou confidentielle, le festival d'Angoulême a consacré ce mercredi soir l'auteur le plus populaire du moment. Riad Sattouf, connu principalement pour ses sagas L'Arabe du futur et Les Cahiers d'Esther, a ce mercredi remporté le Grand Prix d'Angoulême, la récompense suprême du 9e Art. Finaliste face à Alison Bechdel et Catherine Meurisse, il succède à Julie Doucet.
À Angoulême, ce dessinateur aura raflé l'essentiel des prix au cours de sa carrière. Prix René-Goscinny il y a pile vingt ans pour Les Pauvres Aventures de Jérémie, il a depuis décroché à deux reprises le Fauve d'or, qui récompense le meilleur album (Pascal Brutal en 2010 et L'Arabe du futur en 2015). Cette prodigieuse ascension fera l'objet d’une exposition l'année prochaine, comme le veut la tradition du festival.
Le choix de Riad Sattouf ne devrait pas manquer de faire réagir dans un contexte de forte grogne du secteur envers le festival d'Angoulême. Alors que l'absence répétée de Grands Prix féminins (seulement quatre en 50 éditions) et d'expositions consacrées à des autrices (une seule cette année) accentue les rancœurs, ce nouveau coup de projecteur sur un auteur risque de diviser un peu plus un secteur déjà assez désuni.
Un moment décisif
Le Grand Prix intervient surtout pour Riad Sattouf à un moment décisif de sa carrière. L'ultime tome de L'Arabe du futur, bouleversant récit de sa séparation avec son frère, cadet enlevé par leur père syrien, vient de paraître. Le dessinateur a aussi publié Le Jeune acteur, hilarante évocation du parcours de Vincent Lacoste, dont le succès considérable a conforté la place de Riad Sattouf parmi les figures majeures de la BD.
Le Grand Prix vient également saluer un auteur dont la renommée dépasse le milieu de la BD. Également réalisateur (il a reçu le César du meilleur premier film pour Les Beaux gosses et prépare un film avec Les Inconnus), Riad Sattouf est aussi une figure intellectuelle, l'un des rares auteurs de BD dont le regard sur l'actualité compte. En 2017, il a ainsi été l'un des premiers artistes français à appeler à faire barrage à Marine Le Pen.
Découvrir sa place
Connu pour son style en apparence simpliste, qui s'inscrit dans la tradition de la ligne claire d'Hergé, Riad Sattouf est un surdoué du dessin, capable de basculer dans l'ultra-réalisme comme de privilégier le minimalisme, comme son idole Mœbius. Collaborateur de Charlie Hebdo et Fluide Glacial, il a développé en contraste avec sa ligne claire un sens de l'humour potache et provocateur tout en autodérision.
La découverte à la fin des années 1990 d’une nouvelle génération de dessinateurs a joué un rôle décisif dans sa formation. Marqué par Livret de phamille de Jean-Christophe Menu, il comprend alors la possibilité de raconter des histoires intimes d’une manière différente. La lecture de Pierre La Police, maître de l’humour absurde, est aussi une révélation, tout comme sa rencontre avec Émile Bravo, lui aussi un adepte de la ligne claire pour raconter des récits sombres.
Lorsque Riad Sattouf s’installe aux débuts des années 2000 dans l'atelier des Vosges, à Paris, où travaillent Christophe Blain, Mathieu Sapin et Joann Sfar, il apprend à trouver sa place dans la BD. Blain cartonne alors avec la BD historique (Isaac le pirate), Sfar avec l'heroic fantasy et les contes mythologiques (Donjon) et Sapin avec la comédie surréaliste (Supermurgeman). Il s'oriente vers les récits intimes pour se démarquer.
Une œuvre cohérente
Au cours de ces années-là, le dessinateur bâtit album après album une œuvre cohérente marquée par une observation fine des troubles de l'adolescence. Ses histoires sont le plus souvent des récits initiatiques, inspirés de sa propre vie (Ma Circoncision, L'Arabe du futur), de celle de ses proches (Les Cahiers d'Esther, Le Jeune acteur) et d'observations obtenues sur le terrain (La Vie secrète des jeunes).
Son œuvre est peuplée de personnages marquants comme Pascal Brutal, héros machiste et bodybuildé qui apparaît dans quatre albums cultes parus entre 2006 et 2014. Fasciné par le comique d’observation de l’humoriste Jerry Seinfeld, et sa capacité à trouver de l’extraordinaire dans l’insignifiant, il imagine en hommage Les Pauvres aventures de Jérémie (2003-2005).
Le succès phénoménal rencontré à partir de 2015 avec L'Arabe du futur a un peu occulté ces premières œuvres, qui devraient être redécouvertes grâce au Grand Prix. Riad Sattouf lui-même, qui a lancé dernièrement sa propre maison d'édition, Les Livres du Futur, a de grands projets et prévoit notamment de rééditer ses premiers travaux, dont Pipit Farlouse (2004-2006), une de ses œuvres favorites.
Échecs et critiques
Comme tout artiste à succès, Sattouf a aussi connu de cuisants échecs, comme celui de son film Jacky au royaume des filles (2014). Un de ses livres, Ma Circoncision (2004), sur sa circoncision à l'adolescence, a failli être interdit par la commission de surveillance et de contrôle des publications destinées aux enfants. Il l’a depuis fait retirer de la vente pour éviter de parasiter L'Arabe du futur, où il raconte la même histoire.
Souvent salué par la presse et le public, son travail d'observation ne fait toutefois pas toujours l'unanimité. Son regard ironique et détaché sur le monde, qui a pu être perçu comme méprisant, lui a souvent été reproché. Des planches de Retour au collège (2007), récit immersif du dessinateur dans l'un des meilleurs collèges de France, qui montre son personnage fantasmer sur des collégiennes, ont aussi fait débat.
Maître des récits d'inspiration autobiographique, Riad Sattouf n'a pas encore montré toute l'étendue de sa palette d'artiste. Le dessinateur n'a jamais publié d'histoires de science-fiction, un genre qu'il apprécie pourtant tout particulièrement. Pour l’heure, ses projets n'ont pas abouti et il a trouvé en attendant des moyens détournés pour l'aborder en observant notre monde comme un être venu d’une autre dimension.