"Ce serait la fin du quinquennat": l'exécutif craint de perdre la bataille de l'opinion sur les retraites

Les semaines défilent et l'opposition des Français à la réforme des retraites est de plus en plus claire. Le 11 janvier, 59% d'entre eux se prononçaient contre le texte du gouvernement selon un sondage Elabe pour BFMTV. Une semaine après, ce rejet augmentait pour atteindre 66% des interrogés, avant de finalement passer à 72% ce mercredi. Pas de doutes: le pouvoir est en train de perdre la bataille de l'opinion.

Avec un symbole lourd de sens: même une majorité de retraités, seule catégorie socioprofessionnelle favorable au projet de l'exécutif jusqu'ici, est désormais opposée à la réforme des retraites. Plus exactement, on en dénombre 59%, soit une hausse de 13 points en une semaine. Cela alors même que ce texte ne les concerne pas et que les plus de 60 ans ont voté majoritairement en faveur d'Emmanuel Macron lors de la présidentielle.

"Ce qui est étonnant, c'est que le président a tout fait pour les préserver de cette réforme", analyse Amandine Atalaya, éditorialiste politique de BFMTV. "Aucun effort ne leur est demandé. Par exemple, il n'y a pas de baisse des pensions des retraités les plus riches".

"Jugement sans appel"

Plus généralement, "rien dans les propositions, rien dans les explications, rien dans les justifications avancées par Emmanuel Macron, Élisabeth Borne ou les membres du gouvernement [...] ne semble avoir convaincu les Français", commente Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique de BFMTV.

Comme une confirmation, un conseiller ministériel nous souffle même ce jeudi: "On a perdu la bataille de l'opinion publique, on ne la renversera pas". "C'est assez inquiétant", abonde un ministre à la lecture de notre enquête. Et les efforts déployés semblent vains, aussitôt contredits. La Première ministre vante une réforme "juste"? 74% des personnes interrogées par Elabe pensent l'inverse.

Entre-temps, "on a découvert que la réforme pénalisait davantage les femmes et les Français ont pris conscience qu'en commençant à travailler à 20 ans, ils allaient devoir cotiser une année de plus que tout le monde", souligne Matthieu Croissandeau pour expliquer "ce jugement sans appel".

Ces deux points sont au coeur des difficultés de l'exécutif. Concernant les femmes, Franck Riester s'est livré à un aveu: elles seront "un peu pénalisées" par la réforme, a reconnu le ministre des Relations avec le Parlement lundi sur LCP. Même si elles atteignent les annuités nécessaires à 62 ans grâce à la majoration de huit trimestres par enfant, elles devront attendre le nouvel âge légal, 64 ans, pour partir à la retraite.

Le lendemain, Élisabeth Borne a tenté de rattraper le coup depuis l'Assemblée nationale, dénonçant un "faux-procès". "Les femmes seront les premières bénéficiaires de la revalorisation des petites pensions", a notamment justifié la cheffe de Matignon.

Les oppositions s'engoufrent dans la brèche

Pour ce qui est des carrières longues, là aussi l'exécutif peine à convaincre. Dans l'opinion certes, mais aussi au Parlement. Même au sein de la majorité, quelques voix s'élèvent pour pointer des désaccords. En témoignent les déclarations de Barbara Pompili lundi dernier auprès de BFMTV.com:

"À ce stade, si je devais voter maintenant, je ne pourrais pas voter pour", avait assuré l'ex-ministre de la Transition écologique.

Sans aller jusque-là, un autre député de la majorité - qui s'est confié à BFMTV sous couvert d'anonymat - ne cache pas sa lassitude: "C’est de plus en plus dur de défendre la réforme, dans les médias comme sur le terrain".

Côté Les Républicains, si Éric Ciotti, patron du parti, est favorable à la réforme, tous ne sont pas de cet avis. Dans le sillage d'Aurélien Pradié, une quinzaine de parlementaires de la droite réclament une primeur de la durée de cotisation sur l'âge légal pour que ceux qui commencent à travailler le plus tôt ne soient pas pénalisés.

L'extrême droite et la gauche s'engoufrent dans la brèche: "Plus on travaille tôt, plus on travaille dur, plus on doit partir tôt", a martelé Marine Le Pen sur BFMTV cette semaine. La Nouvelle union populaire écologique et sociale (Nupes) répète à longueur d'interview que les plus précaires seront les plus défavorisées par cette réforme. Celle-ci est "extrêmement violente" et va "essentiellement toucher les ouvriers", a par exemple fustigé Fabien Roussel sur France 2.

"Nécessaire", "pédagogie": la stratégie de l'exécutif ne fonctionne pas

Pour riposter et convaincre l'opinion, l'exécutif présente plusieurs axes. D'abord, il insiste sur une réforme "nécessaire" pour l'équilibre du système des retraites. Problème: les Français ne sont pas sur la même longueur d'ondes. 54% jugent, au contraire, que le projet du gouvernement n'est pas nécessaire selon le sondage Elabe pour BFMTV.

"C'est vrai que l'on trouve rarement des sondages positifs sur des réformes sacrificielles. Mais autrefois, les Français avaient au moins le mérite d'être d'accord sur le diagnostic", relève Matthieu Croissandeau.

En 2010, lors de la réforme des retraites d'Éric Woerth, alors ministre du Travail, "les Français étaient contre, mais 8 sur 10 estimaient qu'il fallait faire quelque chose", indique notre éditorialiste. Concernant la méthode, un mot est sur toutes les lèvres: "pédagogie". Mais, encore une fois, l'opération ne fonctionne pas. Les Français ont une bonne maîtrise de la réforme. 88% la connaissent, 20% très bien et 68% dans les grandes lignes.

"Ils ne s'opposent pas par ignorance, mais en toute connaissance de cause", souligne Matthieu Croissandeau.

Pour asseoir sa légitimité à réformer le pays, Emmanuel Macron explique régulièrement que son projet a "a été démocratiquement présenté et validé". Le chef de l'État avait en effet fait campagne en indiquant son souhait de reporter l'âge légal à 65 ans lors de l'élection présidentielle. Mais cet argument ne fonctionne pas auprès des Français. 71% estiment qu’Emmanuel Macron a tort, il a été élu pour d'autres raisons notamment pour "faire barrage" à Marine Le Pen et qu'il est faux de dire que la réforme est démocratiquement validée.

Soutien de la mobilisation, y compris si elle conduit à des blocages

Si le gouvernement est le grand perdant de cette bataille de l'opinion, la mobilisation contre la réforme apparaît, elle, comme la gagnante. 64% des personnes interrogées l'approuvent.

Cela après que des grèves et des manifestations ont rassemblé en France, entre 1,12 et 2 millions de personnes jeudi dernier; et à l'aune d'une nouvelle mobilisation mardi 31 janvier. Comme lors du premier évènement, les cortèges pourraient accueillir des petits nouveaux, peu habitués à battre le pavé.

Interrogé par BFMTV, le courtier Fabian Giza explique ainsi qu'il a fait grève pour la première fois jeudi dernier. Il sera de nouveau dans les rues mardi prochain, surtout "par solidarité, un peu comme les retraités". Plus inquiétant pour l'exécutif encore: 57% des Français comprendraient que les grévistes bloquent le pays car c’est le seul moyen pour eux que le gouvernement retire ou modifie sa réforme.

Embêtant pour les troupes présidentielles qui appelaient à la "responsabilité" face à d'éventuelles coupures d'électricité ou des vacances de février entachées par ces mouvements. Néanmoins, "il faut être prudent sur ces questions", avertit Bernard Sananès, directeur de l'institut Elabe, auteur des sondages pour BFMTV sur la réforme des retraites.

"Tant qu'on n'est pas dans le blocage, une partie de l'opinion peut se dire que c'est une solution. Mais le jour où les désagréments ont lieu, l'opinion peut se retourner".

"Les portes ouvertes pour des modifications sont très minces"

Reste donc à mesurer l'ampleur et les formes d'actions des mobilisations. Sur ce sujet, le sondage apporte un lot de consolation à l'exécutif: 71% des interrogés considèrent que la réforme des retraites sera votée et appliquée. Pourquoi? Parce qu''"ils savent que LR pourrait voter, donc ils se disent que le gouvernement va pouvoir faire cette réforme", explique Bernard Sananès.

En position de majorité relative à l'Assemblée nationale, les macronistes ont besoin de 40 voix parmi les 62 députés Les Républicains. Rien d'acquis néanmoins alors qu'une quinzaine est opposée au texte et que d'autres restent indécis avant le début des débats parlementaires programmés le 6 février.

En attendant, cette opposition de plus en plus nette à la réforme des retraites, "fait réfléchir" le pouvoir, sans pour autant "l'ébranler", selon Amandine Atalaya. Question de survie selon ce conseiller de l'exécutif à BFMTV: "On tiendra sur les fondamentaux. Sinon, c’est létal". "C'est certains qu'on ne brisera pas le front syndical et il y aura du monde dans la rue. Mais il faut tenir", ajoute la même source.

Aussi, "les portes ouvertes pour des modifications du projet de loi" sont-elles "très minces", note à nouveau Amandine Atalaya. Il y en aura "peut-être un peu sur les carrières longues, les femmes, la pénibilité, mais pas beaucoup plus", pronostique l'éditorialiste.

Ces ombres au tableau ne remettent peut-être pas en cause l'ensemble du dispositif esquissé par l'Elysée et Matignon mais autour d'eux l'humeur s'assombrit. Cette affirmation d'un des chefs de la majorité à BFMTV le montre assez: "Si ça ne passe pas, c’est la fin du quinquennat".

Article original publié sur BFMTV.com