Sur les retraites, François Bayrou coincé par les injonctions contradictoires
POLITIQUE - François Bayrou le sait. Les conditions politiques qui ont provoqué la chute du gouvernement de Michel Barnier n’ont pas disparu avec sa nomination. L’équation à l’Assemblée nationale est toujours aussi complexe à résoudre et le seul salut qui s’offre à lui consiste à sceller un accord de non-censure avec la gauche.
François Bayrou face à ses « poids lourds » : contrainte ou aubaine pour le Premier ministre ?
Sur le papier, on pourrait penser que l’affaire est entendue. En réalité, c’est loin d’être évident. Car les socialistes, mais également les communistes et les écologistes, ne comptent pas sauver le soldat Bayrou gratuitement. Et le prix de la dot est élevé : faute d’abrogation de la réforme des retraites, c’est le gel de son entrée en vigueur qui est exigé pour accorder du répit à l’exécutif et lui permettre de faire adopter un budget pour 2025.
La possibilité du coup double
À la sortie d’une réunion avec le ministre de l’Économie, Éric Lombard, et la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, a affirmé percevoir un « changement » de la part de l’exécutif sur ce totem macroniste. Techniquement, ce n’est pas grand-chose. Un amendement au futur Projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) suffit. Venant de la gauche, le locataire de Bercy est étranger au bilan macroniste. Quant à François Bayrou, il n’était pas le plus ardent défenseur du texte porté par Élisabeth Borne en 2023.
Au point que l’intéressé sommait l’exécutif d’inclure dans son dispositif une contribution des entreprises, pour ne pas faire peser le poids de la réforme sur les seules épaules des salariés. Deux ans plus tard, le Palois peut-il donc revenir sur cette réforme symbolique pour acheter la mansuétude de la gauche ? Le gain serait double. Non seulement cela lui permettrait de poursuivre son bail à Matignon, mais la manœuvre pourrait aussi conduire à l’explosion du Nouveau Front populaire.
Ce qui ouvrirait la possibilité, dans les mois qui viennent, de négocier des compromis avec le Parti socialiste. Cela tombe bien, c’est exactement ce que souhaite Emmanuel Macron : la recomposition de son bloc central, élargi de la droite au PS. « S’il ouvrait le jeu sur les retraites et la justice fiscale, il ferait d’une pierre deux coups. Il repousserait la censure et éloignerait son image de celle du président en montrant à l’électorat de gauche que sa politique et sa méthode seront différentes », analyse dans La Tribune dimanche, Bernard Sananès, président de l’institut de sondages Elabe.
« Ni suspension, ni abrogation »
Problème : le camp présidentiel, et ses nouveaux alliés des Républicains ne veulent pas entendre parler d’une remise en question, même partielle, de la réforme des retraites. « Le message est clair : ni suspension ni abrogation !, a prévenu ce samedi 11 janvier dans Le Parisien Gérard Larcher, président LR du Sénat. Si nous abrogions la réforme des retraites, le coût serait de 3,4 milliards d’euros en 2025, et près de 16 milliards en 2032 ». Même son de cloche chez Laurent Wauquiez. « La suspendre sans scénario alternatif revient à sauter dans le vide sans parachute. Ce sera sans la Droite républicaine », prévient-il dans le même journal.
Quant aux députés Renaissance, ils s’opposent à toute « suspension sèche » de la réforme actant le report de l’âge légal de départ de 62 ans à 64 ans. Dès lors, comment faire ? Selon Le Parisien, une piste d’atterrissage est en train de se dessiner : une suspension de la réforme de la retraite, mais en 2026 et sous réserve d’une nouvelle réforme négociée par les partenaires sociaux et les forces politiques.
Selon ce scénario, les macronistes ne perdraient pas la face (puisque le texte d’Élisabeth Borne s’appliquerait jusque-là) et le Parti socialiste pourrait revendiquer la victoire d’une (future) réforme plus juste, conçue avec (et non contre) les syndicats. Assez pour s’assurer la non-censure de la gauche ? « Non », répond au HuffPost un député socialiste au fait des négociations. « Et d’ailleurs, notre position sur le sujet est une suspension durable », ajoute-t-il.
En effet, le gain pour le Parti socialiste doit fatalement être supérieur au coût d’un éclatement de l’union de la gauche, à l’heure où la France insoumise instruit déjà des procès en trahison. Retour à la case départ donc pour François Bayrou, dont l’arbitrage sera rendu public mardi 14 janvier, à l’occasion de sa Déclaration de politique générale. Il lui reste deux jours pour trouver une équation qui convienne au plus grand nombre. Il en va de sa survie à la tête du gouvernement.
À voir également sur Le HuffPost :
Sur la réforme des retraites, le PS précise ses conditions et met la pression sur François Bayrou