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Retardé, le MRJ japonais se retrouve face à Airbus et Boeing

par Victoria Bryan et Jamie Freed

FARNBOROUGH, Angleterre/SINGAPOUR (Reuters) - Le japonais Mitsubishi Aircraft, dont le nouvel avion régional a subi des retards en série, a dû annuler mardi un vol de démonstration au salon de Farnborough, un camion étant entré un collision avec l'appareil.

L'accrochage, au lendemain de la présentation de l'avion à Farnborough, près de Londres, contrecarre les efforts de Mitsubishi Regional Jet (MRJ) pour engranger des commandes au moment même où Airbus et Boeing s'attaquent à son segment du marché.

L'objectif ultime du Japon est de servir de base au redémarrage du pays comme avionneur pour ne plus être simplement un grand fournisseur de groupes comme Boeing.

"Nous travaillons sans relâche pour livrer le premier avion à ANA en 2020. Le compte à rebours a commencé, non seulement pour la première livraison mais aussi pour une nouvelle ère pour l'industrie", a dit Shunichi Miyanaga, PDG de la maison mère, Mitsubishi Heavy Industries Ltd, lors d'une conférence de presse à Farnborough.

Mais le MRJ de 90 sièges, destiné à la relance de l'industrie aéronautique japonaise, a été lancé il y a une décennie. Après cinq retards, son entrée en service est désormais prévue avec la compagnie japonaise ANA Holdings en 2020, sept ans après l'objectif initial.

Mitsubishi a en conséquence raté l'occasion en or d'être précurseur sur le marché des avions régionaux économes en carburant.

Il retrouve maintenant face à lui l'Airbus A220 - nouveau nom du CSeries de Bombardier - et l'E2 du brésilien Embraer, qui pourrait passer sous contrôle de Boeing si le projet de rapprochement entre les deux groupes se concrétise.

"C'est désastreux pour le MRJ. Ils n'affrontent plus de petites entreprises du Canada et du Brésil, ils font désormais face aux géants mondiaux de l'aérospatiale avec des forces de frappe énormes en termes de pressions sur les prix et de taille industrielle", note Richard Aboulafia, analyste au sein du cabinet Teal Group.

Shunichi Miyanaga a dit vouloir se concentrer sur le segment de marché des avions de 100 sièges au maximum, échappant ainsi à une confrontation directe avec l'A220 et les plus grands modèles d'Embraer.

Mais, selon les analystes, Mitsubishi Aircraft va déjà avoir fort à faire pour conserver son carnet de commandes actuel, ayant pour l'instant perdu son pari sur un assouplissement des règles pour les syndicats de pilotes américains en termes de taille des avions exploités par les compagnies régionales.

Sur 213 commandes fermes, 150 sont réparties entre deux compagnies régionales américaines, SkyWest et Trans States Holdings.

Elles jugent le MRJ90 trop grand à exploiter sans un assouplissement des règles des syndicats de pilotes. Mais cette perspective est devenue plus incertaine en raison de la pénurie de pilotes qui donne plus de pouvoir de négociation à leurs syndicats.

FIN 2021 EN LIGNE DE MIRE

Mitsubishi Aircraft essaie en conséquence de commercialiser dès que possible le MRJ70, avec la fin 2021 en ligne de mire. Plus petit, il est accessible aux pilotes d'avions régionaux américains.

Dans ses prévisions 2018 publiées la semaine dernière, FlightGlobal évalue le marché des avions régionaux à 120 milliards de dollars (103 milliards d'euros) sur les 20 ans à venir, dont 40% de la valeur provenant des avions de 70 à 76 sièges desservant le marché nord-américain.

Mais MRJ doit encore convaincre ses principaux clients américains d'opter pour son plus petit avion, qui a ses propres difficultés.

Le MRJ70 a 69 sièges, contre 76 pour ses concurrents directs, le CRJ90 de Bombardier CRJ900 et l'E175 d'Embraer, suivant la configuration, typique aux Etats-Unis, comprenant une classe affaires et une classe économique. Son efficacité en terme de carburant devient alors moins avantageuse qu'au premier abord.

"Les variantes de taille réduite des familles d'avions ont des caractéristiques économiques inférieures - moins de sièges, mais les mêmes moteurs, les mêmes systèmes et la plupart des mêmes structures aussi", souligne Richard Aboulafia de Teal Group.

Embraer a signé lundi une commande ferme avec la compagnie américaine United Airlines pour 22 E175 de 70 sièges, peu après que JetBlue Airways a choisi de remplacer sa flotte d'Embraer par l'A220.

SkyWest et Trans States n'ont pas immédiatement répondu aux demandes de commentaire sur leur éventualité de changer de modèle pour le MRJ70.

Pour le consortium japonais soutenant le MRJ, mené par Mitsubishi Heavy avec une participation de 64%, le projet a été pour l'instant une succession de déceptions liées aux retards et aux problèmes techniques.

(Cyril Altmeyer pour le service français, édité par Véronique Tison)