Repli identitaire dans les écoles: qu'y avait-il dans le rapport Obin de 2004?

Une salle de classe à Vincennes, près de Paris (illustration) - -
Une salle de classe à Vincennes, près de Paris (illustration) - -

Le titre est moins sulfureux qu'on aurait pu le supposer. C'est surtout la date, visible en bas de première page, qui saute aux yeux: juin 2004. Il y a plus de 16 ans donc, un rapport a été remis au ministère de l'Education nationale, occupé à l'époque par François Fillon. Il porte sur "les signes et manifestations d'appartenance religieuse dans les établissements scolaires". C'est le fameux "rapport Obin", du nom de Jean-Pierre Obin, l'inspecteur général de l'Education nationale de l'époque qui en a chapeauté la rédaction.

Ce document est régulièrement cité dans les médias depuis l'assassinat de Samuel Paty par un islamiste tchétchène le 16 octobre. Ce qu'il décrit est un lointain écho aux motivations du terroriste abattu par les forces de l'ordre: punir cet enseignant de Conflans-Sainte-Honorine, coupable à ses yeux d'avoir montré une caricature de Mahomet à ses élèves.

Les jeunes, "vecteurs" du repli religieux

Lorsque Jean-Pierre Obin est missionné pour réaliser ce rapport, la question des atteintes au principe de laïcité est au cœur du débat public français. L'ouvrage collectif Les territoires perdus de la République, recueil de témoignages illustrant combien le repli identitaire - notamment musulman - est présent dans de nombreuses banlieues, est paru en 2002. Une commission, présidée par Bernard Stasi, a été mise en place en 2003 afin d'étudier les possibilités d'adapter le principe de laïcité au XXIème siècle.

Dans son introduction, le rapport Obin pose plusieurs constats. D'abord, que "les manifestations d'appartenance religieuse, individuelles ou collectives", ont tendance "à se multiplier et à se diversifier, avec une rapidité et une dynamique fortes". Que "dans certains quartiers", elles peuvent "affecter tous les domaines de la vie personnelle, familiale et sociale". Que les jeunes y sont "particulièrement sensibles", voire en sont "les principaux vecteurs". Enfin, que l'école est "impliquée dans ce mouvement d'ensemble", qui va au-delà de "l'émotion médiatique" suscitée par la prolifération du voile islamique dans l'espace public.

Laïcité contestée et propos négationnistes

Au fil de l'étude, à laquelle ont participé près d'une dizaine d'inspecteurs généraux de l'Education nationale, le lecteur de 2004 apprend qu'en cours d'histoire, certains élèves "refusent d'étudier l'édification des cathédrales, ou d’ouvrir le livre sur un plan d’église byzantine, ou encore d’admettre l’existence de religions préislamiques en Egypte ou l’origine sumérienne de l’écriture".

On apprend également que "la laïcité est contestée comme antireligieuse en éducation civique", que "les propos négationnistes sont fréquents" lorsqu'il s'agit d'aborder la Shoah. On constate que l'hostilité vis-à-vis du christianisme se manifeste parfois en cours de mathématiques, où certains refusent "d'utiliser tout symbole ou de tracer toute figure (angle droit, etc.) ressemblant de près ou de loin à une croix".

Au sein d'un lycée professionnel, "des élèves, la totalité parfois, refusent de cuisiner du porc et de manipuler et goûter la viande non consacrée". Sur les tenues vestimentaires, "les cas les plus nombreux concernent des élèves souhaitant affirmer leur appartenance à la religion musulmane".

Plus globalement, le rapport Obin relate ce que décrivent des chefs d'établissement ou des élus, à savoir le fait que certains quartiers sont "'tombés aux mains' des religieux et des associations qui les contrôlent".

"Dans d’autres, le tissu associatif laïque ancien a survécu, au moins en partie, ou s’est reconstitué dans un contexte de résistance aux aspects les plus prégnants de la mainmise religieuse sur la vie des individus", complète le document.

Autocensure

Face à ces revendications, "la réaction la plus répandue des enseignants est sans doute l’autocensure", constate le rapport. Une attitude "largement sous-estimée" en raison de la réticence des professeurs à en parler. Cette autocensure se manifeste aussi bien en histoire qu'en cours de biologie, où certains professeurs délaissent tout bonnement le chapitre sur la reproduction. Trop impudique, se plaignent certains élèves.

Un autre type de réaction surprend davantage. Elle consiste, "devant l'abondance des contestations d'élèves s'appuyant sur le Coran, à recourir au livre sacré pour tenter de légitimer l'enseignement".

Ainsi certains enseignants reconnaissent-ils, auprès des auteurs du rapport, s'appuyer sur leurs élèves inscrits à l'école coranique, "garants de l'orthodoxie musulmane, afin d'invalider les contestations venant d'autres élèves".

"Le comble est sans doute atteint avec ce professeur enseignant avec le Coran sur son bureau (...) et qui y recourt dès que des contestations se manifestent. On peut alors parler d'une véritable théologisation de la pédagogie", peut-on lire.

"On a perdu tant d'années"

Comme le rappelle Le Parisien, le rapport Obin n'a pas eu l'écho escompté à l'époque où il a été rendu au ministère. Il est même largement resté lettre morte. Selon le principal intéressé, qui s'en est ouvert dans un récent ouvrage, le gouvernement de l'époque ne voulait pas "jeter de l'huile sur le feu" alors même qu'entrait en vigueur la loi sur les symboles religieux à l'école publique. Il évoque également le fait que les ravisseurs de journalistes français en Irak exigeaient l'abrogation de cette loi, "qu'il fallait donc faire profil bas".

Une fois cette libération obtenue, le temps politique n'était plus à l'affichage d'un rapport polémique sur le fait religieux à l'école. Faute du moindre débouché concret, le texte a été publié in extenso sur le site de la Ligue de l'Enseignement, mouvement laïque d'éducation populaire. Il n'a été exhumé médiatiquement qu'en 2015 par Manuel Valls et Najat Vallaud-Belkacem, alors Premier ministre et ministre de l'Education nationale, après l'attentat islamiste contre Charlie Hebdo.

Invité lundi des Grandes gueules sur BFMTV et RMC, Jean-Pierre Obin a fait part de sa réaction à la décapitation de Samuel Paty. Parmi ses sentiments, il y avait "la stupéfaction, l'horreur, la tristesse".

"L’étonnement non, mais la colère oui, car on a perdu tant d’années pour traiter cette question de l’islamisme à l’école", a-t-il déploré.

Et l'ancien inspecteur général de l'Education nationale d'évoquer la mise au tiroir de son rapport de juin 2004:

"Fillon l’a enterré car il avait d’autres chats à fouetter, en particulier il avait peur de la première rentrée scolaire 'sans voile' et il y a eu l’épisode des otages de Bagdad. Très rapidement le prétexte c’était: 'on fait une loi de programmation et on ne communique pas sur autre chose'. Ce n’était pas un vrai sujet à l’époque."

Article original publié sur BFMTV.com