Réforme des retraites : pourquoi l’idée d'une politique nataliste fait polémique ?
C'est l'idée principalement défendue par les députés du Rassemblement national, mais pas uniquement.
Faire plus d'enfants pour sauver le système de retraites. C'est la proposition phare des députés du Rassemblement national lors des débats à l'Assemblée nationale sur le projet de loi visant notamment à reporter de 62 à 64 ans l'âge légal de départ à la retraite.
"Les bébés de 2023 sont les cotisants de 2043", répètent en boucle les députés RN sur les plateaux de télévision. Pour synthétiser leur idée : davantage d’enfants, c’est davantage de cotisants à l'avenir, et plus de cotisants, c’est la solution pour financer les retraites.
Le RN affirme s'inspirer de François Bayrou
Une proposition qui n'émane pas uniquement des bancs du RN. Quelques mois plus tôt, en mai 2021 François Bayrou, chef de file du Modem et Haut-commissaire au Plan, publiait une note "Démographie : la clé pour préserver notre modèle social", dans laquelle il évoque notamment le système des retraites. "Nous sommes le seul pays du monde où les retraites dépendent autant de notre démographie", s’inquiétait le patron du MoDem avant de conclure que "si la France ne se pose pas cette question, elle est gravement coupable contre elle-même."
En clair : pour sauver le modèle social français, dont fait partie le système de retraites, il faut relancer la natalité. Un travail dont affirme s'inspirer le RN. "Ce n’est pas nous qui le disons, c’est François Bayrou", se défendait Laure Lavalette, porte-parole du Rassemblement National, au micro de l’Assemblée.
Une idée soutenue par le patron du Medef
L'idée du parti d'extrême droite d'une politique nataliste a été également reprise par Geoffrey Roux de Bézieux, président du Medef, lors d'une interview pour Cnews, Europe 1 et Les Echos, renforçant la polémique née notamment après la proposition du RN.
Emploi : "si on faisait plus d'enfants en France, on règlerait le problème assez facilement"
➡️ @GeoffroyRDB dans #LeGrandRDV sur #Europe1 pic.twitter.com/cBgKgiVVpX— Europe 1 🎧🌍📻 (@Europe1) February 19, 2023
Durant les débats, le député des Républicains Thibault Bazin a lui aussi déposé un amendement proposant de "baisser le taux de CSG sur les revenus d’activités des mères de famille" selon le nombre d'enfants à charge. "Sans enfant demain, il n'y aura pas de renouvellement de générations", a-t-il argumenté.
"Arrêtez de réduire les femmes à leurs ventres"
Une proposition de politique nataliste qui a vivement fait réagir plusieurs députées de l'opposition de gauche. "Un conseil, lâchez nos utérus !" a répliqué la député écologiste Sandrine Rousseau, tandis que Sophia Chikirou lançait : "Arrêtez de réduire les femmes à leurs ventres et au fait de faire des enfants", en réponse à l'amendement LR.
La présentation du projet par le RN résume les deux aspects de la polémique suscitée. Invité de France Inter, le député Sébastien Chenu expliquait "préférer qu'on fabrique des travailleurs français plutôt qu'on les importe".
.@sebchenu sur la politique nataliste voulue par le RN : "Moi je préfère qu'on fabrique des travailleurs français plutôt qu'on les importe" #le7930inter pic.twitter.com/e31cHwhKvj
— France Inter (@franceinter) February 13, 2023
Un projet "mêlant xénophobie et sexisme"
D'un côté donc, la vision qui renvoie "les femmes à des fonctions uniquement de procréation", selon les propos de Sandrine Rousseau sur Public Sénat le 20 février, de l'autre, l'aspect nationaliste.
Une phrase de Sébastien Chenu décryptée par la députée LFI Clementine Autain comme la vision de société "de l’extrême droite avec sa politique nataliste comme réponse à l’équilibre financier de notre système de retraite et au fantasme délirant du 'grand remplacement' : on y retrouve le cœur de son projet, mêlant xénophobie et sexisme", explique-t-elle auprès de L'Express.
À LIRE AUSSI >> Pourquoi le "grand remplacement" est une théorie totalement bancale
Au sein de la majorité, le député Renaissance Ludovic Mendes y voit aussi une vision de "natalité presque xénophobe, c’est-à-dire qu’ils veulent fabriquer nos descendants et ne pas se mélanger avec les autres. Leur objectif à eux, c’est plutôt de repeupler la France avec des blancs catholiques", confie-t-il à l'hebdomadaire.
La Hongrie en modèle du RN
Une vision identitaire de la politique nataliste du RN qui semble transparaître à travers cette proposition de résolution signée par les élus lepénistes, visant à faire de l'année 2024 une année dédiée à la relance de la natalité française, et signée en septembre dernier. "Nous ne pouvons pas faire le pari fou, pour maintenir notre population, voire l’accroître, de déraciner des millions de personnes, à l’échelle européenne des dizaines de millions de personnes, en leur promettant un rêve en France, en Europe, alors même que notre civilisation est en proie à une crise majeure", écrivaient-ils.
Une politique nataliste voulue par le RN qui s'inspire directement de l'Italie et de la Hongrie, où l'objectif est de relancer la natalité pour éviter un recours à l'immigration. Marine Le Pen a ainsi calqué ses propositions sur celles de la Hongrie : prêt à taux zéro jusqu'à 100 000 euros pour aider les jeunes couples, dont l'un des deux membres est français, à s'installer, avec une annulation du reste dû au troisième enfant.
L'idée d'une politique nataliste reviendra très rapidement sur le devant de l'actualité politique puisque "la France a besoin d’une grande politique nataliste", affirmait récemment Bruno Retailleau, patron de la droite sénatoriale. Le projet de réforme des retraites doit arriver au Sénat à la fin du mois.
VIDÉO - "On peut faire fléchir le gouvernement" : à Paris, les manifestants contre la réforme des retraites croient à la réussite du mouvement