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Manifestations : pourquoi les flashmobs reviennent-ils en force ?

Des opposants à la réforme des retraites ont adapté les paroles de la chanson "À cause des garçons", renommée pour l'occasion "À cause de Macron". Pour que le flashmob soit complet, une chorégraphie et une tenue spéciale ont été ajoutées.
Des opposants à la réforme des retraites ont adapté les paroles de la chanson "À cause des garçons", renommée pour l'occasion "À cause de Macron". Pour que le flashmob soit complet, une chorégraphie et une tenue spéciale ont été ajoutées.

Depuis plusieurs semaines, les flashmobs font un retour fracassant dans un contexte inattendu : celui de la mobilisation contre la réforme des retraites. D’où vient ce come back et que traduit-il des contestations ?

C’est LE come back inattendu de l’année 2020 : le flashmob. Personne n’a oublié ces foules qui se rassemblaient dans des lieux publics, se mettaient à chanter et danser, avant de reprendre le cours de leur vie, donnant lieu à des vidéos souvent virales. Tout droit venue des États-Unis, cette tendance a débarqué dans l’Hexagone à l’aube des années 2010. Rapidement, les entreprises et associations s’étaient emparées du phénomène - et de son proche cousin, le lip dub - pour faire leur communication.

Une inspiration chilienne

Alors qu’on croyait les flashmobs disparus à jamais, ils font un retour fracassant sur les réseaux sociaux dans un contexte bien précis : celui de la contestation. Déjà, en novembre dernier, le collectif féministe chilien Las Tesis a dépoussiéré le concept avec la chanson “Un violador en tu camino”, “un violeur sur ton chemin” en français.

À l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, le 25 novembre 2019, des militantes s’étaient réunies, bandeau noir sur les yeux, devant le ministère de la Femme et de l’égalité des genres. Pour rendre leur message plus audible, elles l’avaient mis en musique et accompagné d’une chorégraphie. La scène, filmée, avait fait le tour du monde et rapidement, d’autres pays s’étaient emparés de cet hymne dénonçant la culture du viol, les violences sexuelles et sexistes, les féminicides, mais aussi l’attitude de la police et la justice face aux victimes.

Entre le flashmob et le lip dub

Ces dernières semaines, les opposants à la réforme des retraites se sont eux aussi approprié cette forme de happening. Ils ont créé un savant mélange de flashmob et de lip dub, en adaptant les paroles d’une chanson connue à laquelle ils associent une chorégraphie et, souvent, une tenue particulière.

Parmi les plus visionnés, le clip “Balance ta robe”, réalisé par l’Union des jeunes avocats de Valenciennes sur l’air de “Balance ton quoi” d’Angèle. Autre initiative, cette fois de la part des avocats de Rouen, un flashmob sur l’air de la chanson “À nos souvenirs”, du groupe Trois cafés gourmands. Ils ont réalisé cette performance à plusieurs reprises devant le tribunal ce 22 janvier, vêtus de leur robe dont le rabat blanc a, pour l’occasion, été remplacée par un rouge. Les enseignants et les chercheurs ont quant à eux adapté le titre “Marcia Baila”, des Rita Mitsouko, lors d’une manifestation le 14 janvier dernier.

“Changer les modes de communication”

La palme du flashmob militant le plus viral revient sans doute aux associations Attac et Les Effronté.es, qui ont repris la chanson de la fin des années 1980 “À cause des garçons”, du duo éponyme, la transformant en “À cause de Macron”.

“On a l’habitude de changer nos modes de communication, de faire des créations joyeuses, au style décalé”, nous détaille Youlie Yamamoto, militante d’Attac. Lorsque Édouard Philippe a fait ses annonces sur la réforme des retraites, le 11 décembre dernier, assurant notamment que les femmes en seraient les grandes gagnante, le groupe d’action a voulu apporter une réponse. Sous la forme classique d’un meeting, d’abord. Puis, l’idée leur est venue de faire un clip, notamment après avoir vu la vidéo des militantes féministes chiliennes.

Voyant le succès de l’initiative, les militants ont décidé “de battre le fer tant qu’il était chaud” et d’importer ce flashmob en manifestation, le 9 janvier dernier. En bleu de travail (symbole du labeur quotidien), gants de vaisselle jaunes (synonyme de la deuxième journée des femmes à la maison) et bandeau rouge sur la tête (la marque de l'icône populaire Rosie la riveteuse), les manifestantes ont entamé une chorégraphie combative sur une musique aux paroles complètement revisitées.

Ouvrir à un autre public et rendre la grève “plus populaire”

Une scène qui a eu “des retombées au-delà des espérances” du groupe d’action. Telle une véritable troupe d’artistes, les militantes sont invitées à se produire à différents rassemblements. La preuve par l’exemple de l’analyse faite par Assaël Adary, président du cabinet Occurrence. “Une manifestation est similaire à une pièce de théâtre : unité de lieu, unité de temps… Produire des contenus viralisables (comme les flashmobs) permet de faire exister la manifestation longtemps après le jour J”, nous explique-t-il. Et donner donc “plus d’épaisseur, plus d’ampleur, plus d’audience”.

C’était d’ailleurs là l’un des buts de la démarche conduite par Attac. “On souhaitait fédérer et ouvrir aux personnes qui ne sont pas forcément informées ou sensibilisées sur le sujet”, décrit Youlie Yamamoto, coordinatrice du mouvement “À cause de Macron”. Le pari est visiblement gagné de ce côté-là. “C’est la première fois que je vois autant de retours de non militants”, s’enthousiasme-t-elle.

Les flashmobs - et plus généralement les actions joyeuses - permettent de “rendre la grève plus populaire”, confirme Sylvain Boulouque, historien spécialiste des mouvements sociaux et auteur de Mensonges en Gilet jaunes. Ceux qui vont en manifestation se sentent déjà concernés par le problème, “mais les actions positives permettent d’attirer l’empathie d’une population qui pourrait être hostile ou indifférente”, poursuit-il.

Un principe historique

Si les méthodes se sont modernisées, le principe est en fait loin d’être nouveau. “Dans les grandes grèves historiques, les gens dansaient, il y avait une dimension festive”, décrit l’historien. “Ça vient notamment de Jacques Prévert, devenu une référence pour les mobilisations sociales, qui faisait du théâtre sauvage avec le groupe Octobre pendant les grèves dans les années 1930”, nous rappelle-t-il.

“Mai 68 a marqué un tournant”, constate de son côté Assaël Adary, “la manifestation [est devenue] un acte de communication”. Et, pour “exister”, la meilleure méthode est de “surprendre”, poursuit le président du cabine Occurence.

Une modernisation nécessaire

L’évolution des modes de communication a obligé les militants à s’adapter. “Les chaînes d’information en continu, les réseaux sociaux, offrent plus facilement de l’espace, de l’attention”, décrit Assaël Adary. Mais le revers de la médaille, c’est que, pour occuper cette place, “défiler tranquillement ne suffit plus, il faut innover”, explique le communiquant. Au point de s’appuyer sur une technique publicitaire bien connue : “être disruptif”.

“C’est l’outil qui forge la méthode”, confirme de son côté Bernard Vivier, directeur de l’Institut Supérieur du travail. Qui y voit aussi un moyen de “court-circuiter les syndicats traditionnels”. Les militants “se disent qu’ils ont les outils pour fonctionner seuls, ils ne vont donc pas attendre qu’untel ou untel sorte d’une réunion à l’Élysée” pour agir, poursuit le directeur.

Si ces nouvelles méthode “ringardisent” quelque peu les syndicats, elles n’ont pourtant pas que des avantages. “Ça a un côté feu de paille”, estime Bernard Vivier, qui rappelle que les organisations syndicales savent, quant à elles, “mobiliser, coordonner et encadrer”.

De son côté, Assaël Adary juge que le risque, avec les flashmobs, c’est que “la forme prime sur le fond”. “Le festif l’emporte-t-il sur le message ?”. Pour lui, la question se pose. Ces nouvelles formes joyeuses de contestation devraient continuer d’occuper la scène médiatique encore quelques temps.

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