Le Rassemblement National à l’Assemblée : un dangereux caméléon

En juin 2022, 89 députés Rassemblement National sont entrées à l’Assemblée Nationale, avec Marine Le Pen à leur tête. Ils forment le deuxième groupe d’opposition du Palais Bourbon.
En juin 2022, 89 députés Rassemblement National sont entrées à l’Assemblée Nationale, avec Marine Le Pen à leur tête. Ils forment le deuxième groupe d’opposition du Palais Bourbon.

POLITIQUE - Le Rassemblement national a-t-il changé ? S’est-il normalisé ? C’est ce que le parti voudrait faire croire, en refusant systématiquement la qualification d’extrême droite et en déployant des trésors d’inventivité pour paraître plus fréquentable depuis son entrée en force au Parlement en juin 2022.

Mais ce n’est pas ce que révèle l’examen attentif du comportement des députés du groupe RN à l’Assemblée nationale : leur travail parlementaire, leurs choix de votes et d’alliance. Sous couvert d’une plus grande ouverture, leur « stratégie de la cravate » atteint vite ses limites. Ce diagnostic récurrent de « notabilisation » souffre d’ailleurs d’un biais de perception : on regarde volontiers ce que le RN n’est plus, mais sans doute pas assez ce qu’il est encore, encore moins ce qu’il est en train de devenir.

Des profils d’élus loin du « peuple réel » qu’ils souhaitent représenter

Les députés RN, ne sont pas à l’image de la France populaire à laquelle ils prétendent donner voix, et sans doute même de moins en moins, avec une quinzaine d’élus seulement issus des classes populaires sur 88 parlementaires. La majorité du groupe RN est composée de cadres et de politiciens professionnels, qui se sont familiarisés de longue date avec les codes de la vie politique auprès d’autres partis de droite. Le RN est aussi une affaire de famille : 17 des 88 élus RN ont des liens familiaux avec d’autres figures du parti auprès desquelles ils ont pu faire leur apprentissage, à l’image de leur cheffe.

Des apprentis législateurs

L’Assemblée nationale est le théâtre central de la normalisation du RN pour conquérir le pouvoir. Il s’agit de mettre à profit cette nouvelle position et les revenus importants qui lui sont associés* pour affiner les éléments programmatiques et réunir des ressources humaines d’un futur exercice du gouvernement.

Suivie avec rigueur et discipline, la stratégie des élus RN les a conduits à prendre leurs
adversaires à contre-pied sur de nombreux sujets via une gymnastique opportuniste qui a
occupé l’essentiel de leur mandat jusqu’à présent (voter des motions de censure avec les élus
de la Nupes, des mesures sur le pouvoir d’achat avec la majorité, être à l’unisson avec Les
Républicains sur la sécurité et la lutte contre l’écologie…), pour n’être jamais où on les
attend. Présentéisme et bonne tenue, valorisées dans toutes les enceintes du Parlement
(vice-présidences, commissions d’enquête, groupes d’études …) à grand renfort de
communication zélée sur les réseaux sociaux, sont de rigueur pour construire l’image d’une
formation au travail.

Mais cette assiduité n’est pas synonyme d’une intense activité. Là où le travail parlementaire sur le fond est le plus dense et le plus exigeant, en commission thématique, par exemple, les élus RN prennent beaucoup moins la parole que les autres alors qu’ils forment le deuxième groupe parlementaire de l’Assemblée. Leurs victoires parlementaires sont quant à elles bien maigres : leurs propositions de loi n’ont jamais été adoptées par le Parlement, et un seul amendement transpartisan porté par le RN a été voté en … dix mois de législature.

L’assiduité n’est pas synonyme d’une intense activité. Là où le travail parlementaire sur le fond est le plus exigeant, les élus RN prennent beaucoup moins la parole.

Le marketing électoral d’abord

Comme d’autres mais peut-être plus encore que d’autres, les députés RN veillent à soigner
leurs clientèles électorales avec leurs propositions de lois. Des boulangers aux artisans et aux
petits commerçants, des électorats locaux du nord au sud de la France, des policiers aux
militaires, tout est bon pour satisfaire le « peuple » que chérit le RN.

Mais derrière cet opportunisme se cachent aussi de nombreux creux et des silences sur d’autres débats fondamentaux qui se jouent dans l’Hémicycle. Il est quasiment impossible de savoir quelle politique économique ils appellent de leurs vœux (le contre-projet de réforme des retraites de Marine Le Pen a fait l’objet d’une publicité limitée au Parlement, les élus lui préférant une obscure « troisième voie » nataliste). L’écologie, défi du siècle, est absente des préoccupations des élus RN, qui préfèrent opter pour du bricolage hasardeux à partir du localisme et de la défense des traditions, sans aucune considération pour la lutte contre le réchauffement climatique, ou la pollution de l’air.

Les fondamentaux d’extrême droite toujours présents

L’expression des fondamentaux du RN est enfin régulière et méthodique dans l’Hémicycle. La préférence nationale sous ses innombrables déclinaisons est restée la poutre maîtresse du parti et de sa doctrine, et une constante de leur mandat parlementaire ; la peur de la submersion migratoire, le centre de leur panique identitaire ; le spectre de l’effondrement civilisationnel, la hantise partagée avec les tenants du « grand remplacement » ; l’obsession nataliste, le levier d’un imaginaire de puissance retrouvée. La restauration de la souveraineté nationale a continué d’irriguer leurs analyses : si elle ne recommande plus le Frexit, elle inspire diverses manœuvres de subversion interne de l’édifice européen ; et si elle ne trouve plus officiellement son modèle dans la Russie de Vladimir Poutine, elle maintient la perspective d’une renégociation des alliances et d’une sortie de l’Otan.

Le groupe tente de mettre à distance son passé, anti-républicain, collaborationniste, pro-Algérie française, mais celui-ci revient par la petite porte quand on observe ses réseaux militants et les trajectoires de ses élus.

L’expression des fondamentaux du RN est enfin régulière et méthodique dans l’Hémicycle.

Cette matrice reste présente, comme en attestent quelques événements récents. Le blâme prononcé à l’encontre du député du Vaucluse Joris Hébrard le 24 mars 2023 par le bureau exécutif du RN, pour avoir inauguré une mosquée dans sa circonscription, qui a déclenché la colère de ses collègues et de toute la galaxie de l’extrême droite française, de Marion Maréchal aux cadres de Reconquête, en est le meilleur exemple. Fin février, à l’occasion de l’anniversaire du déclenchement de la guerre en Ukraine, Jordan Bardella, président du parti, a été rappelé à l’ordre par Marine Le Pen pour s’être trop avancé sur une condamnation des crimes commis par la Russie en Ukraine. Une discipline de fer s’exerce donc au sein du groupe, préservant les fondamentaux idéologiques.

Sur le fond, le Rassemblement national n’est finalement pas si différent aujourd’hui de ce qu’il était hier, quelques boulets en moins et l’art de la dissimulation en plus.

NB : *Les députés du groupe RN vont toucher 52 millions d’euros de subventions publiques sur l’ensemble de la législature. Une partie sera consacrée à rembourser ses dettes car le parti est de loin le plus endetté de France (26 millions d’euros) et totalise à lui seul près de la moitié des dettes de l’ensemble des partis politiques nationaux auprès de personnes physiques (15 millions d’euros)

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