Rara : "On voulait faire un film où l'on peut s'identifier bien au-delà de l’homosexualité"

Un film sur l'adolescence, un film sur la discrimination, un film sur l'homoparentalité, un film sur la parentalité, un film sur les effets du divorce, une chronique de la société chilienne d'aujourd'hui, une chronique universelle sur la place des enfants dans nos sociétés contemporaines ? Rara, premier long-métrage de la réalisatrice Pepa San Martin, est tout cela à la fois. 

En salles cette semaine, ce film chilien s'inspire de la véritable affaire de la juge Karen Atala qui, en 2004, a perdu la garde de ses filles parce que son ex-époux pensait que son homosexualité et son concubinage avec sa nouvelle partenaire perturbaient leurs enfants. 

Rara raconte comment une famille se fracture par la force des préjugés

Au lieu d'en faire un documentaire, Pepa San Martin a décidé de s'emparer de ce sujet sensible et d'actualité en prenant de la distance. Dans Rara, ce ne sont donc pas les adultes qui nous offrent leur point de vue mais Sara, l'aînée des deux filles issues de ce foyer homoparental. Une jeune fille presque sortie de l'enfance, presqu'arrivée à l'adolescence et portée par la formidable Julia Lübbert qui, à 12 ans, commence à s'intéresser aux garçons et au regard que l'on porte sur elle.

C'est à ce moment charnière et délicat de la vie qu'elle réalise que son foyer, joyeux et bordélique comme ceux de ses camarades, sort du cadre qu'impose la société dans laquelle elle évolue. Pour autant, Sara ne maîtrise pas encore tous les codes et les règles des adultes. A la suite d'une dispute avec sa mère, Sara vient s'épancher auprès de son père, sans réaliser les lourdes conséquences que cela aura. 

S'enclenche en arrière-plan une bataille pour savoir qui, du père ou de la mère, est le plus habilité à avoir la garde des filles...

Pour aller plus loin, la réalisatrice Pepa San Martin est revenue pour nous sur la genèse de son film mais, également, sur la situation au Chili.


Allociné : Depuis combien de temps portez-vous ce projet ?
Pepa San Martin : Je défends ce film depuis 2010, au moment de ma résidence à Berlin. Après avoir eu un prix au Festival de Berlin pour mon premier court-métrage La Ducha, j’ai décidé de réaliser ce film qui traite d’un sujet qui me tenait à cœur depuis très longtemps.

Pouvez-vous nous expliquer le titre ?
"Rara" est un mot qui signifie "bizarre", "différent", mais cela dépend vraiment à qui ou quoi il se rapporte. Mais, cela peut être aussi une qualification positive. C’est pour sa double connotation que je trouve ce terme intéressant. De plus, pendant très longtemps au Chili, on a qualifié les homosexuels de "raros" (masculin pluriel du mot “rara”).

Toucher un public qui n’est pas convaincu de la légitimité des droits des minorités sexuelles nous a captivés

"Rara" est un film sur la discrimination mais aussi un film sur la maternité, la parentalité et l’adolescence. C’est une histoire très intime, une histoire universelle, en fait ?
Exactement, c’est ce que nous souhaitions. Faire de ce film un instant de rencontre entre les sociétés, un film où nous pouvons nous identifier bien au-delà de l’homosexualité. Toucher un public qui n’est pas convaincu de la légitimité des droits des minorités sexuelles nous a vraiment captivés.

Je trouve très touchant et intéressant que vous ayez choisi de raconter l’histoire depuis le point de vue et le regard de Sara. Pourquoi l’avez-vous fait ?
Les enfants naissent sans préjugés. Ils se construisent au fur et à mesure qu’ils deviennent adultes. C’est cette réflexion que je souhaitais faire comprendre aux spectateurs et c’est pour cela que nous avons choisi une protagoniste de 12-13 ans.

Sara, comme toute adolescente, fait des erreurs et sa mère, comme toute mère, en fait aussi. Mais, malheureusement, leurs erreurs à elles, parce qu’elles viennent d’un foyer différent, ont des conséquences…
C’est la vie, nous faisons tous des erreurs et, par conséquent, nous devons en subir les répercussions. En tout cas, nous ne voulions pas faire un film revendicatif.


Quels sont aujourd’hui les droits des couples gays au Chili ?
Aujourd’hui, nous avons le PACS mais pas le mariage. Ce qui veut dire que les enfants de familles homoparentales sont en dehors de la loi, car seul le mariage, comme institution, protège les droits filiatifs.

Vous semblez avoir beaucoup travaillé sur les non-dits. Il y a beaucoup de scènes où nous comprenons que les personnages évitent certaines conversations et que beaucoup de sujets ne peuvent pas être débattus en public. C’est une façon de montrer à quel point la société chilienne est conservatrice ?
C’était l’objectif. Nous voulions que ce film soit un reflet de la société chilienne. De fait, aujourd’hui, nous sommes actifs dans les campagnes politiques mais certains partis bloquent les choses et nous ne pouvons donc pas avancer. Nous payons les mêmes impôts, nous avons les mêmes responsabilités et devoirs mais, comme citoyens, nous ne sommes toujours pas égaux.

Je fais du cinéma parce que les armes m’effraient

Pourquoi le procès n’est-il pas filmé ?
Parce que le film ne parle pas d’un procès, mais de comment une famille se fracture par la force des préjugés et le non-respect de la différence.

Pensez-vous que le cinéma, la télévision et les livres peuvent faire évoluer la société ?
Je suis convaincue que le cinéma et, en général, l’art, font de nous de meilleures personnes. Personnellement, je fais du cinéma parce que les armes m’effraient.

Dans un film qui parle de différences, on pourrait s’attendre à ce que l’entourage de Sara à l’école se moque d’elle. Mais les enfants, dans le film, ne disent à aucun moment un seul mot déplacé quant à la situation des mamans de Sara. C’est un message d’espoir ?
Oui, comme je l’ai précisé, les enfants naissent sans préjugés. De plus, il y a énormément de discriminations plus silencieuses, qui blessent d’autant plus.

"Rara" est en salles cette semaine :