Rakka, en Syrie, une reconquête complexe à plusieurs inconnues

Un tank de l'armée turque, en route vers la Syrie. La Truquie a fait savoir qu'elle était prête à participer à la reconquête de Rakka, mais refuse une opération qui impliquerait les combattants kurdes qu'elle considère comme "terroristes". /Photo d'archives/REUTERS/Umit Bektas

par Marine Pennetier PARIS (Reuters) - Prévue pour commencer dans les prochaines semaines, la reconquête de Rakka, capitale autoproclamée de l'Etat islamique en Syrie, sera une offensive en deux temps et à plusieurs inconnues impliquant des acteurs aux intérêts divergents. La reprise de Rakka, constitue "une autre paire de manches" que celle de la ville irakienne de Mossoul, qui s'annonce pourtant déjà longue et compliquée, souligne Didier Billion, spécialiste du Moyen Orient et directeur adjoint de l'Iris. "La Syrie est un panier de crabes où il y a des guerres par procuration, où les amis de mes amis ne sont pas forcément mes amis et ce constat s'applique également pour les ennemis de mes ennemis", a-t-il déclaré à Reuters. Dans ce pays ravagé par la guerre depuis cinq ans, la coalition dispose d'une marge de manoeuvre plus limitée qu'en Irak où elle intervient à la demande de Bagdad et où elle apporte un soutien terrestre en matière d'artillerie et de formation aux forces irakiennes et aux combattants kurdes. "Tout n'est pas prêt pour reprendre Rakka demain matin", reconnaît un diplomate français. Pour autant "ça ne veut pas dire que les opérations ne commenceront pas rapidement". Sur cette toile de fond complexe vient se greffer l'antagonisme entre la Turquie et les Kurdes, qui occupe une place centrale et pèse fortement sur le déroulé du plan de bataille de la coalition internationale. A l'heure actuelle, seules les Forces démocratiques syriennes (FDS), une alliance arabo-kurde, sont en mesure de participer à l'isolement de Rakka, souligne-t-on à Paris et Washington. Soutenues par la coalition, les unités de protection du peuple kurde (YPG), qui font partie des FDS, ont contribué à la libération des plusieurs villes, notamment celle de Manbij en août et sont considérées comme les troupes les plus efficaces pour reprendre du terrain à l'organisation djihadiste. "ÉLÉMENT DE COMPLEXITÉ" Or, la Turquie, qui redoute la formation d'une zone autonome kurde dans le nord de la Syrie, a fait savoir qu'elle était prête à participer à la reconquête de Rakka, mais refuse une opération qui impliquerait les combattants kurdes qu'elle considère comme "terroristes". "C'est un élément de complexité à gérer", souligne le diplomate français. "Ça fait partie des choses dont il va falloir discuter" avec la Turquie. Les ministres de la Défense turc, américain et français se sont rencontrés à Bruxelles mercredi pour une réunion dont rien n'a filtré si ce n'est que les parties prenantes ont convenu de poursuivre "leur étroite coordination", selon le Pentagone. Selon les scénarios esquissés ces derniers jours par des responsables de la coalition, la solution pourrait passer par une reconquête en deux temps. L'isolement de Rakka à proprement parler serait confié aux Kurdes des FDS tandis que la reconquête de la ville en tant que telle serait menée par la composante arabe des FDS, composante qui monte en puissance. "Nous irons avec qui souhaite y aller et qui souhaite y aller vite", a souligné mercredi le chef militaire de la coalition, le général américain Stephen Townsend. "Les faits sont là : la seule force capable d'agir à court terme ce sont les FDS, dont les YPG constituent un part importante". "Ce qui se passera après est encore à déterminer entre notre gouvernement, nos partenaires locaux et le gouvernement turc", a-t-il ajouté. Pour Didier Billion, les Américains "n'ont pas tranché définitivement". "Mais quand il s'agira de faire un choix entre les YPG et la Turquie, ils choisiront la Turquie." S'exprimant mardi sous couvert d'anonymat, un haut responsable militaire américain insistait sur le fait qu'il fallait que ce soit une force locale arabe qui reprenne Rakka, une ville à majorité sunnite. "A vrai dire, les Kurdes avec qui je parle n'ont pas l'intention" de reprendre la ville, a-t-il souligné. "Ils ne sont pas à l'aise avec l'idée d'entrer dans Rakka. Ils savent qu'ils peuvent jouer un rôle dans l'isolement de Rakka, mais ce n'est pas leur intention de participer à l'entrée en soi dans la ville". INCONNUE POLITIQUE Au-delà des tensions entre la Turquie et les milices kurdes, la composante arabe des FDS - qui compteraient 15.000 hommes actuellement - sera-t-elle suffisante pour faire face aux 4.000 combattants de l'EI censés être présents à Rakka? Au sein de la coalition internationale, on se veut confiant. "Ce qu'on voit c'est qu'à mesure que les FDS libèrent de nouveaux territoires, notamment des villes arabes, ça créée un effet d'entraînement et ça influe sur la capacité de recrutement", souligne la source diplomatique française. Autre inconnue, la réaction de la Russie, allié du régime de Bachar al Assad, qui a fait part par le passé de son intention d'appuyer l'armée syrienne pour reconquérir Rakka. "La Russie mène une autre guerre en Syrie", souligne une source diplomatique française. Les Russes ne "frappent plus sur Daech (acronyme arabe de l'EI-NDLR), ils sont dans l'écrasement de l'opposition. Et Rakka, manifestement ce n'est pas un sujet qui intéresse les Russes, en tout cas pas à l'heure actuelle". Quant à l'"après-reconquête", tout reste à faire en matière d'accord politique entre les différentes forces de la région. "Oser imaginer une seconde qu'on peut reconquérir militairement Rakka si les conditions politiques n'ont pas été préalablement posées" est une erreur, souligne Didier Billion. (Edité par Yves Clarisse)