Rajoy demande la destitution de l'exécutif régional de Catalogne, veut des élections anticipées

Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a annoncé samedi, en vertu de l'article 155 de la Constitution, le limogeage du gouvernement régional de Catalogne et a dit souhaiter la tenue aussi vite que possible d'élections régionales anticipées. /Photo prise le 21 octobre 2017/REUTERS/Juan Carlos Hidalgo

par Isla Binnie et Carlos Ruano

MADRID (Reuters) - Le président du gouvernement espagnol, Mariano Rajoy, a annoncé samedi, en vertu de l'article 155 de la Constitution, le limogeage du gouvernement régional et l'encadrement du Parlement de Catalogne et a dit souhaiter la tenue aussi vite que possible d'élections régionales anticipées pour sortir de la crise qui menace l'unité de l'Espagne.

Il appartient désormais au Sénat d'approuver ou non la mise en oeuvre de ces mesures d'exception. Un vote est prévu vendredi prochain 27 octobre à la chambre haute du Parlement, où le Parti populaire de Rajoy détient la majorité absolue.

A Barcelone, plusieurs dizaines de milliers de séparatistes, parmi lesquels le président de la Généralité de Catalogne, Carles Puigdemont, se sont réunis dans l'après-midi à l'appel de l'Assemblée nationale catalane (ANC) et d'Omnium Cultural, deux organisations de masse favorables à l'indépendance.

Brandissant des drapeaux catalans, ils ont scandé "Liberté, liberté". Parmi les banderoles repérées dans le cortège, certaines appelaient à la proclamation de la république, d'autres affirmaient que "défendre notre terre n'est pas un crime".

Mariano Rajoy, qui s'exprimait en début d'après-midi, à l'issue d'un conseil extraordinaire des ministres, a souligné que l'attitude des séparatistes catalans l'avait "forcé" à recourir, "contre notre désir et notre intention", à cet article jamais appliqué de la Constitution de 1978.

Mais, a poursuivi le chef du gouvernement espagnol, obligation lui était faite de rétablir l'ordre constitutionnel, d'assurer la neutralité institutionnelle, de garantir les services publics et l'activité économique et de préserver les droits des citoyens.

"Nous demanderons au Sénat, dans le but de protéger l'intérêt général de la nation, d'autoriser le gouvernement à limoger le président (de la Généralité de Catalogne Carles Puigdemont) et son gouvernement", a-t-il précisé.

Les prérogatives du Parlement de Catalogne seront encadrées et les pouvoirs de l'administration catalanes transférés au gouvernement central, a-t-il ajouté.

Rajoy entend obtenir la tenue d'élections anticipées en Catalogne dans un délai maximum de six mois mais a précisé qu'il souhaitait que le scrutin se tienne "dès que nous retrouvons la normalité institutionnelle".

PUIGDEMONT PARLERA À 21H00

A Barcelone, les services de Carles Puigdemont ont annoncé que le président de l'exécutif catalan réagirait à l'annonce de Madrid dans un discours programmé à 21h00 (19h00 GMT).

Puigdemont, qui a symboliquement déclaré le 10 octobre dernier l'indépendance de la Catalogne avant d'en suspendre aussitôt les effets pour permettre l'ouverture du dialogue qu'il réclame à Madrid, a indiqué jeudi que "le parlement catalan pourra procéder, s'il l'estime opportun, à un vote sur une déclaration formelle d'indépendance".

Mais des médias catalans indiquent que Puigdemont pourrait prendre de vitesse Madrid en prononçant lui-même la dissolution du Parlement régional, avant le vote du Sénat espagnol, et en organisant ainsi des élections anticipées dans un délai légal de deux mois.

Pour les partis indépendantistes, la décision de Rajoy démontre que l'Espagne n'est plus un Etat démocratique.

"Le gouvernement espagnol a commis un coup d'Etat contre une majorité démocratique et légale", a dénoncé Marta Rovira, députée de la Gauche républicaine de Catalogne (ERC) associée à la coalition Junts pel Si (Ensemble pour le oui) au pouvoir.

Le parti anticapitaliste CUP (Candidature d'unité populaire), qui soutient le gouvernement Puigdemont au Parlement, a appelé pour sa part à "l'unité populaire pour une république tout de suite".

CONSÉQUENCES ÉCONOMIQUES

Le chef du gouvernement espagnol, qui espère réunir un consensus le plus large possible, a reçu vendredi soir le soutien clair du roi d'Espagne, Felipe VI, pour qui "la Catalogne est et restera une composante essentielle" de l'Espagne.

Il bénéficie également de l'appui des socialistes du PSOE et des centristes de Ciudadanos, qu'il a remerciés lors de sa conférence de presse.

"On ne suspend pas l'autonomie de la Catalogne", a-t-il assuré, rejetant sur les dirigeants de la Généralité la responsabilité de cette crise politique inédite en Espagne depuis la tentative de coup d'Etat militaire de février 1981.

Notant que "plus de 1.000 entreprises" avaient déjà délocalisé leurs sièges hors de la région séparatiste, il a précisé qu'une hypothétique indépendance de la Catalogne aurait un effet économique désastreux, le chiffrant entre 25% et 30% du PIB régional (la Catalogne représente environ 20% du PIB espagnol).

Dans un argumentaire distribué pendant le conseil des ministres, le gouvernement central observe que "les dirigeants de Catalogne n'ont respecté ni la loi sur laquelle notre démocratie se fonde, ni l'intérêt général".

"Cette situation est intolérable et doit être traitée dans le cadre de l'activation des pouvoirs que l'article 155 de la Constitution donne au gouvernement."

Le bras de fer entre Madrid et l'exécutif catalan dure depuis des semaines et l'organisation, jugée illégale par la Cour constitutionnelle d'Espagne, d'un référendum d'autodétermination en Catalogne qui s'est tenu le 1er octobre dans des conditions de forte tension, les forces de police tentant d'empêcher l'accès aux bureaux de vote.

Il a débouché sur une victoire du "oui" avec 90,18% des suffrages exprimés contre 7,83% pour le "non". La participation est ressorti à près de 2,3 millions d'électeurs, soit quelque 43% des inscrits, selon la Généralité de Catalogne.

(avec Tomás Cobos et Julien Toyer; Eric Faye et Henri-Pierre André pour le service français)