Radicalités

En mai 1983, Libération publie un événement sur le «cancer gay» (que les Américains désignent par le sigle «Aids»), une «maladie très moderne», écrit le journaliste Eric Conan, qualifiée aussi de «rapide, mystérieuse et redoutable». Dans ce même numéro, une critique évoque l’ultime chef-d’œuvre de Robert Bresson, l’Argent, tout juste présenté au Festival de Cannes. Il se trouve que dans un plan de ce film, on voit une main de jeune homme tendre, sous un pupitre, une cassette audio à un autre. Dans ce plan, cité trente-cinq ans plus tard dans 120 Battements par minute, la main était celle de Robin Campillo. Il a alors 20 ans et ne sait pas encore à quel point, jeune cinéphile et homosexuel, l’épidémie du sida va le poursuivre, le hanter, le paralyser et finalement le jeter dans l’action militante puis lui offrir la matière d’un film, son troisième long métrage, qui paraît aujourd’hui rassembler des publics et des sensibilités pourtant inégalement réceptives à la radicalité sexuelle et politique d’Act Up. Par-delà l’émotion que suscite un film fleuve qui sait intelligemment considérer tous les aspects d’une époque traumatique (les années 90 où l’épidémie fait des ravages) et raconter une rencontre amoureuse bordurée par la menace d’une mort précoce, 120 BPM vient aussi chavirer d’autres zones plus discrètes. Par l’exemple, par la fiction, par la mémoire, il actualise notre propre rapport à la norme qu’un libéralisme faussement pondéré préconise pour mieux faciliter son appétit de violence inégalitaire. Campillo a aussi plusieurs fois comparé le statut d’Act Up à celui du collectif en faveur d’Adama Traoré, entre autres, superposant deux situations de luttes minoritaires et la pérennité des stratégies de discrédit institutionnel qui tendent à les éliminer du jeu. Les battements du film tambourinent aux portes des injustices présentes et incitent les plus timorés d’entre nous à retrouver le goût de la colère.

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«120 Battements par minute», à fleur de pouls
«Chaque action d’Act Up était déjà enrobée par la fiction»
PHOTOGRAPHE POUR «LIBÉ» ET «HÉTÉRO DE BASE»
ACT UP GUÉRILLA ANTISIDA
Christophe Martetprésident d’Act up de 1994 à 1996 «On arrivait tous à Act Up avec un problème»