La résidence alternée n’est pas toujours une bonne idée pour l’enfant, la rendre systématique encore moins
MONOPARENTALITÉ - Le 6 mars dernier, Gabriel Attal, alors Premier ministre, confiait au sénateur Xavier Iacovelli et à la députée Fanta Bérété une mission : identifier toutes les pistes d’amélioration des dispositifs d’aides aux familles monoparentales. Au terme de plusieurs mois de travail, le sénateur Renaissance, seul à conserver son poste suite aux élections législatives, a remis le 30 septembre son rapport qui vise à « concilier les besoins des parents avec l’intérêt supérieur de l’enfant ».
Établissement d’une « carte monofamille », pension alimentaire, aides sociales étendues pour les parents célibataires, accès au logement simplifié… Le rapport liste 41 préconisations censées faciliter le quotidien des 1,9 million de familles monoparentales, à la tête desquelles on retrouve une écrasante majorité de femmes (82 % selon une récente étude).
Mais parmi toutes ces mesures, une est loin de faire consensus parmi les professionnels du droit et les associations de familles : celle qui systématise la résidence alternée pour en faire l’option par défaut dans les décisions de justice. « En cas de séparation des parents, dans l’intérêt supérieur de l’enfant, envisager, avant toute autre solution, une prise en charge de l’enfant alternativement par l’un et l’autre parent, sur une base égalitaire, dans le cadre d’une garde alternée », écrit Xavier Iacovelli dans le rapport.
Une mesure qui ne convient pas à toutes les familles
Une semaine chez un parent, une semaine chez l’autre : ce mode de résidence permettrait à première vue de satisfaire tout le monde. En la mettant automatiquement en place, les juges s’adapteraient aux nouvelles aspirations de notre société, qui visent à plus d’égalité dans le partage des tâches parentales. Quant aux enfants, ce temps égal passé entre leurs deux parents garantirait leur épanouissement et leur équilibre affectif.
Mais, comme le souligne l’ex-avocate en droit de la famille et experte en parentalité Noémie Khenkine-Sonigo, ce n’est pas aussi simple. Fondatrice de Team’Parents, une appli de soutien aux parents séparés, elle a fait partie du comité consultatif de la mission menée par Xavier Iacovelli, mais ne s’est pas prononcée en faveur de la systématisation de la résidence alternée car elle « ne convient pas à toutes les familles ». Elle peut même parfois être contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant, pourtant invoqué par le sénateur pour la justifier.
Même si le rapport exclut de facto la résidence alternée en cas « de comportements violents avérés d’un des deux parents », elle peut aussi s’avérer délétère quand les parents se déchirent, une coparentalité sereine et égalitaire présupposant nécessairement une bonne entente entre eux. Difficile aussi d’établir la double résidence de l’enfant quand les deux domiciles parentaux sont éloignés l’un de l’autre ou lorsqu’il s’agit d’un tout-petit, notamment s’il est encore allaité.
Pourquoi, alors, statuer sur une systématisation de la garde alternée ? Pour Noémie Khenkine-Sonigo, cette mesure s’appuie certainement sur des études montrant que les enfants en résidence alternée « vont massivement bien ». Mais, insiste l’experte, ces enquêtes présentent un biais de sélection important, puisque la résidence alternée ne concerne en réalité que très peu de familles, souvent aisées. Selon une étude de l’INSEE datant de 2021, 12 % seulement ont fait ce choix. Par ailleurs, précise l’ex-avocate, « les études développementales montrent que c’est moins le mode de résidence et le nombre de jours passés avec chaque parent qui compte, que la bonne relation qu’entretiennent les parents entre eux et l’investissement relationnel qu’ils ont avec leur enfant ».
À rebours de la réalité des séparations
Cet investissement relationnel des deux parents auprès de l’enfant reste cependant très inégal, comme le montrent les jugements aux affaires familiales. « Aujourd’hui, ce ne sont pas les magistrats qui refusent la résidence alternée, ce sont les pères qui ne s’en saisissent pas », affirme Noémie Khenkine-Sonigo, qui s’appuie sur les travaux d’Émilie Biland-Curinier. Dans son ouvrage Gouverner la vie privée. L’encadrement inégalitaire des séparations conjugales en France et au Québec, cette sociologue établit qu’en cas désaccord entre les parents, et lorsque la mère demande la résidence principale et le père la garde alternée, c’est lui qui obtient gain de cause dans 80 % des cas.
Ces chiffres rejoignent ceux que cite la journaliste à Libération Johanna Luyssen dans Mères solos. Le combat invisible (éd. Payot). S’appuyant sur une enquête statistique du ministère de la Justice datant de 2013, elle démontre que la résidence alternée n’est demandée par les deux parents que dans 19 % des cas.
Comment dès lors expliquer que la systématisation de la résidence alternée figure en pole position dans un rapport sur les familles monoparentales ? Johanna Luyssen y voit une influence des associations de droits des pères séparés comme SOS Papa ou Jamais sans papa, qui militent pour une telle mesure en arguant, à tort, que la justice familiale est défavorable aux pères. « Si ces lobbies masculinistes insistent tant sur la systématisation de la résidence alternée, c’est qu’elle leur permet dans la majorité des cas de ne plus payer de pension alimentaire », analyse l’autrice.
De son côté, Noémie Khenkine-Sonigo dit ne pas « connaître l’agenda » derrière cette mesure, mais considère que l’obligation de résidence alternée pour toutes les familles, même celles qui ne la désirent pas, « n’est pas la bonne méthode ». Pour « un vrai changement de société », elle plaide plutôt pour un accompagnement des familles à la coparentalité comme cela existe déjà ailleurs, « afin d’apprendre aux parents à être une équipe après la séparation et de favoriser l’implication des pères auprès de leurs enfants ».
Pour faire de l’intérêt supérieur de l’enfant le principe cardinal des décisions rendues, il faut aussi donner plus de moyens à la justice, « afin que les magistrats aient davantage de temps pour prendre en compte la complexité de chaque situation familiale ». Noémie Khenkine-Sonigo reste donc attentive à la future mise en application de cette mesure. « J’espère que ce n’est qu’un point de départ pour construire une vraie réflexion sur le sujet. »
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