Réouverture de Notre-Dame: avec les messes, les présidents marchent sur des œufs

Les présidents de la Ve République et les messes? Il faut imaginer un funambule sur un fil. L'équilibre est précaire, le rapport subtil, les critiques régulières. Inutile de remonter loin dans le temps pour le mesurer.

Septembre 2023. Emmanuel Macron assiste à la messe donnée par le Pape François, à Marseille dans le Stade Vélodrome. D'un côté, des réprobations, plus particulièrement chez les insoumis, Jean-Luc Mélenchon accusant le chef de l'État de se "taper l'incruste". De l'autre, ce dernier, qui reste droit dans ses bottes, en marge de l'événement: "C'est ma place"; "je n'irai pas en tant que catholique, mais en tant que président."

La distinction résume bien l'enjeu de cette relation, singulière pour la France, République laïque où s'applique notamment la loi de séparation des Églises et de l'État, datant de 1905.

Des relations "inévitables"

"Notre tradition de laïcité, qui nous sépare par exemple de ce qui se passe en Angleterre, en Allemagne ou aux États-Unis, fait qu’il y a une vigilance de l’opinion et de la société sur ces relations", explique l'historien Jean Garrigues à BFMTV.com. "Sachant qu'elles sont inévitables dans la mesure où nous sommes un pays de tradition chrétienne, avec une importante communauté de catholiques, cultivant par ailleurs des relations avec l'État du Pape, le Vatican."

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Dès lors, les présidents doivent avoir le sens de la mesure, trouver le bon accord. Catholique pratiquant, Charles de Gaulle fait installer une petite chapelle à l'Élysée. Pour vivre sa foi de façon confidentielle, sans qu'elle soit associée à sa fonction.

Le général assiste bien à des messes publiquement. Mais uniquement à des occasions exceptionnelles. Alors président du gouvernement provisoire de la République française, il participe le 26 août 1944 au Te Deum à Notre-Dame, après la libération de Paris.

Devenu premier chef d'État de la Ve République, Charles de Gaulle se rendra également à une messe le 8 juillet 1962 à la cathédrale de Reims. Le contexte est bien particulier là aussi, l'objectif étant de célébrer la réconciliation franco-allemande, en compagnie du chancelier Konrad Adenauer.

Quand VGE participait à une messe de Jean-Paul II

L'usage est respecté par ses successeurs. Lorsque Valéry Giscard d'Estaing assiste à la messe à l'église de Bormes-les-Mimosas, à l'occasion de séjours au fort de Brégançon, résidence estivale des présidents, "on le voit participer à l'office, mais sans communier et sans manifestation ostensible de sa foi", raconte Jean Garrigues. L'édifice religieux accueille ensuite à plusieurs reprises Jacques Chirac, qui en profite pour s'offrir des bains de foule.

Si ces sorties se font sans encombre, la participation d'un président à une messe avait déjà suscité des critiques par le passé, bien avant celle d'Emmanuel Macron au Vélodrome. Cela remonte à 44 ans. Et plus exactement à la venue Jean-Paul II en France les 30 et 31 mai 1980.

À cette occasion, "VGE" assiste à la messe donnée par le pape, accueilli en grande pompe place de la Concorde. Une décision mise en cause par Libération à l'époque. "Après la Révolution de 1789, la séparation de l’Église et de l’État en 1905 a marqué l’entrée de la France dans la modernité institutionnelle. Hier, on en est sorti -par la porte de service", écrivait le journal.

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Pour autant, c'est surtout Nicolas Sarkozy qui a marqué les esprits de ce point de vue, étant celui à être "allé le plus loin dans une forme d'empathie vis-à-vis de l'Église avec une certaine ambiguïté", comme le rappelle Jean Garrigues. Et l'historien de citer "ce fameux discours du Latran, en décembre 2007, où il dit que l'instituteur ne pourra jamais remplacer le curé ou le pasteur."

Contentieux entre l'État républicain et l'Église

Tous ces exemples renvoient à un sujet plus large, concernant la République et l'Église. Entre les deux, "il y a tout un contentieux, qui est toujours en filigrane derrière les relations du président", explique Jean Garrigues. La première "s'est construite au XIXe siècle, face à la résistance de [la seconde] qui était un instrument politique de la monarchie. Donc, il y a un malentendu originel. Et ensuite le Vatican s'oppose à la République, au moins jusqu'au début de la Seconde Guerre mondiale", précise le professeur émérite à l'université d'Orléans.

C'est avec l'héritage de cette histoire qu'Emmanuel Macron doit composer ce week-end, à l'occasion de la réouverture de la cathédrale Notre-Dame de Paris, cinq ans après l'incendie qui l'a ravagée. Ce samedi, le président devait s’exprimer à l’extérieur de l’édifice, sur le parvis, pour s’éviter toute polémique, même si son discours s’est finalement déroulé à l’intérieur en raison des prévisions météorologiques. Ce dimanche, il assistera à la messe, sans prendre part à l'hostie. Un exercice de funambule.

Article original publié sur BFMTV.com