Rénovons le “foyer du peuple”

L’année 1928 est une année intéressante. C’est celle où Per Albin Hansson [social-démocrate, quatre fois Premier ministre entre 1932 et 1946], qui n’a pas encore été désigné “père” du peuple suédois, tient son célèbre discours sur le folkhem [la maison Suède ou, plus littéralement, le “foyer du peuple” : la Suède est vue comme une communauté où règnent la solidarité et l’égalité]. Cette allocution fondatrice est encore considérée comme une caution de l’Etat-providence suédois par une grande partie de la gauche suédoise, qui regrette ce bon vieux temps et les années fastes d’après-guerre. De façon assez inquiétante, on retrouve cette même nostalgie dans les rangs de l’extrême droite. Pour les nazis suédois, l’idéologie du folkhem garantit l’existence du “peuple”. Mais ne serait-il pas temps pour la gauche d’abandonner cette nostalgie du folkhem ?
Pendant les années 1920 et 1930, en même temps qu’émergeait l’idée de “grande famille suédoise”, l’Etat a pris un certain nombre de décisions politiques qui n’avaient rien d’actes isolés. En 1928, un institut sur la biologie des races, premier du genre dans le monde, existe déjà depuis six ans, voulu par les sociaux-démocrates. Pendant dix ans, de septembre 1935 à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les pasteurs suédois n’auront pas le droit de marier des individus d’origine juive avec des chrétiens, et la législation nazie s’appliquera également dans le pays. Quant aux Roms suédois, ils seront victimes d’une politique publique d’apartheid jusque tard dans les années 1960, et n’auront accès ni aux soins médicaux ni à l’école publique. Ces exemples montrent comment se bâtissent un peuple et une nation. Mais la critique de l’idéologie du folkhem doit-elle être une critique de l’Etat-providence suédois ? Je ne le pense pas. Il convient de faire la part du besoin de protection sociale des individus d’un côté, et des manquements discriminatoires de l’Etat de l’autre.
La question qui se pose est celle des limites de la démocratie. Peut-on se contenter d’une politique qui ne soit équitable que pour une partie de la population ? Certains pensent sérieusement que l’on peut prendre une idéologie et la vider de son histoire pour lui donner un nouveau sens. Ces gens-là ne voient-ils dans le folkhem qu’un simple mot, et non une idéologie nationaliste et social-démocrate vieille de quatre-vingts ans ? On peut se demander s’il est pertinent de reprendre une construction intellectuelle aussi étroitement liée à une époque et à ses événements politiques, et dont les conséquences ont affecté et affectent encore des citoyens.

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