Réforme des retraites : comment le récit du gouvernement s’est retourné contre lui

La Première ministre Élisabeth Borne a présenté la réforme des retraites ce mardi 10 janvier.
BERTRAND GUAY / AFP La Première ministre Élisabeth Borne a présenté la réforme des retraites ce mardi 10 janvier.

POLITIQUE - « Justice, Équilibre, Progrès ». C’est accompagnée de ce triptyque que la Première ministre Élisabeth Borne a dévoilé le contenu de sa réforme des retraites mardi 10 janvier. Dès le lendemain, les responsables de la Macronie répétaient avec application le même élément de langage : cette réforme est « juste ».

Deux semaines plus tard, cet argument de la lutte contre les injustices a pris un sacré coup. Ce lundi 23 janvier, le ministre en charge des Relations avec le Parlement, Franck Riester, a concédé qu’une des mesures clés de la réforme allait pénaliser davantage les femmes, comme le pointe l’étude d’impact commandée par le gouvernement révélée le même jour par Les Échos.

Juste ou injuste ?

« Les femmes, pour atteindre leur durée de cotisation, utilisent notamment des trimestres validés par enfant […]. Évidemment, si vous reportez l’âge légal, elles sont un peu pénalisées », a-t-il déclaré sur Public Sénat. Pourtant, le 10 janvier, la cheffe du gouvernement semblait promettre précisément l’inverse, en décrivant une réforme « plus juste notamment pour les femmes ». Alors, juste ou injuste ?

Dans la majorité en tout cas, difficile de s’y retrouver. « Je ne dis pas que cette réforme est juste, mais elle est nécessaire », a déclaré vendredi 20 janvier sur Sud Radio le député Renaissance de Paris Gilles Le Gendre, tout en affirmant que le texte corrige « un certain nombre d’injustices flagrantes dans le système actuel ».

Déjà sceptique sur l’objet de la réforme, l’ancienne ministre Barbara Pompili (toujours membre de la majorité) estime que la copie rendue par le gouvernement n’est pas « juste socialement ».

De quoi entretenir une confusion dans laquelle s’engouffrent les oppositions. « Même le gouvernement finit par reconnaître que les femmes seront ’pénalisées’ par le report de l’âge légal. Plus les jours passent et plus tout démontre l’injustice de ce projet », a réagi le patron (contesté) du PS, Olivier Faure. « Je ne peux pas laisser dire que notre projet ne protégerait pas les femmes, au contraire » , a répliqué Élisabeth Borne ce mardi lors des questions au gouvernement, dénonçant un « faux procès » instruit par la gauche. Elle cite par exemple la prise en compte des trimestres de congé parental.

Cela fait en réalité plusieurs semaines que la Macronie a du mal à convaincre du caractère « juste » de cette réforme. Et ce ne sont pas les visuels fabriqués par le parti présidentiel (et raillés par la gauche) qui ont facilité le travail de « pédagogie » voulu de l’exécutif.

Au-delà des adversaires politiques de la majorité, plusieurs voix savantes alertent également contre certains effets du texte. À l’image d’Olivier Mériaux, ancien haut fonctionnaire ayant travaillé sur le précédent projet de réforme, abandonnée à cause du Covid. Dans Le Monde ce mardi 24 janvier, l’ancien directeur technique et scientifique de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail juge « hypocrite » et « dangereux » le report de l’âge légal, mesure sur laquelle le gouvernement se montre inflexible.

L’intérêt de la réforme est lui aussi interrogé

« Rien dans le projet actuel n’est en mesure d’’équilibrer’ le caractère fondamentalement inéquitable du report de l’âge légal et ses conséquences désastreuses en termes de cohésion sociale », écrit cet expert du sujet. Analyse aussitôt partagée par le leader de la CFDT, Laurent Berger.

Autre argument brandi par Élisabeth Borne, la « nécessité » de mener à bien cette réforme. Ce que martèlent les députés Renaissance en défense du dispositif. « Il ne s’agit de rien d’autre que de sauver le système par répartition », insistait en fin de semaine auprès du HuffPost le député Renaissance de Paris Pieyre-Alexandre Anglade.

Or, l’audition par l’Assemblée nationale de Pierre-Louis Bras, président du Conseil d’Orientation des Retraites (COR), a donné du grain à moudre à ceux qui martèlent que cette réforme est inutile. Et pour cause, il a affirmé que « les dépenses de retraites ne dérapent pas, elles sont relativement maîtrisées, dans la plupart des hypothèses, elles diminuent plutôt à terme ».

Suffisant pour nourrir une forme de scepticisme sur la nécessité de cette réforme, même si ce même Pierre-Louis Bras a affirmé dans cette même audition que le système de financement devrait se dégrader au-delà de 2022, par un manque de recettes. Dans un sondage Elabe pour BFMTV, 53 % des Français jugent la réforme « pas nécessaire » et 57 % inefficace.

Résultat, des voix dissonantes commencent à se faire entendre du côté de Renaissance. Député macroniste de l’Hérault, Patrick Vignal a fait savoir qu’il ne voterait pas le texte en l’état. « La France est en colère en ce moment et moi j’ai envie d’éteindre la colère », a-t-il déclaré ce mardi sur franceinfo, appelant le gouvernement à « enrichir le texte en écoutant nos territoires ».

Sur le papier, le gouvernement affirme être prêt à tendre la main. Sur le papier. Car en réalité, le gouvernement se montre inflexible sur les fondements de la réforme, comme le report de l’âge légal, ou le refus d’intégrer la hausse des cotisations patronales pour participer à l’effort. Une volonté de discuter à la marge qui n’est pas de nature à calmer les oppositions à la réforme, qu’elles soient politiques ou syndicales.

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