Réforme des retraites: une photo de Patrick Kanner, symbole de la bataille réglementaire au Sénat

Le président du groupe socialiste au Sénat Patrick Kanner photographié lors des débats sur la réforme des retraites - BFMTV
Le président du groupe socialiste au Sénat Patrick Kanner photographié lors des débats sur la réforme des retraites - BFMTV

Le Sénat n'est pas un théâtre enflammé similaire à l'Assemblée nationale. D'ailleurs, ses élus ne manquaient pas de le souligner avant l'examen de la réforme des retraites.

Reste que depuis le début des débats, les membres du Palais du Luxembourg se rendent coup pour coup. D'un côté, la majorité sénatoriale de droite n'hésite pas à utiliser tous les moyens en sa possession - dont l'article 38 du règlement du Sénat notamment - pour accélérer les débats.

"On en bouffe du règlement"

De l'autre côté, la gauche multiplie les rappels au règlement et les sous-amendements pour se faire entendre, au point que Bruno Retailleau, chef de file des sénateurs Les Républicains (LR), les accuse de "se mélenchoniser".

Cette nuit encore, la bataille parlementaire a été disputée. À l'origine des désaccords: Catherine Deroche. La présidente LR de la Commission des Affaires sociales a demandé la priorité pour l'un de ses amendements. Conséquence: l'élimination d'une soixantaine de sous-amendements de la gauche.

Furieuse, cette dernière a multiplié les rappels au règlement. Avec un symbole: une photo du patron des sénateurs socialistes, Patrick Kanner, avec un livre sur le règlement du Sénat dans la bouche. Le cliché, publié par la sénatrice PS Marie-Pierre de La Gontrie, a ensuite été supprimé, mais relayé par un sénateur Renaissance, Xavier Iacovelli.

"C'est le signe d'un agacement profond", relève Matthieu Croissandeau, éditorialiste politique sur BFMTV. "

"Mais, c'est le signe aussi qu'on en bouffe du règlement dans ce débat sur les retraites, qui a permis a beaucoup de monde de découvrir ou redécouvrir les subtilités de notre système politique".

Le 47.1, l'article 38 du Sénat, le 44-2...

Premier exemple: le véhicule législatif utilisé par le gouvernement pour passer son texte, un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale (PLFRSS). Cela lui permet notamment d'enclencher l'article 47.1 de la Constitution et de limiter ainsi à 50 jours les débats au Parlement. Faute d'adoption de la réforme dans ce délai, le gouvernement peut procéder à sa mise en œuvre par ordonnances.

Au Sénat, la majorité de droite, favorable au projet de loi du gouvernement, a elle aussi recours à différentes dispositions, limitant la durée des débats. Au premier rang, l'article 38.

Il stipule que "lorsqu'au moins deux orateurs d'avis contraires" sont intervenus dans la discussion générale d'un texte, sur un amendement, un article ou même l'ensemble du projet de loi, le président du Sénat, un président de groupe ou encore le président de la commission concernée par le texte, peut proposer la clôture, entraînant ainsi un vote à main levée des sénateurs.

Cet article a notamment été mis en œuvre lors du vote sur l'article 7 fixant le report progressif de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. "Vous voulez bâillonner l'opposition", a dénoncé Patrick Kanner.

Tout ne s'arrête pas là au Sénat. Le gouvernement s'est invité dans la danse réglementaire du Palais du Luxembourg ce jeudi. Comment? En dégainant l'article 44-2. Une façon pour Olivier Dussopt, ministre du Travail, de lutter contre "une volonté d'obstruction" de la gauche et ses multiples sous-amendements évoqués plus haut.

Des conditions de débat "hors-normes"

Cet article précise qu’"après l'ouverture du débat, le Gouvernement peut s'opposer à l'examen de tout amendement qui n'a pas été antérieurement soumis à la commission".

Comme la bataille réglementaire est décidément très dense, l'article 44-3 pourrait également sortir de sa boite. Il permet "si le Gouvernement le demande", à "l'assemblée saisie" de "se prononce[r] par un seul vote sur tout ou partie du texte en discussion en ne retenant que les amendements proposés ou acceptés par le Gouvernement". Autrement dit, les sénateurs pourraient s'exprimer non-plus article par article mais sur l'ensemble du texte.

Pour Matthieu Croissandeau, cette avalanche réglementaire démontre que "les conditions de ce débat sont hors-normes". "Il y a toujours eu des procédures au Parlement, mais le choix d'une procédure très peu utilisée jusqu'ici par le gouvernement (le 47.1, ndlr) pour mener la discussion au pas de charge fait que les conditions d'un débat serein ne sont pas réunies".

Et bientôt le 49.3?

Les sénateurs ont jusqu'à dimanche à minuit pour examiner l'ensemble de la réforme des retraites. S'ils n'y arrivent pas, il y a de fortes chances que l'on parle d'un autre article: le LO111-de la Sécurité sociale. Lequel prévoit que le texte reparte à l'Assemblée nationale si le Sénat "n'a pas émis un vote en première lecture sur l'ensemble du projet dans le délai imparti".

Et tout n'est pas terminé. Cerise sur le gâteau: un autre article, davantage connu, pourrait être dégainé, le 49.3. Il permet à l'exécutif de passer un projet de loi sans vote des députés. Son utilisation devient de plus en plus probable, alors que des divisions existent au sein du camp présidentiel, tout comme chez Les Républicains. Ce qui met en difficulté la macronie, déjà fragilisée par sa position de majorité relative à l'Assemblée nationale.

Article original publié sur BFMTV.com