Comment la réforme des retraites éprouve la majorité

L’unité du camp présidentiel révèle ses failles dans la séquence sur la réforme des retraites. À propos de la réforme phare d’Emmanuel Macron, mais pas seulement.

POLITIQUE - Il y a la belle image. Celle permise par le premier congrès d’Horizons, la formation d’Édouard Philippe, samedi 25 mars. Élisabeth Borne, François Bayrou, Stéphane Séjourné, Yaël Braun-Pivet… Tous les pontes du camp présidentiel s’étaient donné rendez-vous autour du maire du Havre pour une réunion politique aux allures de thérapie de groupe, dans un climat social explosif. Et il y a les petits mirages.

Derrière la photo, la majorité - relative - ressort essorée de ces trois mois cauchemardesques de réforme des retraites. Aux doutes de certains députés macronistes sur le fond du projet, se sont ajoutés au fil du temps les crispations sur la méthode de l’exécutif, avec en point d’orgue l’usage de l’article 49.3 de la Constitution.

Dans ce contexte, c’est l’unité du camp présidentiel qui est mise à rude épreuve. La cohésion censée lier les trois composantes de la Macronie, Renaissance, le MoDem et Horizons a révélé des failles, tout au long des débats, un coup sur les carrières longues, l’autre sur la main tendue de Laurent Berger, souvent sur les propositions de loi de chaque camp.

Le groupe vit moyen

« Cela pourrait mieux fonctionner », a reconnu Édouard Philippe en ce sens, samedi dernier, devant ses troupes et les cadres de la majorité. Un euphémisme. Car en coulisse, les mots se font plus acerbes entre des partis tentés de s’accuser mutuellement de jouer perso à mesure que les ressentiments s’accumulent. « Les centristes font toujours ça », peste par exemple un poids lourd chez Renaissance, un brin désabusé quand on l’interroge sur la dernière dissension publique entre le MoDem et le gouvernement.

Jean-Paul Mattéi, le chef des députés du parti de François Bayrou, s’est montré ouvert à la proposition de médiation avancée par Laurent Berger, mardi, quelques secondes après le refus sans ambages d’Olivier Véran. De la friture sur la ligne ? « À chaque fois que je vois Mattéi, il avance une idée et recule trois heures après », se marre notre marcheur, comme pour ironiser sur l’inconstance supposée des « centristes » ou minimiser un nouveau raté.

« Au MoDem, c’est dans l’ADN d’être transpartisan, mais ce n’est pas le cas de tout le monde »
Bruno Millienne, député MoDem

Il n’empêche, cette tension larvée a débouché sur plusieurs plantages concrets depuis le début de l’année. Et pas uniquement sur la réforme phare des retraites. Premier exemple à l’Assemblée avec la proposition du groupe Horizons sur les peines plancher pour certains délits de violence. Le texte est torpillé par Renaissance en deux temps, le 15 février en Commission, puis début mars dans l’hémicycle. Agacée, Naïma Moutchou, la députée qui porte la proposition fustige alors les « coups tordus » de ses collègues.

Deuxième anicroche quelques jours plus tard, le 8 mars, avec un texte d’Aurore Bergé, la cheffe des marcheurs à l’Assemblée qui veut imposer une peine d’inéligibilité à davantage d’auteurs de violences, en prenant le cas d’Adrien Quatennens pour exemple. Proposition refusée par ses alliés du MoDem et d’Horizons au terme d’une séance houleuse au Palais Bourbon.

Plus récemment encore, la majorité n’a pas réussi à s’épargner une autre crise de nerfs avec des troupes philippistes qui accusent le gouvernement de lui avoir chapardé une proposition de loi sur la ruralité. « Ils n’ont même pas changé une virgule ! C’est du jamais vu de la part d’un cabinet », s’est ému le député Horizons Frédéric Valletoux auprès de Politico mercredi, avant que François Patriat, le sénateur Renaissance qui a récupéré le dossier, ne retire sa proposition, en signe d’apaisement. « Une maladresse », décrit le député Bruno Millienne quant à ce dernier épisode. « Il faut se parler, se mettre autour de la table » exhorte-t-il, pour régler ce genre de difficultés en amont.

Des ténors trop « pusillanimes » ?

Le député MoDem fait partie de ceux qui tentent de relativiser les dissensions dans le camp présidentiel pour appeler à l’unité sacrée. « La majorité ne se fissure pas », relève-t-il, malgré ces bisbilles. Elle « a été solide et unie », renchérit François Patriat, le chef de file des sénateurs macronistes, sans réfréner toutefois une petite pique à l’égard des ténors Édouard Philippe et François Bayrou, sans doute « trop pusillanimes » à ses yeux. « Ils ont fait des affirmations de soutien, de loyauté, mais ils n’ont pas été tous très allants », pointe l’ancien socialiste bourguignon.

Bruno Millienne évoque « l’apprentissage difficile » de certains en temps de majorité relative : « Au MoDem, c’est dans l’ADN d’être transpartisan », explique-t-il, prenant soin de préciser, « mais ce n’est pas le cas de tout le monde » dans le camp présidentiel.

« Il y a eu un moment où certains ont accusé le coup après le 49.3 »
Pieyre-Alexandre Anglade, président Renaissance de la Commission des Affaires européennes à l’Assemblée

De quoi interroger la solidité des fondations de la maison commune ? « Je ne sais pas si c’est un manque de cohésion », hésite le député Erwan Balanant en parlant davantage d’un temps « suspendu », en attendant le Conseil constitutionnel. Mais pas seulement. Pour lui, comme pour d’autres, c’est le président de la République qui doit désormais sortir ses troupes de l’enlisement, pour qu’elles arrêtent de se tirer dans les pattes.

« On a du mal à savoir où on va. Que ce soit les groupes ou les individus, on a des visions politiques, des idées, mais là, vu nos institutions, il n’y a que le président qui peut préciser un cap précis », remarque l’élu MoDem du Finistère, en appelant de ses vœux à un « rebond », « très vite », pour rompre avec les « querelles politiciennes. ». « Que celles et ceux qui sont perdus ou ne savent pas où on va reprennent le cap très clair fixé par le Président devant nous à l’Élysée », répondrait presque à distance son collègue Renaissance Pieyre-Alexandre Anglade. Une compréhension à géométrie variable dans une situation de grande instabilité politique et des agacements qui se lisent entre les lignes.

2027 dans les têtes

Derrière cela transparaît l’influence décroissante d’Emmanuel Macron sur ses troupes, un président sans majorité absolue qui ne peut pas se représenter dans quatre ans. Certains marcheurs n’hésitent pas à prendre leur distance publiquement avec le chef de l’État, à l’image encore récemment de Patrick Vignal ou Stella Dupont. Après avoir menacé de voter contre la réforme, les deux députés se sont montrés ouverts à la médiation voulue par Laurent Berger, malgré la fin de non-recevoir apposée par Olivier Véran.

Plus globalement, l’exercice du pouvoir par Emmanuel Macron pendant cette crise commence à crisper dans les rangs macronistes. « Il y a eu un moment où certains ont accusé le coup après le 49.3 », confie Pieyre-Alexandre Anglade, le président de la Commission des Affaires européennes à l’Assemblée, qui salue tout de même une « majorité resserrée dans un temps politique très dur ».

À cela s’ajoute le départ, précoce, de la course aux petits chevaux pour la future présidentielle, et donc à la démarcation politique, a fortiori dans le camp présidentiel. « Beaucoup de monde pense à 2027 », confirme Pieyre-Alexandre Anglade. « Certains y songent très fortement » ajoute Bruno Millienne quand son collègue Erwan Balanant évoque même un « mal français » couru d’avance, délétère pour l’unité.

« On s’en doutait un peu, vu que le président ne peut pas se représenter », nous dit le centriste, pour qui « c’est beaucoup trop tôt et ça ne fonctionnera que si on réussit, donc il faut jouer collectif. » Et d’ajouter, toutefois, pour tempérer : « Pour autant, ce n’est pas vraiment l’ambiance que j’observe, il faut que ça dure et c’est aussi pour ça que Borne peut tenir. » Neutraliser les ambitieux ? Et si c’était cela, le point fort de la Première ministre pour prolonger son bail à Matignon ?

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