L'ex-président tchadien Hissène Habré condamné à la perpétuité

L'ancien président du Tchad Hissène Habré a été condamné à la réclusion criminelle à perpétuité lundi par une juridiction africaine ad hoc qui l'a reconnu coupable de crimes contre l'humanité, torture et crimes sexuels lorsqu'il était à la tête de son pays entre 1982 et 1990. /Photo d'archives/REUTERS/Aliou Mbaye

par Diadié Ba DAKAR (Reuters) - L'ancien président du Tchad Hissène Habré a été condamné lundi à la réclusion criminelle à perpétuité par une juridiction africaine ad hoc qui l'a reconnu coupable de crimes contre l'humanité, de torture et de viols lorsqu'il était à la tête de son pays entre 1982 et 1990. L'ex-président, poursuivi pour crimes de guerre, crimes contre l'humanité et actes de torture, était jugé depuis le mois de juillet dernier par les Chambres africaines extraordinaires (CAE), juridiction spéciale à caractère international créée en février 2013 dans le cadre d'un accord entre l'Union africaine et le Sénégal. Arrêté en juin 2013, Hissène Habré est devenu le premier ancien chef d'Etat à être jugé "au nom de l'Afrique" par une juridiction africaine pour des crimes de guerre et crimes contre l'humanité. L'ancien dirigeant, qui réfute les accusations portées contre lui et avait choisi d'observer le silence devant une juridiction qu'il récuse depuis le début du procès, dispose de deux semaines pour faire appel. Le verdict met fin à une procédure longue de seize ans menée par des victimes et des associations de défense des droits de l'homme pour traduire en justice l'ex-dirigeant tchadien, renversé en 1990 par un coup d'Etat d'un de ses anciens conseillers, Idriss Déby, actuellement président en exercice. "Après des années de lutte et de nombreux déboires sur le chemin de la justice, ce verdict est aussi historique que durement acquis", a commenté le Haut-Commissaire aux droits de l'homme de l'Onu dans un communiqué. "Ce verdict envoie un message clair aux personnes responsables de graves violations des droits de l'homme à travers le monde pour leur dire que nul n'est au-dessus de la loi et qu'elles pourraient aussi être traduites en justice pour leurs crimes", a poursuivi Zeïd Ra'ad Al Hussein en rappelant les précédents de l'ancien président du Liberia Charles Taylor et du dirigeant bosno-serbe Radovan Karadzic. JUSQU'A 40.000 VICTIMES Le verdict a aussi été salué par les organisations de défense des droits de l'homme. "La condamnation d'Habré pour ces crimes horribles vingt-cinq ans après est une immense victoire pour les victimes tchadiennes", a estimé Reed Brody, membre de Human Rights Watch, qui a participé aux enquêtes sur les crimes commis sous le régime d'Hissène Habré. "Ce verdict constitue un puissant message selon lequel le temps est fini où les tyrans pouvaient martyriser leurs peuples, piller leurs ressources et s'enfuir à l'étranger pour y mener des existences luxueuses", a ajouté Reed Brody. La procédure et le verdict rendu lundi démontrent que l'Afrique est en mesure de juger elle-même les dirigeants accusés de crimes et que le continent n'a pas à s'en remettre à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye. Les audiences du procès se sont focalisées sur la responsabilité d'Hissène Habré dans l'assassinat et la torture d'opposants politiques et de rivaux appartenant à d'autres ethnies. Une commission d'enquête, créée par décret en 1990, a rendu en 1992 un rapport dans lequel elle estimait que plus de 3.800 personnes avaient été victimes d'exécutions sommaires pour des motifs politiques mais précisait que, selon ses estimations, le bilan pourrait atteindre 40.000 victimes. Ces évaluations se fondaient sur des documents de la Direction de la documentation et de la sécurité (DDS), police politique chargée du renseignement et de la surveillance intérieure. En 2001, Human Rights Watch avait mené une seconde enquête et mis au jour plusieurs milliers de documents abandonnés au quartier général de la DDS montrant qu'Hissène Habré était régulièrement informé de la situation des détenus politiques. Au cours du procès, un expert graphologue a confirmé que des notes manuscrites retrouvées en marge d'un de ces documents étaient de sa main. (avec Stéphanie Nebehay à Genève, Pierre Sérisier et Tangi Salaün pour le service français)