Publicité

Récit intime, fanzine déjanté, fiction satirique... comment la BD raconte la pandémie et le confinement

Détail de la couverture du
Détail de la couverture du

Rompus à l’exercice du télétravail et capable de s’adapter en temps réel à n’importe quelle situation, auteurs et autrices de BD multiplient les formats (fanzine, carnet intime, gags) pour raconter le confinement et la pandémie.

Si certains libraires estiment que ces albums arrivent trop tard, pour les auteurs et les lecteurs, ils ont cependant des vertus thérapeutiques. Ces "BD Covid" ont toutes été conçues au printemps, en réaction à la situation exceptionnelle que vivait le monde: "Quand cette pandémie a commencé, c’était tellement riche, il y avait tellement de choses qui se passaient dans la société, dans l’économie, dans la politique, dans la vie quotidienne, que le sujet s’est imposé", résume Jul, dont le neuvième tome de Silex and the City, La Dérive des confinements, paraît chez Dargaud le 20 novembre.

Sentiment partagé par Sophie Lambda, qui a publié le 2 septembre Le Monde au balcon (Albin Michel). L’autrice, qui avait recommencé en janvier dernier à dessiner avec feutres et crayons sur un carnet, après avoir longtemps travaillé avec une palette graphique, venait de reprendre goût à dessiner les choses de la vie quotidienne. Lorsque le confinement a été décrété, elle a aussitôt eu l’idée de poursuivre son expérience et de consigner ce qu’elle vivait et ce qu’elle voyait depuis son appartement nantais:

"Je me suis aussitôt adaptée à notre nouveau quotidien. Au début, j’ai dessiné ce que je vivais, puis, au bout d’un moment, je ne vivais plus grand chose donc j’ai parlé de ce que je voyais dehors, de ce qui se passait dans l’actualité. Je me suis concentrée sur l’anecdotique et ce qui touche vraiment les gens au quotidien: ce qui s’est passé avec la nature, les animaux, etc. Ce qui faisait notre quotidien au-delà des discours et des chiffres."

Nicoby, qui vit dans la campagne rennaise, a eu la même intuition. Le dessinateur, qui raconte déjà son quotidien d’auteur dans Mes Quatre saisons, un album à paraître chez Dupuis le 2 octobre, s’est mis dès le premier jour du confinement à raconter ce qu’il voyait par sa fenêtre. "J’ai tout de suite vu que c’était un matériel rigolo pour générer des histoires. J’en ai fait deux pages, puis le lendemain j’en ai refait deux autres et puis je me suis rendu compte que je venais de me prendre au piège. J’ai continué à sortir mes deux pages quotidiennes sans anticiper que ce serait aussi long. À la fin je me suis retrouvé avec 120 pages."

La contemplation plutôt que l’actualité

Comme Sophie Lambda, Nicoby a refusé d’évoquer l'actualité: "Mon biais était de ne pas être anxiogène. Ils ne sont donc jamais nommés. Je ne voulais pas être tributaire des hommes politiques. J’avais envie que ça reste intemporel et que ce ne soit pas gênant si dans dix ans on ne sait pas qui est Macron." La publication quotidienne de ces images sur les réseaux sociaux s’est imposée comme un rituel chez les lecteurs de Nicoby et de Sophie Lambda. L’idée de les réunir dans un livre aux allures de "carnet de voyage à la maison", avec des dessins inédits, réalisés également à chaud, avant la fin du confinement, s’est imposée rapidement:

"Ils m’avaient suivi pendant deux mois et demi et voulaient avoir ce carnet-là chez eux. Ils avaient envie de garder un souvenir. Les gens ont sans doute peur que cette période devienne dans dix ou quinze ans seulement quelques pages dans un livre d’histoire et que l’on oublie comment était le quotidien. Ils veulent se rappeler comment on vivait", analyse Sophie Lambda.

Depuis sa sortie, son Carnet dessiné d'un printemps confiné a fait son petit effet: "Beaucoup de gens m’ont écrit pour me dire qu’ils l’avaient lu avec leurs enfants et que ça leur avait fait du bien." Nicoby a rencontré un succès similaire avec ses dessins "feel good", qu’il a intitulé de manière facétieuse C’est la guerre, en référence à la formule de Macron. L’album, "prévu pour décembre ou janvier", a été financé sur Ulule grâce au financement participatif.

Tous les trois confinés à Fécamp en Normandie, Catel, Blutch et Bastien Vivès publieront le 6 novembre Pendant ce temps à Fécamp (Dupuis/Aire Libre), cahier réunissant 120 dessins réalisés au printemps pendant cette période particulière. Cet ouvrage permet de découvrir comment trois personnes peuvent réagir de manière différente à une même situation. "Après l’état de sidération, j’ai eu comme réflexe de me raccrocher à quelque chose de concret. Je me suis dit que je devais faire au moins un dessin par jour, n’importe lequel, pour raconter mes émotions, mes impressions", raconte Catel, qui a observé à travers ses dessins l’effet de l’arrivée du printemps sur la faune et la flore.

"Je pensais au début que ce serait limité, comme il ne se passait pas grand chose. Ces contraintes m’ont permis d’être plus créative. Ma quête n’a pas été de faire une très belle image chaque jour. Ce n’était pas une recherche esthétique, mais plutôt une vision instantanée, une émotion du jour, qu’elle soit étrange, curieuse, loufoque ou juste graphique. C’était vraiment un mélange. Parfois c’était raté, parfois réussi. Ce sont des expériences qui m’ont beaucoup apporté"

Pendant ce temps, Vivès réalisait des gouaches de Romy Schneider et Michel Piccoli et Blutch faisait des dessins “très plastiques, très personnels" de sa femme.

"Un primate marseillais invente la bananosilexidrine"

Désormais en rupture de stock, le fanzine Autorisation de Déplacement Dérogatoire de Gilles Rochier et Fabrice Erre est sans doute le plus grand succès de la "BD Covid". Le duo n'avait "pas du tout" l’ambition de faire un journal de confinement. "Au contraire, on vomissait un peu cette idée", précise Gilles Rochier. "Fabrice et moi, on est un peu hypocondriaque. Le premier jour de confinement, il m’a envoyé une case pour me demander de mes nouvelles. Je lui ai répondu par une case et on n’a jamais arrêté depuis le 16 mars - et on continue à le faire."

Réunies dans un fanzine complètement déjanté, ces cases improvisées au jour le jour racontent les aventures de deux auteurs de BD pourchassés par le GIGN et Alexandre Benalla. "L’idée était de faire ce qu’on voulait. La surenchère, l'absurde, ce n’est pas mon domaine. Je joue un peu en Champion’s League avec Fabrice Erre. J’ai dû me laisser aller. Ce n’était pas forcément évident. J’ai fait un peu n’importe quoi. C’était ça l’idée", ajoute le dessinateur, qui dit s’être donné "le luxe" de bien ou mal dessiner certaines cases.

Le fanzine est truffé de références à la pop culture, de Bruce Lee à Bourvil en passant par Pierre Richard et Pacman. L’expérience devrait se poursuivre jusqu’à la fin de la pandémie. Le deuxième tome est bouclé "à 90%" et devrait sortir dans les prochains mois. Le premier, épuisé, devrait être réimprimé prochainement.

L’humour débridé est aussi la marque de fabrique de Jul, le créateur de Silex and the city, dont le neuvième tome, La Dérive des confinements, paraît chez Dargaud le 20 novembre prochain. À l’autobiographie, il a préféré le décryptage de l’actualité et tendre à ses contemporains un miroir déformant. Après l'essor du Néolithique en marche et de l’homme de cro-macron, il s’attaque au professeur Oraoultang, "un primate marseillais qui invente la bananosilexidrine, un vaccin à base de banane et de silex écrasés".

La période lui a fourni mille et une idées. Il a imaginé des autorisations d’évolution dérogatoire "pour arrêter d’évoluer". Afin de respecter les distances de sécurité, les stalactites et les stalagmites doivent être séparées d’un mètre cinquante. Et quoi de plus préhistorique que le confinement? "S’enfermer au fond d’une grotte pour échapper à un danger extérieur auquel on ne peut rien faire, c’est un peu le principe du Paléolithique!", s’amuse le dessinateur.

Il voit en La Dérive des confinements "un outil pour essayer de comprendre" l’épidémie: "Je considère que Silex est un peu un mode d’emploi pour se libérer des conneries qui nous entourent. C’est un peu un exutoire." La chute de l’album, en toute logique, est une moquerie du fameux monde d’après. La famille Dotcom quitte l’âge de pierre pour s’installer au Jurassique.

Article original publié sur BFMTV.com