La réalité virtuelle s’est invitée à cette réunion des Narcotiques Anonymes

SANTÉ - 19h. L’appartement chaleureux où nous nous trouvons surplombe la ville que l’on observe au travers de grandes baies vitrées. En face de nous, des immeubles et un pont ressemblent étrangement à ceux que l’on retrouve à New York.

À l’intérieur, les murs très hauts sont bleus et blancs. Le soleil vient s’y refléter, ainsi que sur l’immense télévision à l’écran noir qui décore la pièce. Un panier de basket avec des ballons nous tend les bras, mais des voix nous appellent à l’étage. Sur la mezzanine, l’association des Narcotiques Anonymes a réuni un groupe d’une dizaine de personnes autour d’une table, comme vous pouvez le voir dans la vidéo ci-dessus. Un peu en retrait, d’autres invités, dont Le HuffPost, les écoutent.

Difficile de vous préciser où ils se trouvent exactement. Pour les rejoindre ce jeudi 17 février, il fallait être équipé d’un casque VR et avoir reçu une invitation de la plateforme “AltSpaceVR”. Dans l’application, la société VR Academie avait pensé un appartement pour la soirée, baptisé le “NA Verse”. Pour la première fois depuis le lancement de l’association en France, il y a une cinquantaine d’années, ces anonymes ont réalisé leur réunion en réalité virtuelle.

Les Narcotiques Anonymes sont des groupes de parole répartis à travers le monde. 250 d’entre eux se réunissent de manière hebdomadaire en France. Ces rendez-vous ont pour objectif de venir en aide aux personnes qui ont un problème d’addiction à la drogue et qui souhaitent arrêter, en recherchant du soutien auprès de ceux qui vivent une situation similaire. Pour cette grande première, ils sont huit à être présents dans cet appartement virtuel. Ils s’appellent, ou se font appeler, Élise, Lola, Caroline, Rabah, Lana, Caroline, Alex, Raf ou encore Fred.

Quand les langues se délient derrière un casque de VR

Le côté virtuel n’a rien changé à leurs habitudes. “Il est 19h, bienvenue à la première réunion des ‘NA verse’. Je suis Raphaël et je suis dépendant”. “Bonjour Raphaël”, lui répondent en chœur les autres. Après avoir réalisé une “lecture de qui est dépendant et dépendante”, comme à chaque fois qu’ils se retrouvent, les anonymes sont appelés à prendre la parole environ trois minutes chacun. Un énorme chronomètre se lance sur la télévision en face d’eux quand quelqu’un commence à parler.

À tour de rôle, ils se sont donc confiés sur leur histoire. “J’ai un parcours assez classique de quelqu’un qui se défonce. Je me suis couché tous les soirs en me disant “demain j’arrête”. Le seul sens à ma vie, c’était de me défoncer et de trouver des moyens pour le faire”, se confie Fred. Cela fait 20 ans qu’il fait partie des Narcotiques Anonymes. Aujourd’hui, il est fier de préciser qu’il a trouvé un sens à sa vie, et ce n’est plus la drogue. Quelques minutes après lui, c’est Élise qui prend la parole. Elle se rappelle d’un moment sombre de sa dépendance. “J’ai fait une overdose qui m’a transformée en légume. Je ne savais plus parler, plus écrire”, précise-t-elle. Tout comme Fred, elle a su remonter la pente en trouvant une écoute et du soutien auprès des membres de l’association.

Si tous ont ressenti une certaine facilité à prendre la parole, le côté technologique n’a pas toujours été simple. Lola a parfois eu du mal à trouver sa place avec les deux manettes. Elle aura même un fou rire quand Élise lui tournera subitement le dos.

“C’est assez magique quand même”

Fred avoue avoir été un peu “impressionné par cette nouvelle expérience, mais je suis ravi d’en faire partie”. Alex, lui, explique avoir mis “un peu de temps à entrer dans la réunion.” Puis précise: ”ça fait comme d’habitude finalement”. Pour la plupart des personnes présentes, elles se sont déjà rencontrées dans la vraie vie. Ces anonymes reconnaissent leurs voix, leurs rires et leurs tics de langage. “Une fois que je suis dans la réunion, j’ai le cœur qui bat, comme si on était vraiment ensemble. C’est assez magique quand même”, s’exclame Élise une fois la table ronde terminée.

Cette réunion en réalité virtuelle avait un avantage. Elle a permis de respecter l’anonymat des participants grâce aux avatars créés. Néanmoins, certains ont déjà vu les limites d’un tel dispositif. Élise est attachée aux réunions physiques. “Ma dépendance m’a amené à m’isoler. C’est important pour moi de me déplacer, d’aller vers les gens, car je peux facilement me renfermer.” Pour Lola, cette solution numérique est “une chance”, mais elle nuance. “Même si on s’entend, on ne se voit pas avec nos vraies têtes. Il n’y a pas l’atmosphère de la vraie vie, ça reste virtuel malgré tout.” Pour Fred, “il manque les sourires, ces trucs indéfinissables où l’on se sent humain, quand on touche les gens avec nos partages.” Ils sont tout de même d’accord sur un point: avoir un casque VR visé sur la tête leur permet de ne pas regarder leur portable et de rester concentrés sur ce qu’il se dit.

Si cette réunion en VR était une première, les Narcotiques Anonymes se réunissent depuis plus de deux ans sur Internet. Les rendez-vous via Zoom se sont multipliés à cause de la crise sanitaire. Ces appels sont entrés dans leurs habitudes, ce qui n’est pas encore le cas de la réalité virtuelle. Pour le moment, le prochain “NA Verse” n’a pas de date, mais s’organise déjà.

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Cet article a été initialement publié sur Le HuffPost et a été actualisé.

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