"Le régime tue quand il a peur": en Iran, la peine de mort pour réprimer le soulèvement "Femme, vie, liberté"
Il y a deux ans, le 16 septembre 2022, l'Iran s'embrasait. Des femmes et des hommes descendaient dans les rues du pays pour protester contre la mort de Mahsa Amini, jeune femme irano-kurde, morte en détention après son arrestation pour port "inapproprié" du hijab à Téhéran.
Le mouvement "Femme, vie, liberté" est né se dressant face à la République islamique d’Iran, à sa politique discriminatoire envers les femmes, à son oppression, à la situation économique du pays. Un mouvement dont les flammes ont été étouffées par la répression du régime, pour ne laisser que des braises deux ans après.
Une des armes de la République islamique pour parvenir à ses fins? La peine de mort. En 2023, 853 personnes ont été exécutées dans le pays, soit une augmentation de 48% par rapport à 2022 et de 172% par rapport à 2021, selon un rapport d'Amnesty international publié le 4 avril dernier - le plus grand nombre d'exécutions documenté depuis huit ans.
"Nous pensons que le nombre réel d'exécutions est bien plus élevé", affirme Nassim Papayianni, chargée de campagne sur l'Iran pour l'ONG, interrogée par BFMTV.com. "Il n'est pas possible de recenser toutes les exécutions car les autorités iraniennes ne rendent pas ces données publiques."
"Garder la mainmise sur le pouvoir"
Depuis le début de l'année, plus de 400 exécutions ont eu lieu selon des experts de l'ONU. Si en 2023 comme en 2024 la moitié d'entre elles concernait des infractions liées à la drogue, les autorités iraniennes ont aussi eu recours à la peine capitale pour faire taire des personnes ayant osé défier la République islamique.
"Il est certain que les autorités iraniennes ont doublé leurs recours à la peine de mort à la suite du soulèvement", analyse Nassim Papayianni. Elles veulent "réduire le public au silence" et ainsi "garder la mainmise sur le pouvoir". "Le but n'est pas de punir un individu mais de montrer son plein pouvoir à la société. Comme partout, on punit pour faire peur", souligne Mahnaz Shiral.
Cette politiste, sociologue et spécialiste de l'Iran pointe du doigt un "régime moyenâgeux qui fait appel à des moyens moyenâgeux".
"La République islamique a étouffé les Iraniens et le mouvement", déclare-t-elle. "Ils ont terrorisé l'opinion publique. Ils font peur aux parents pour qu'ils ne laissent pas leurs enfants manifester dans la rue."
Des exécutions secrètes
Amnesty a listé dix personnes tuées pour avoir eu un lien direct avec le mouvement "Femme, vie, liberté" depuis septembre 2022. En 2022, deux ont été exécutées alors que les manifestations étaient encore en cours. En 2023, ils étaient au moins six: cinq ont été inculpés pour "inimitié à l'égard de dieu", un chef d'inculpation lié à la "sécurité nationale" ou "corruption sur terre".
Des motifs "qui n'ont aucune légitimité", des "mensonges", dénonce la spécialiste de l'Iran Mahnaz Shirali.
Selon un rapport d'Amnesty international, les autorités ont en outre "exécuté au moins deux utilisateurs de médias sociaux pour 'apostasie' et 'insulte au prophète de l'islam' et au moins six personnes appartenant à des minorités ethniques et/ou religieuses opprimées (notamment la minorité baloutche, NDLR) en raison de leur affiliation réelle ou supposée à des groupes politiques jugés 'hostiles'".
La dixième et dernière personne exécutée pour avoir participé au soulèvement était Reza Rasaei. À 34 ans, il a été "secrètement exécuté" le 6 août dernier "sans en informer au préalable sa famille ni son avocat", selon l'ONG.
Plus d’une dizaine de personnes risquent encore d’être exécutées ou condamnées à mort en lien avec le mouvement, prévient le dernier rapport d'Amnesty International, publié ce mercredi 11 septembre.
Une "guerre" permanente contre les femmes
Si sont majoritairement exécutés des hommes, plus actifs sur le plan politique, les femmes sont elles aussi ciblées. Récemment, la défenseure des droits humains Sharifeh Mohammadi et la militante de la société civile kurde Pakhshan Azizi ont été condamnées à mort par des tribunaux révolutionnaires pour "rébellion armée contre l’État", "uniquement en raison de leur militantisme pacifique".
Plus généralement, la "guerre contre les femmes" comme l'appelle Amnesty international, s'est renforcée. Depuis la mise en place d'une nouvelle campagne nationale baptisée Noor en avril, les forces de sécurité ont renforcé leur contrôle du port obligatoire du voile dans les espaces publics en soumettant les femmes et les filles à une surveillance constante, notamment via la vidéosurveillance et des patrouilles. Et ce, jusque dans leur véhicule.
Elles sont soumises à des violences sexuelles, à des flagellations, à des arrestations et détentions arbitraires et à d’autres formes de harcèlement. Mahnaz Shiral dénonce globalement les "multiples crimes contre l'humanité qui choquent", comme des actes de torture pour soutirer des aveux ou des viols.
Des procès expéditifs et biaisés
Les procès lors desquels sont prononcées les peines de mort, souvent expéditifs, sont majoritairement tenus à huis clos, les membres des familles et les avocats indépendants se voyant régulièrement refuser l’accès à la salle d’audience. La grande majorité des accusés n'ont tout simplement pas accès à un avocat, ni aux pièces de leur dossier permettant de préparer leur défense.
La plupart sont tenus par les tribunaux révolutionnaires qui reçoivent des "ordres des organes de sécurité iraniens", selon Nassim Papayianni d'Amnesty international. L'ONU a de son côté constaté que "les juges des tribunaux pénaux et révolutionnaires faisaient preuve d’un parti-pris manifeste contre les manifestants et les membres de l’opposition politique réelle ou supposée".
Ces procès se tiennent aussi parfois après avoir obtenu des "aveux" forcés, diffusés dans des vidéos de propagande à la télévision d'État avant même le début des audiences, afin de diaboliser les individus aux yeux du public et de justifier les peines.
Une arme de longue date
Cette représsion des autorités iraniennes est loin d'être nouvelle, et remonte bien avant la naissance du dernier soulèvement. "Les exécutions en Iran ont toujours été l'arme du régime", constate Mahnaz Shirali. Durant les périodes où la République islamique se sent menacée, elle exécute. Elle tue quand elle se sent en danger."
Elles ont même été encore plus importantes par le passé. En 1988 par exemple, en l'espace d'un été, au moins 5.000 personnes sont "disparues de force" et "exécutées de manière extrajudiciaire en prison", rapportait Amnesty international en 2018. Mahnaz Shirali se remémore que la moitié de ses camarades du lycée ont été arrêtés et nombre d'entre eux exécutés à cette période.
Aujourd'hui "le prix d'une condamnation" est plus élevé, estime-t-elle: la communauté internationale est plus facilement mise au courant. Lorsque les projecteurs sont braqués sur le pays en raison d'événements politiques internes ou d'événements extérieurs, les exécutions diminuent sur le moment. Comme après la mort du président Ebrahim Raïssi dans un crash d'hélicoptère en mai dernier ou encore lors des élections présidentielles tenues début juillet.
"Les autorités iraniennes savent qu'elles font l'objet d'une plus grande attention et veulent ainsi donner l'impression que le pays n'est pas en pleine crise des droits de l'homme", assure Nassim Papayianni.
"Mais dès que l'attention internationale se détourne, les exécutions reprennent de plus belle", ajoute-t-elle.
En août 2024, au moins 81 personnes ont été exécutées, soit environ deux fois plus que les 45 exécutions signalées en juillet, selon des experts de l'ONU.
"Plus on en parle, plus on protège les Iraniens"
"Plus on en parle, plus on protège les Iraniens", souffle Mahnaz Shirali. En l'absence "d'une réaction mondiale vigoureuse", Amnesty international craint que les autorités iraniennes ne continuent d'utiliser la peine de mort "comme instrument d'oppression et n'exécutent des milliers d'autres personnes dans les années à venir".
D'autant plus que le mouvement "Femme, vie, liberté" continue de frémir dans l'ombre.
"C'est un calme apparement, mais ça pourrait rejaillir", estime la politologue Mahnaz Shirali.
Le mouvement continue de vivre sous plusieurs formes. Des femmes continuent, en dépit des risques qu'elles encourent, d'apparaître non-voilées en public. Les familles de celles et ceux tués par le régime tentent toujours de faire entendre leur voix malgré les menaces et intimidations qu'elles subissent. Pour Nassim Papayianni, tout cela montre "que le mouvement est toujours bien vivant".