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Le "oui" donné en tête du référendum en Turquie

par Tuvan Gumrukcu et Humeyra Pamuk ANKARA (Reuters) - Le "oui" est en tête du référendum sur l'élargissement des pouvoirs présidentiels en Turquie, selon des chiffres partiels diffusés dimanche, mais l'opposition dénonce un changement de procédure validé à la dernière minute par les autorités, qui pourrait mettre en doute le résultat du vote. Après dépouillement de la moitié des bulletins de vote, le "oui" recueille 57% des suffrages, a rapporté l'agence de presse Anatolie. Les chiffres cités par l'agence montrent que le "oui" recueille de forts suffrages en Anatolie centrale tandis que le "non" domine dans les régions côtières proches de la mer Egée et dans le Sud-Est à majorité kurde. Les 167.140 bureaux de vote ont fermé à 16h00 (13h00 GMT) dans l'Est et à 17h00 dans les autres régions du pays. Les Turcs résidant à l'étranger avaient déjà voté au préalable. Cinquante-cinq millions d'électeurs étaient appelés à se prononcer sur une série d'amendements constitutionnels visant à remplacer le régime parlementaire par un régime présidentiel qui permettrait au président Recep Tayyip Erdogan de concentrer l'essentiel du pouvoir exécutif entre ses mains, le poste de Premier ministre étant supprimé, et de rester au pouvoir au moins jusqu'en 2029. Le vice-président du CHP (Parti républicain du peuple, opposition laïque), Bulent Tezcan, a dénoncé une décision de la commission électorale (YSK) d'accepter les bulletins non tamponnés par les scrutateurs, à moins qu'il soit prouvé qu'ils sont frauduleux. L'YSK a expliqué que de nombreux électeurs s'étaient plaints que leurs bulletins n'avaient pas été tamponnés. "La commission électorale a failli en autorisant la fraude dans ce référendum", a déclaré Bulent Tezcan devant des journalistes au siège du parti à Ankara. ERDOGAN CROIT AU "BON SENS" DE SON PEUPLE Pendant la consultation, Recep Tayyip Erdogan a été ovationné après avoir voté dans une école près de son domicile à Istanbul. Son entourage a distribué des jouets aux enfants présents. "Je suis convaincu que notre peuple décidera d'ouvrir la voie à un développement beaucoup plus rapide", a déclaré le président turc après avoir déposé son bulletin dans l'urne. "Je crois dans le bon sens démocratique de mon peuple." Le référendum a profondément divisé le pays. Le président Erdogan et ses partisans font valoir qu'il est nécessaire de modifier la Constitution, dont la version actuelle a été écrite par les généraux à la suite d'un coup d'Etat en 1980, pour affronter les enjeux auxquels est confrontée la Turquie en matière de sécurité et éviter les gouvernements de coalition fragiles que le pays a connus par le passé. "C'est l'occasion de reprendre le contrôle de notre pays", a déclaré Bayram Seker, un auto-entrepreneur de 42 ans, après avoir voté "oui" à Istanbul. "Je ne pense qu'il faut être effrayé par le règne d'un homme seul. La Turquie a été dirigée dans le passé par un seul homme", a-t-il ajouté par allusion à Mustafa Kemal Atatürk, le fondateur de la République turque. Les opposants à la réforme disent craindre une dérive autoritaire dans un pays où quelque 40.000 personnes ont été arrêtées et 120.000 limogées ou suspendues de leur fonctions dans le cadre de la répression qui a suivi le coup d'Etat manqué de juillet dernier. "J'ai voté 'non' parce je ne veux pas que tout le pays et ses pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire soient entre les mains d'un seul homme. Cela ne rendra pas la Turquie plus forte ou meilleure comme ils le prétendent", a déclaré Hamit Yaz, un capitaine de navire âgé de 34 ans, TENSIONS AVEC L'UE L'issue du scrutin aura aussi des conséquences sur les relations qu'entretient la Turquie, état membre de l'Otan, avec l'Union européenne. La Turquie a accepté de réduire le flot de migrants partant de son pays en direction de l'UE, au terme d'un accord conclu en mars 2016, mais Recep Tayyip Erdogan a fait savoir qu'il pourrait revenir sur cet accord à l'issue du référendum. Les relations entre la Turquie et l'UE ont touché un point bas pendant la campagne pour le référendum. L'Allemagne et les Pays-Bas ont interdit des meetings où devaient s'exprimer des ministres turcs pour convaincre la diaspora de voter "oui". Le président estime que la Turquie, confrontée aux guerres en Syrie et en Irak, a besoin d'un exécutif fort pour lutter contre l'Etat islamique et l'insurrection autonomiste kurde du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). La réforme, présentée sous la forme de 18 amendements à la Constitution, prévoit, outre la suppression du poste de Premier ministre, la possibilité pour le président de dissoudre le Parlement et de prendre certains décrets. Avant le début du vote, des combattants kurdes ont attaqué un véhicule qui transportait un responsable de district du Parti de la justice et du développement (AKP) au pouvoir. L'attaque, qui a eu lieu dans la nuit de samedi à dimanche dans le Sud-Est kurde, a fait un mort, un gardien, selon les autorités. (Danielle Rouquié, Eric Faye et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)