Qui est Kemi Seba, militant panafricain arrêté à Paris pour des soupçons d'ingérence étrangère ?

Arrêté ce lundi dans un restaurant du XVe arrondissement, Kemi Seba, activiste béninois condamné pour antisémitisme, a été relâché mercredi 16 octobre.

Le militant anti-colonial Kemi Seba, en juin 2020 à Paris (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Le militant anti-colonial Kemi Seba, en juin 2020 à Paris (Photo by STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)

Remis en liberté à l'issue de sa garde à vue, il ne fait pour l'heure l'objet d'aucune poursuite. Stellio Capo Chichi, plus connu sous le nom de Kemi Seba, a été arrêté lundi 14 octobre dans un restaurant du XVe arrondissement de Paris, puis relâché mercredi 16 octobre. Les raisons de cette interpellation ont été rendues publiques ce jeudi par le parquet de Paris.

D'après l'AFP, relayée par Le Monde, Kemi Seba aurait ainsi été placé en garde à vue dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), pour des soupçons d'ingérence étrangère. Cité par le quotidien vespéral, son avocat Juan Branco confirme que son client est visé par une enquête pour "intelligences avec une puissance étrangère (…) en vue de susciter des hostilités ou des actes d’agression contre la France", mais aussi "de nature à porter atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation".

Après la libération de Kemi Seba ce jeudi, le parquet a indiqué au Monde qu'aucune poursuite n'avait été engagée contre l'activiste béninois. "Les investigations sur l’infraction d’ingérence étrangère se poursuivent dans le cadre de l’enquête préliminaire", a toutefois précisé le ministère public.

Né à Strasbourg (Bas-Rhin) en 1981 de parents béninois naturalisés français, celui qui se présente comme un militant panafricain radical a été déchu de la nationalité française il y a quelques mois déjà. Dans son édition du 9 juillet 2024, le Journal Officiel comportait ainsi une copie du décret pris la veille, lundi 8 juillet, et officialisant la perte de nationalité du quadragénaire.

Comme l'indiquait le décret en question, cette décision a été prise "sur l'avis conforme du Conseil d'Etat". "Mon client est très heureux, commentait à l'époque Juan Branco, l’avocat de Kemi Seba, cité par Libération. Il m’avait confié une lettre de renonciation (à la nationalité française) avant même que la procédure ne soit entamée, et prend acte de la décision finale."

A l'origine de cette procédure de déchéance de la nationalité, Kemi Seba était notamment accusé de se livrer "depuis plusieurs années, à divers agissements destinés à attiser dans les pays d’Afrique de l’Ouest un sentiment anti-français", comme l'expliquait un courrier de la Direction de l'intégration et de l'accès à la nationalité adressé à l'intéressé et rendu public en février dernier.

"Vous organisez ou participez à des manifestations et conférences dans divers pays (…) à l’occasion desquelles vous diffusez des messages hostiles à la France, critiquant la présence française en Afrique que vous qualifiez de néocolonialisme. (…) Votre comportement et vos propos révèlent une posture constante et actuelle résolument anti-française, susceptible de porter gravement atteinte aux intérêts français et de nature à caractériser une déloyauté manifeste à l’égard du pays dont vous avez la nationalité", continue le sous-directeur de l’accès à la nationalité française, qui motive ainsi la procédure de perte de nationalité française au titre de l’article 23-7 du code civil qui prévoit que "le Français qui se comporte en fait comme le national d’un pays étranger peut, s’il a la nationalité de ce pays, être déclaré, par décret après avis conforme du Conseil d’Etat, avoir perdu la qualité de Français".

Peu connu du grand public, Kemi Séba est proche de Dieudonné, avec qui il partage les idées antisémites, et de l'idéologue d'extrême droite Alain Soral, avec qui il assure toutefois avoir pris ses distances. Il se fait connaître au début des années 2000, par l'intermédiaire de son groupuscule Tribu Ka, dans le viseur du ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy. Dissous en 2006, Tribu Ka est à l'origine d'incidents à caractère antisémite en mai 2006, lors d'une manifestation au cœur du quartier juif du Marais.

Condamné à deux mois de prison avec sursis et mise à l'épreuve pour violences en réunion, il voit son sursis révoqué en 2011, et passe plusieurs semaines en prison en 2014.

En avril 2009, il avait aussi été condamné en appel à huit mois de prison avec sursis pour provocation à la haine raciale. En cause, des écrits où il affirmait que les institutions internationales comme la Banque mondiale, le FMI ou l'OMS étaient "tenues par les sionistes qui imposent à l'Afrique et à sa diaspora des conditions de vie tellement excrémentielles que le camp de concentration d'Auschwitz peut paraître comme un paradis sur terre".

Installé sur le continent africain depuis plusieurs années, il se fait expulser à plusieurs reprises des pays dans lesquels il est installé : expulsé du Sénégal en 2017 après avoir brûlé un billet de 5 000 francs CFA, puis évincé de Côte d’Ivoire pour avoir tenté d'y organiser une manifestation contre le franc CFA. Il en est expulsé vers le Bénin en raison de "risques potentiels de troubles" liés à la manifestation, et du Burkina Faso alors qu'il se rend à un meeting politique "contre le néo-colonialisme", et plus spécifiquement contre l'opération militaire française "Barkhane".

Il bénéficie d'une forte popularité sur ses réseaux sociaux, avec 1,3 million d’abonnés sur Facebook, près de 300 000 sur Instagram et plus de 200 000 sur sa chaîne Youtube. Une notoriété qu'il fait fructifier avec des réunions publiques, avec selon lui 2 000 personnes à un meeting à Bobigny en mars 2023, 1 200 l’année précédente à Grigny ou encore 1 500 sympathisants en Guadeloupe en 2022.

Dans ses discours, il dénonce la présence française au Mali, récupère la croisade contre le franc CFA ou relaie des combats plus locaux comme le chlordécone en Guadeloupe et en Martinique.

Influent en Afrique, il exacerbe le sentiment anti-français sur le continent, ce qui pourrait bénéficier à d'autres puissances étrangères. Comme. le rappelle Streetpress, Kemi Seba participe notamment à un meeting au Mali piloté par le groupe panafricaniste pro-russe, Yerewolo. Dans la foule flottent des pancartes floquées d’une tête-de-mort sur le drapeau bleu blanc rouge. "Mali, capitale de la résistance africaine", scande Kemi Seba, dans un pays où la présence militaire française est alors extrêmement décriée.

Selon plusieurs enquêtes dont une de Jeune Afrique, il aurait touché 400 000 euros, entre 2018 et 2019, de la part du groupe Wagner, l’organisation paramilitaire russe, désormais implantée au Mali aux côtés de l'armée. En échange, il relaie les narratifs russes, comme sur la guerre en Ukraine.

En 2023, une enquête de Radio France, révèle que Kemi Seba fait partie d'un panel d'"influenceurs anti-français en Afrique francophone" ciblés par l'agence de désinformation israélienne Percepto afin de leur faire propager à leur insu des fausses informations dans des buts de propagande.

Récemment, il s'était fait remarquer en étant reçu par deux députés Nupes de Guyane lors d'une visite sur place. Une tournée ponctuée par un meeting devant 400 personnes et une médaille reçue des mains de la maire de Cayenne.

Concernant la procédure en cours pour lui retirer la nationalité française, Kemi Seba estime qu'il s'agit là d'une reconnaissance de son combat. "C'est pour nous une décoration de guerre", a-t-il affirmé sur le plateau de RT, chaine de télévision de propagande russe interdite en Europe.

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