Qu'est-il reproché à Ibrahim Maalouf, écarté du jury du festival de Deauville ?

Alors qu'il devait initialement faire partie des membres du jury du festival du cinéma américain, le célèbre trompettiste a finalement été évincé en catimini.

Ibrahim Maalouf lors de la dernière cérémonie des Grammy Awards, en février 2024 (Photo : Lionel Hahn/Getty Images)

La présence de son nom au sein du jury a eu pour effet de générer un "malaise dans l'équipe" organisatrice. Il y a quelques jours, Aude Hesbert, la directrice du Festival du cinéma américain de Deauville (qui se déroulera du 6 au 15 septembre prochain), a annoncé que le célèbre trompettiste franco-libanais Ibrahim Maalouf ne ferait pas partie des jurés de l'édition 2024, comme cela était initialement prévu.

Dans une interview à La Tribune, relayée notamment par Le Figaro, Aude Hesbert a justifié cette décision en expliquant que "la présence d'Ibrahim Maalouf devenait de plus en plus problématique pour la bonne tenue, sereine, d'un festival qui fête son 50e anniversaire, qui est aussi ma première édition et que je souhaite porter avec clarté et transparence". De son côté, le musicien a annoncé qu'il allait porter plainte contre l'organisation du Festival.

Mais qu'est-il reproché exactement à Ibrahim Maalouf ? Sans la mentionner explicitement, la directrice du Festival de Deauville fait référence à une affaire judiciaire dans laquelle le trompettiste a été impliqué il y a quelques années. Jugé pour agression sexuelle sur mineure et condamné dans un premier temps à quatre mois de prison avec sursis, Ibrahim Maalouf avait finalement été relaxé en appel en 2020.

Les faits pour lesquels le musicien était poursuivi se seraient déroulés en 2013. Une collégienne âgée de 14 ans à l'époque, qui effectuait un stage dans le studio d'enregistrement d'Ibrahim Maalouf, avait accusé ce dernier de l'avoir embrassé une première fois, puis d'avoir réitéré son geste et de s'être livré à des attouchements sur sa personne deux jours plus tard.

Comme le retraçait en 2020 un article du Monde, l'adolescente avait affirmé que le trompettiste l'avait embrassée "à la sortie d'un cinéma". Elle avait aussi dénoncé des faits survenus le surlendemain, cette fois dans le sous-sol du studio d'enregistrement situé à Ivry-sur-Seine. À cette occasion, Ibrahim Maalouf l'aurait selon elle de nouveau embrassée, puis l'aurait "'attrapée par le bassin', mimant un acte sexuel".

La jeune fille aurait ensuite révélé ces faits présumés à un médecin en 2014, alors qu'elle avait "commencé à se scarifier et à avoir des troubles alimentaires", selon Le Monde. Ses parents avaient saisi la justice dans la foulée, déclenchant l'ouverture d'une enquête qui avait conduit à l'interpellation d'Ibrahim Maalouf en janvier 2017.

Placé en garde à vue, le musicien à succès avait reconnu le premier baiser, mais aussi assuré que la collégienne "était à l’origine" de ce geste et qu'il avait "repoussé ses avances". Il avait par ailleurs intégralement nié les autres faits qui lui étaient reprochés.

Près de deux ans plus tard, en novembre 2018, le trompettiste avait été jugé coupable par le tribunal correctionnel de Créteil (Val-de-Marne) et condamné à quatre mois de prison avec sursis, ainsi qu'à une amende de 20 000 euros, comme l'a rapporté à l'époque Ouest France. Ibrahim Maalouf et ses représentants avaient toutefois immédiatement fait appel.

Le dénouement de cette affaire est finalement survenu en juillet 2020, lorsque la cour d'appel de Paris a annoncé la relaxe du musicien franco-libanais. Citée par Le Monde, la cour a notamment considéré que "le baiser posé le 11 décembre 2013 est bien réel, mais l’intention coupable fait défaut, faute d’éléments permettant d’affirmer avec certitude qu’il en aurait été l’initiateur".

Concernant la deuxième agression dénoncée par la plaignante, le verdict indiquait que "la preuve matérielle des faits qui seraient survenus le 12 ou le 13 décembre dans le sous-sol du studio d’enregistrement n’est pas rapportée, ce qui ne signifie pas que [la jeune fille] a menti mais que sa vérité n’est pas partagée par la cour, en l’absence d’éléments suffisamment pertinents, précis et concordants".

Toujours citée par le quotidien vespéral, la cour avait toutefois également noté qu'"Ibrahim Maalouf n’a pas adopté un positionnement adéquat à l’égard [de la] jeune fille de 14 ans, nécessairement suggestible, en échangeant avec elle des messages totalement inadaptés, attitude qu’il a lui-même qualifiée de 'nauséabonde'".

Depuis ce jugement, le musicien a poursuivi sa carrière, mais a régulièrement fait l'objet de critiques en lien avec l'affaire. "Je n’ai rien à me reprocher, a-t-il de nouveau clamé dans une vidéo Instagram publiée après l'annonce de son éviction du jury du Festival de Deauville. Je suis malheureusement, même si je n'en parle pas souvent, victime de harcèlement de la part de certaines personnes qui s'acharnent à vouloir absolument que je sois coupable des accusations qui ont été portées contre moi, il y a maintenant quelques années et dont j'ai été entièrement innocenté."

En l'occurrence, il faut par ailleurs mettre en relation le "malaise" créé par la présence d'Ibrahim Maalouf au sein du jury du Festival avec le contexte dans lequel se déroule cette 50e édition. En juin dernier, le directeur historique de l'événement Bruno Barde, qui était en poste depuis 1995, s'était en effet retrouvé poussé vers la sortie, à la suite de graves accusations révélées par Mediapart.

Pas moins de sept anciennes collaboratrices de Bruno Barde avaient ainsi dénoncé des "violences sexuelles", mais aussi plus généralement des "comportements inappropriés" et des "humiliations". Nommée en urgence pour le remplacer, Aude Hesbert s'est donc retrouvée confrontée, à quelques semaines de son baptême du feu, à une polémique faisant dangereusement écho à ces accusations.

"À l'annonce de la composition du jury le 8 août dernier, il y a eu beaucoup de réactions sur les réseaux sociaux et dans les médias, un malaise s'est installé dans l'équipe, déjà meurtrie par l'affaire précédente, explique la directrice dans son interview à La Tribune. Cette dernière reconnaît par ailleurs que la décision d'écarter Ibrahim Maalouf a été "difficile" à prendre, mais aussi qu'elle "l'assumera jusqu'au bout".