Qu'est-ce que la fusillade de la rue d'Isly à Alger, que Macron va officiellement évoquer ce mercredi

Des manifestants opposés à l'indépendance de l'Algérie, rue d'Isly à Alger, le 26 mars 1962 - AFP
Des manifestants opposés à l'indépendance de l'Algérie, rue d'Isly à Alger, le 26 mars 1962 - AFP

Il y a près de 60 ans, l'armée française ouvrait le feu rue d'Isly, à Alger, causant la mort de dizaines de partisans de l'Algérie française. Un massacre dont les circonstances demeurent obscures, qui a marqué le début de l'exode massif des pieds-noirs d'Algérie. Le président de la République Emmanuel Macron doit évoquer ce drame, ce mercredi à l'Elysée.

Une prise de parole qui s'inscrit dans une série d'actes mémoriels effectués par le chef de l'Etat depuis le début de son quinquennat, dans la perspective du 60e anniversaire de la fin de la guerre pour l'indépendance de l'Algérie.

Des dizaines de morts

Nous sommes le 26 mars 1962, rue d'Isly à Alger. Le cessez-le-feu a été proclamé neuf jours auparavant, le 18 mars. Ce jour-là, l'Organisation armée secrète (OAS), appelle les partisans de l'Algérie française à affluer vers le quartier de Bab-el-Oued, sans armes et arborant des drapeaux. Des milliers de personnes convergent.

L'appel vise à forcer les barrages de l'armée, installés après plusieurs meurtres au sein des effectifs militaires par des membres de l'OAS. Plusieurs membres de l'organisation sont réfugiés dans ce quartier bordé par la Méditerranée. La manifestation est interdite par le préfet. C'est le 4e régiment de tirailleurs, majoritairement composé d'Algériens au service de la France, qui tient les barrages, écrivait Le Monde en 2008, expliquant que ce régiment n'était pas formé pour le maintien de l'ordre.

Selon le bilan officiel, 49 civils sont tués parmi les protestataires. D'après les historiens ou des médecins, ce seraient plutôt 60 à 80 manifestants qui périrent ce jour-là. De nombreuses personnes sont également blessées. La fusillade dure plus de dix minutes. Le bilan est à ce jour encore méconnu avec précision.

Divergence des versions

Par quoi un tel déferlement de violence a-t-il pu être déclenché? Les versions ne concordent pas. L'une d'elles dispose qu'il s'agirait de tirs visant les militaires, depuis une fenêtre ou un toit de la rue, qui auraient provoqué la fusillade des tirailleurs qui gardaient le barrage. Une version contredite par des familles de victimes, mais qui est contestée par certains parlementaires comme Eric Ciotti ou Valérie Boyer, tous deux adhérents des Républicains (LR), qui ont présenté en 2019 une proposition de loi visant à la "reconnaissance de la Nation des massacres de la rue d'Isly".

Dans l'exposé des motifs du texte de loi, on pouvait lire ceci:

"Sans sommation, à 14h50, la troupe du 4e régiment de tirailleurs ouvrit le feu, s’acharnant sur ceux qui s'étaient jetés à terre afin de se protéger. La version officielle dira que des coups de feu avaient été tirés d'un toit vers les militaires. Mais ceux‑ci, au lieu de riposter vers le toit où devrait se trouver le prétendu tireur, ont tiré à l’arme automatique dans la foule, frappant dans le dos des manifestants qui tentaient vainement de s'enfuir."

Le texte plaide pour "que l'État français rompe définitivement avec le silence et reconnaisse officiellement les crimes commis le 26 mars 1962 lors de cette manifestation pacifique", demandant "que l'ensemble des archives soit ouvert" et le massacre reconnu.

"Ces dix minutes de fusillade ont été suivies de trente minutes d'affolement, de désarroi, dans le tintamarre crispant des sirènes et des klaxons, voitures de pompiers, camions, ambulances, des voitures civiles sillonnaient la ville, transportant le plus rapidement possible les blessés", écrit ce jour-là de 1962 l'Agence France-Presse (AFP). 876450610001_6293713338001

Plusieurs actes mémoriels depuis 2017

Depuis le début de son quinquennat, Emmanuel Macron a pris plusieurs fois la parole "au nom de la République française" quant à la mémoire liée à la guerre d'Algérie. Il avait en 2018 reconnu le fait que le jeune mathématicien communiste Maurice Audin avait été "torturé à mort, ou torturé puis exécuté par l'armée française" en 1957.

En mars dernier, il avait acté le fait que l'avocat nationaliste Ali Boumendjel avait été "torturé et assassiné" le 23 mars 1957 par l'armée française, contredisant la version initiale d'un suicide. En septembre, le président a demandé "pardon" aux harkis qui furent "abandonnés" par la France. Un projet de loi visant à réparer les préjudices subis par les harkis est en cours d'examen au Parlement.

Emmanuel Macron a aussi dénoncé des "crimes inexcusables pour la République" lors des 60 ans du massacre par la police française de manifestants algériens, le 17 octobre 1961 à Paris.

"Construire une mémoire à terme apaisée"

En 2010, le gouvernement français avait décidé d'inscrire les noms des victimes du massacre de la rue d'Isly sur le Mémorial de la guerre d'Algérie à Paris. Sans reconnaître la responsabilité de l'État français dans ces événements.

En 2012, dans Paris-Match, l'historien Benjamin Stora, auteur d'un rapport sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie rendu en 2021, pointait que ce massacre et le silence qui l'entoure "(était) un des exemples les plus marquants de la censure pratiquée pendant la guerre d'Algérie: comme pour beaucoup d'événements, le gouvernement français n'a jamais reconnu sa responsabilité".

L'objectif de cette nouvelle prise de parole d'Emmanuel Macron, a souligné l'Elysée auprès de l'AFP, est de "construire à terme une mémoire apaisée, partagée, commune à tout ce qu'ont été jusque-là les mémoires liées à la guerre d'Algérie et à la colonisation", en reconnaissant la "singularité de chacun".

Article original publié sur BFMTV.com