Quelles sont les 12 erreurs judiciaires reconnues sous la Ve République ?

Patrick Dils le 24 avril 2002, après avoir été définitivement acquitté par la cour d'assises des mineurs du Rhône (Photo PHILIPPE MERLE / AFP)
Patrick Dils le 24 avril 2002, après avoir été définitivement acquitté par la cour d'assises des mineurs du Rhône (Photo PHILIPPE MERLE / AFP)

La justice vient d'annuler la condamnation pour viol sur mineure de Farid El Haïr, jugé coupable en 2003 d'un viol sur une mineure, qui s'est depuis rétractée. Avant lui, 11 autres erreurs judiciaires ont été reconnues par la justice depuis 1945.

La justice reconnaît parfois ses erreurs. Farid El Hairy, condamné en 2003 pour viol, vient d'être réhabilité par la justice, jeudi 15 décembre. Il devient le douzième homme réhabilité par la justice depuis 1945.

  • Farid El Haïry, condamné en 2003, acquitté en 2022

En 1998, Julie D., âgée de 14 ans, accusé un adolescent de 17 ans de l'avoir agressée et violée à Hazebrouck (Nord). Le jeune homme nie les faits. Durant l'enquête, les différentes expertises psychologiques et gynécologiques soutiennent les accusations de la victime, capable d'évoquer les faits d'une manière certaine. Il est condamné en 2003 à cinq ans de prison, dont quatre ans et deux mois avec sursis.

Rebondissement le 23 octobre 2017, Julie D. envoie une lettre au procureur de la République de Douai : "Je vous confesse avoir menti, écrit-elle. Monsieur Farid El Haïry n'est coupable de rien, je souhaite aujourd'hui rétablir la vérité. (...) J'étais enfermée dans mon propre mensonge et coincée dans l'emprise du secret familial".

Le juge lance alors une procédure en révision, qui aboutit près de 20 ans plus tard, le 15 décembre 2022, quand la Cour de révision annule la condamnation prononcée il y a près de vingt ans.

  • Christian Iacono condamné en 2009, acquitté en 2014

Christian Iacono en mars 2015, à l'issue de son procès en révision (Photo PHILIPPE MERLE / AFP)
Christian Iacono en mars 2015, à l'issue de son procès en révision (Photo PHILIPPE MERLE / AFP)

Ancien maire de Vence (Alpes-Maritimes), il avait été condamné en 2009 pour le viol de son petit-fils, entre 1996 et 1999, lorsque l'enfant était âgé de 5 à 8 ans. Sauf qu'en 2011, le jeune homme revient sur ses accusations et reconnaît avoir "inconsciemment menti", influencé par des conflits entre son père et son grand-père.

Trois ans plus tard, le 18 février 2014, la cour de révision annule la condamnation de l'ancien élu, qui a passé onze mois en prison. Lors de son procès en révision en mars 2015, Christian Iacono est définitivement blanchi, et obtient plus de 700 000 euros d'indemnités pour le préjudice subi.

  • Abdelkader Azzimani et Abderrahim El-Jabri, condamnés en 2003, acquitté en 2014

Abdelkader Azzimani (à droite) et Abderrahim El Jabri lors de leur procès en révision en juillet 2014. (Photo SYLVAIN THOMAS / AFP)
Abdelkader Azzimani (à droite) et Abderrahim El Jabri lors de leur procès en révision en juillet 2014. (Photo SYLVAIN THOMAS / AFP)

Le 21 décembre 1997, un trafiquant de drogue de 22 ans est retrouvé mort dans un fossé à Lunel (Hérault), frappé de 112 coups de couteaux. Quelques heures plus tôt, Abdelkader Azzimani et Abderrahim El-Jabri avaient livré de la drogue à la victime, qui avait filé sans payer. Abderrahim El Jabri, déjà condamné à deux reprises pour trafic de drogue, et son compère sont les coupables idéaux, bien qu'ils clament leur innocence.

Condamnés à 20 ans de prison en 2003, ils passent 12 et 13 ans en prison avant une liberté conditionnelle accordée en 2009 et 2011. En 2009, des investigations aboutissent à une autre version : l'ADN trouvé dans la voiture de la victime n'accuse pas les fournisseurs de la drogue, mais les clients, qui seront condamnés. Finalement, en 2014, ils sont acquittés à l'issue de leur procès en révision, et obtiennent 968 424,57 euros d'indemnités.

  • Marc Machin, condamné en 2004, acquitté en 2012

Marc Machin à la cour d'assises de Paris lors de son acquittement  en décembre 2012 (Photo PATRICK KOVARIK / AFP)
Marc Machin à la cour d'assises de Paris lors de son acquittement en décembre 2012 (Photo PATRICK KOVARIK / AFP)

Marginal de 19 ans, il est accusé du meurtre d'une femme, en décembre 2001, sur le pont de Neuilly. Après avoir affirmé avoir un alibi qui ne peut être vérifié, il se met à douter de sa version et en fait part aux policiers qui l'interrogent, puis il finit par avouer.

En détention provisoire jusqu'à son procès, il est condamné à 18 ans de prison en 2004. Rebondissement quatre ans plus tard, en mars 2008, lorsqu'un SDF s'accuse du meurtre, ainsi que d'un second commis au même endroit. Son ADN est retrouvé sur les effets de la victime, et Marc Machin est libéré le 7 octobre 2008.

Il est réhabilité en décembre 2012 lors de son procès en révision, et obtient 663 320 euros d'indemnisation pour les années passées en détention. En 2021, il est condamné à 16 ans de prison pour des faits de viol survenus en 2018.

  • Loïc Sécher, condamné en 2003, acquitté en 2011

Loïc Sécher, en 2011 lors d'un nouveau procès duquel il ressortira totalement blanchi (AFP PHOTO/JACQUES DEMARTHON )
Loïc Sécher, en 2011 lors d'un nouveau procès duquel il ressortira totalement blanchi (AFP PHOTO/JACQUES DEMARTHON )

En 2000, un ouvrier agricole de 40 ans, Loïc Sécher, est accusé de viol par sa voisine de 14 ans en Loire-Atlantique. S'il nie les faits, il est placé en détention provisoire, et condamné en 2003 à 16 ans de réclusion pour viol, sur le témoignage de sa voisine et la description de l'agresseur.

En 2008, la jeune fille revient sur ses déclarations dans un courrier envoyé au procureur et affirme que l'homme ne l'a jamais touchée. L'homme est libéré en 2010, mais l'erreur judiciaire est finalement reconnue en 2011 lors d'un procès en révision, et Loïc Sécher reçoit 797 352 € d'indemnités pour ses sept années passées en prison à tort. Loïc Sécher est décédé à son domicile en septembre 2021.

  • Patrick Dils, condamné en 1989, acquitté en 2002

Patrick Dils le 24 avril 2002, après avoir été définitivement acquitté par la cour d'assises des mineurs du Rhône (Photo PHILIPPE MERLE / AFP)
Patrick Dils le 24 avril 2002, après avoir été définitivement acquitté par la cour d'assises des mineurs du Rhône (Photo PHILIPPE MERLE / AFP)

En septembre 1986, deux garçons âgés de 8 ans sont retrouvés morts, tués à coups de pierre, le long d'une voie de la SNCF à Montigny-les-Metz. L'un de leurs voisins, un apprenti cuisinier de 16 ans, est interrogé suite à un signalement : Patrick Dils. Relâché puisque son emploi du temps ne correspond pas aux faits, il sera réinterrogé trois mois plus tard, sans succès.

En avril 1987, alors que les aveux de deux suspects ont été finalement mis de côté en raison d'incohérences, Patrick Dils est réinterrogé après un nouveau témoignage remettant en cause le timing avancé par le légiste.

Cette fois, au bout de 36h de garde à vue, il fait des aveux, très circonstanciés, qu'il justifiera plus tard en évoquant les questions orientées des enquêteurs et l'affichage d'éléments matériels dans le local où il est interrogé. S'il revient sur ses aveux, il est tout de même condamné à la réclusion criminelle à perpétuité en 1989.

En 1998, rebondissement : la présence sur le lieu du crime du tueur en série Francis Heaulme est prouvée. Patrick Dils est finalement innocenté après trois recours en révision et sort de prison le 24 avril 2002. Âgé de 31 ans, il a alors passé la moitié de sa vie derrière les barreaux. Il reçoit 1 million d'euros d'indemnisation.

  • Rida Daalouche, condamné en 1994, acquitté en 1999

Rida Daalouche, en mai 1999 lors de son procès en révision (Photo PATRICK VALASSERIS / AFP)
Rida Daalouche, en mai 1999 lors de son procès en révision (Photo PATRICK VALASSERIS / AFP)

Le 29 mai 1991 à Marseille, alors que le club phocéen dispute une finale de coupe d'Europe de football, les supporters sont attablés dans les bars pour suivre la rencontre. Dans un bar, une bagarre éclate entre trois hommes. L'un d'eux, gravement blessé à coups de tessons de bouteille, finit par décéder des suites de ses blessures : Abdelali Gasmi, revendeur de drogue de 26 ans. Les deux hommes prennent la fuite, et l'enquête piétine.

Cinq mois plus tard, un cousin de la victime accuse Rida Daalouche d’être l’auteur du meurtre. Selon ses informations, Rida Daalouche, consommateur de stupéfiants qui a déjà été condamné à deux ans d’emprisonnement pour un trafic de drogue en 1988, aurait vendu 50g d’héroïne à Abdelali Gasmi, qu'il n'aurait pas payé. Sauf que le frère de l'informateur a été condamné à 17 ans de prison pour une affaire dans laquelle Rida Daalouche lui avait conseillé de se rendre.

Interrogé, Rida Daalouche ment, évoque comme alibi sa présence aux côtés d'une amie qui rendait visite à son mari en prison à Perpignan. Sauf que les policiers ne trouvent pas de trace de sa visite en prison, et Rida finit par reconnaître qu'il ne se souvient plus de son emploi du temps le soir du meurtre. Ses parents affirment qu'il était avec eux devant la télévision pour regarder le match de football. Face à ces témoignages contradictoires, et malgré l'absence de preuve formelle, Rida Daalouche est condamné et incarcéré.

Sa soeur, venue de Tunisie pour ranger les affaires de son frère, découvre par hasard un certificat médical qui mentionne l’hospitalisation de son frère pour une cure de désintoxication le jour même du meurtre. Rida Daalouche est libéré le 26 février 1997, son procès en révision a lieu en 1999. Rida demande réparation pour les cinq ans et trois mois de détention, une demande rejetée, la commission estime que la non présentation du certificat médical faisait que Rida Daalouche était en partie responsable de son emprisonnement. L'auteur du meurtre n'a pas été retrouvé.

  • Guy Mauvillain, condamné en 1975, acquitté en 1985

Guy Mauvillain, avec sa femme lors de la suspension de sa peine en juillet 1981. (Photo RENE JEAN / AFP)
Guy Mauvillain, avec sa femme lors de la suspension de sa peine en juillet 1981. (Photo RENE JEAN / AFP)

Le 9 janvier 1975 à La Rochelle, une professeure de musique retraitée de 76 ans est agressée à son domicile. Les voisins, alertés par les cris, appellent les pompiers. Avant de sombrer dans le coma, elle lâche au médecin : "C'est le mari de Mme Mauvillain, l'infirmière".

Les soupçons se portent immédiatement sur Guy Mauvillain, âgé de 55 ans. Arrêté, il est relâché faute de preuves. Mais le 28 février, après plus d'un mois de coma, la victime décède. Guy Mauvillain est de nouveau interpellé, et incarcéré. Pas de nouvelles preuves mais les enquêteurs se basent sur son casier judiciaire : l'homme a déjà été condamné pour proxénétisme hôtelier, complicité de cambriolage et vol de voiture. Au bout d'une demi-journée de procès, Guy Mauvillain est condamné à 18 ans de prison.

Rapidement, des demandes de révision de procès sont faites, en se basant à la foi sur le témoignage de la voisine de Guy Mauvillain, qui affirme l'avoir entendu dans sa cuisine le soir du meurtre, et sur les avis de neurologues qui doutent de la lucidité de la victime lorsqu'elle évoque "le mari de Mme Mauvillain".

En 1981, la peine de Guy Mauvillain est suspendue par le nouveau garde des Sceaux, Robert Badinter, dont l'associé est l'avocat du prévenu. Il est rejugé et acquitté le 29 juin 1985 par la cour d'assises de la Gironde, et obtient 400 000 francs de dommages et intérêts. Le coupable du meurtre n'a pas été retrouvé.

  • Roland Agret, condamné en 1973, acquitté en 1985

Roland Agret, le 10 novembre 2005, après s'être tiré une balle dans le pied pour protester contre le refus de la commission d'indemnisation de la cour d'appel de Grenoble de l'indemniser pour les 4 ans qu'il a passés en prison pour un crime qu'il n'a pas commis. (Photo JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)
Roland Agret, le 10 novembre 2005, après s'être tiré une balle dans le pied pour protester contre le refus de la commission d'indemnisation de la cour d'appel de Grenoble de l'indemniser pour les 4 ans qu'il a passés en prison pour un crime qu'il n'a pas commis. (Photo JEAN-PIERRE CLATOT / AFP)

À 28 ans, après un an de prison pour avoir utilisé des chèques volés, Roland Agret trouve un poste de commercial dans un garage dans le Gard. Son patron, André Borrel, côtoie le "milieu" et semble alors impliqué dans de nombreuses affaires. Roland Agret séduit la femme de son patron et part en escapade avec une voiture du garage.

André Borrel, qui répète a l'envi que Roland Agret doit mourir, est retrouvé mort avec son assistant le 10 novembre 1970. L'enquête s'oriente vers Roland Agret, qui nie les faits. Son alibi est certifié par des témoins, et le calibre de l’arme à feu retrouvée chez lui ne correspond pas aux douilles disséminées sur le lieu du crime. Il est toutefois incarcéré pour port d'arme illégal.

En parallèle, un caïd local, Antoine Santelli, est arrêté dans le cadre d'une autre affaire. Il avoue avoir assassiné le garagiste et son assistant, mais change de version à chaque interrogatoire, finissant par désigner Roland Agret comme le commanditaire du meurtre : il est condamné à 15 ans de prison.

Incarcéré, il clame son innocence, mène une grève de la faim d'un an et 28 jours, au terme de laquelle il ne pèse que 47 kilos, et est maintenu en vie grâce à des perfusions. Son cas remonte au président Valéry Giscard d'Estaing, qui décide de le gracier pour raisons médicales.

Son combat ne s'arrête pas, il veut un procès en révision. Pour l'obtenir, il se coupe deux doigts et les porte au ministère de la Justice. Son procès en révision se tient en 1985, lors duquel il est acquitté. En 2005, il se tire une balle dans le pied pour réclamer une meilleure indemnisation de son incarcération. Il avait reçu 38 000 euros d'indemnités pour ses 18 mois de détention provisoire, mais rien pour les années passées après sa condamnation, car la loi ne prévoit pas ce cas de figure. Il obtient finalement gain de cause.

  • Jean-Marie Deveaux, condamné en, acquitté en 1969

Jean-Marie Deveaux lors de son acquittement en 1969, au côté de son avocat Me Soulier (Photo AFP)
Jean-Marie Deveaux lors de son acquittement en 1969, au côté de son avocat Me Soulier (Photo AFP)

Le 7 juillet 1961, le corps d’une fillette de sept ans, Dominique Bessard, est retrouvé sans vie dans la cave d’un HLM de Bron, près de Lyon. La victime a été poignardée et égorgée. Apprenti-boucher dans le commerce du père de la victime, Jean-Marie Deveaux, 16 ans, est rapidement écarté de la liste des suspects. Mais dans le quartier, la rumeur fait du jeune homme, peut-être un peu simple mais pas méchant, le coupable.

Une rumeur qu'il ne supporte pas. Fin août, alors que l'enquête piétine, la mère de la victime le trouve inanimé, à l’endroit même où le corps de sa fille avait été retrouvé. Jean-Marie Deveaux dit avoir été agressé, mais ne se souvient de rien. Sauf que le jeune homme a inventé cette attaque, se disant qu'il aurait été innocenté s'il avait été reconnu comme une victime du meurtrier.

L'histoire ne tient pas devant les enquêteurs, qui voient en lui le coupable idéal. Jean-Marie Deveaux, nie les faits jusqu'à la menace du sérum de vérité. Ayant une peur panique des aiguilles, il préfère avouer le meurtre.

Puis il se rétracte, et un juge note des incohérences avec le rapport médico-légal. Plusieurs témoignages évoquent un rôdeur, un meurtre similaire a lieu pendant sa détention, mais aux yeux de la justice et malgré des vices de procédure, il reste le coupable, et écope de 20 ans de prison.

Son avocat finit par obtenir la révision de son procès, le second procès aboutit à l’acquittement, le 27 septembre 1969, de Jean-Marie Deveaux. Le véritable assassin, lui, n'a jamais été retrouvé. Une affaire à l'origine de la loi sur l'indemnisation des victimes d’erreur judiciaire. Pour ses huit ans passées à tort en prison, il obtient 125 000 francs d'indemnisation en 1972.

  • Jean Deshays, condamné en 1949, acquitté en 1955

Ce docker nantais est accusé d'avoir tué un fermier le 7 mai 1948 et violemment frappé sa femme pour savoir où leurs économies sont cachées. Quelques jours plus tard, un détenu en cavale accuse son co-évadé et Jean Deshays d'être les auteurs du meurtre.

Jean Deshays passe aux aveux, en donnant de nombreux détails. Mais le co-évadé a un alibi, et laisse Deshays être le seul accusé. Le 9 décembre 1949, il est condamné malgré ses protestations, à 20 ans de travaux forcés.

Rebondissement en février 1952, dans un bar parisien. Deux prostituées se disputent en présence d'un policier, qui connaît l'affaire. Ce qui permet de remonter jusqu'aux véritables auteurs du crime, qui sont condamnés en 1954 et reconnaissent l'innocence de Deshays. Le procès de Jean Deshays en révision aboutit à son acquittement, raconte France Inter. Il obtient 5 millions de francs d'indemnités.

VIDÉO - Affaire Farid El HaÏry: vingt ans après l'avoir accusé de viol, la plaignante avoue avoir menti