Qu’est-ce que la « théorie du genre », brandie par les détracteurs de l’éducation à la vie affective et sexuelle ?

Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle doit être présenté le 12 décembre, en vue d’une mise en œuvre à la rentrée 2025.
Jim Craigmyle / Getty Images Le programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle doit être présenté le 12 décembre, en vue d’une mise en œuvre à la rentrée 2025.

INTERVIEW - Le futur programme d’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle a créé la polémique, jusqu’aux bancs de l’Assemblée nationale. Ses détracteurs dénoncent l’imposition de la « théorie du genre » dans les écoles pour discréditer le texte. Mais que signifie réellement cette expression ? Et quelles sont ses implications politiques ?

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Alors que le texte doit être présenté le 12 décembre au Conseil supérieur de l’éducation (CSE), en vue d’une mise en œuvre à la rentrée 2025, on fait le point sur cette terminologie avec Arnaud Alessandrin, docteur en sociologie et spécialiste du genre et des discriminations.

Le HuffPost. D’où vient l’expression « théorie du genre » et à quoi fait-elle référence ?

Arnaud Alessandrin. En France, le terme de « théorie du genre » va apparaître lors des débats autour du mariage pour tous. En fait, dès 2011, parce que le parti socialiste propose que le mariage pour tous soit voté dans ses propositions de campagne. Mais surtout parce que Nicolas Sarkozy fait apparaître la notion de « genre » dans les manuels de SVT. Et c’est la première fois qu’on entend ça en France.

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On observe alors une levée de boucliers des mouvements conservateurs – de la droite catholique et du parti chrétien-démocrate dirigé par Christine Boutin – face à cette introduction de la notion de genre dans le programme scolaire. On voit apparaître des discours qui prennent appui sur des arguments du Vatican. Et entre autres, l’argument classique selon lequel il y aurait un complot contre les hommes, les femmes, la nature et Dieu.

Et cela va prendre la forme de cette terminologie : « la théorie du genre ». C’est l’idée selon laquelle on nierait les différences anatomiques et sexuelles, mais plus que cela, qu’on serait en train de contraindre les femmes à devenir des hommes et les hommes à devenir des femmes. Et que l’on encouragerait l’homosexualité, la bisexualité et la « transsexualité ». Il y aurait donc une dimension prosélyte.

Comment expliquer la popularité de cette expression dans le discours politique depuis ?

D’un point de vue de l’efficacité du discours, cela marche bien, car quand on dit « la théorie du genre », on souligne que c’est une « théorie » et pas un fait. Et donc on fait croire aux personnes à qui on s’adresse que les sciences qui produisent ces théories ne produisent que des théories.

Et puis, dans « LA théorie du genre », il y a l’idée qu’il n’y en aurait qu’une seule et que l’on voudrait nous l’imposer. Et cela vient aussi alimenter la notion de « lobby LBGT », un lobby caché. Et la preuve que l’État serait le bras armé de cette théorie, ce serait qu’il a utilisé des institutions comme l’école pour la mettre en place.

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Cette narration apparaît en France autour de 2011, elle réapparaît bien sûr lors du mariage pour tous et de nouveau récemment, lors des débats autour de l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle (EVARS). Il y a toujours quelque chose de très anthropologique dans ces peurs. La peur de la fin de la famille, de la fin de la société, de la levée de tabous sociaux – la pédophilie, l’inceste. Ces peurs étaient déjà présentes lorsqu’il y a eu la légalisation des divorces en France au XIXe ou à l’apparition des premières familles monoparentales. On retrouve ce même type d’argument.

Face à la polémique montante, la ministre de l’Éducation a fait savoir que le terme « identité de genre » serait supprimé du programme d’éducation affective et sexuelle, car « la théorie du genre » n’a pas sa place à l’école. Qu’en pensez-vous ?

Le fait de supprimer le terme « identité de genre » a pour conséquence que les personnes qui appartiennent à des minorités de genre ne seront plus discutées, évoquées, ne se sentiront plus concernées. Cela veut dire aussi que l’on enlève pour partie un dispositif de prévention contre la haine – même si ce sont des sujets abordés par ailleurs lorsque l’on parle de harcèlement et de discriminations à l’école.

Ce n’est pas simplement : « on passe cette notion sous silence et on le fait quand même ». C’est factuellement donner l’opportunité pour celles et ceux qui ne veulent plus entendre parler de cette question de l’ignorer. C’est clairement jouer sur la santé mentale et psychique des jeunes appartenant à des minorités de genre ou de sexualité. Et la sacrifier sur l’autel du conservatisme.

Cependant, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain : ce programme parle de beaucoup d’autres choses, comme le consentement, la prévention sexuelle, l’anatomie… Il va plus loin que ce qui avait été fait auparavant. Là où les choses se compliquent, c’est moins dans l’énoncé des volontés, que dans leur réalisation concrète. Car cela demande de la formation et des moyens humains et financiers. Et il faut déjà que ce texte aboutisse, dans le contexte politique actuel.

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