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Pyongyang mise sur la cyberguerre pour combler son retard

La cyberattaque contre la division cinéma de Sony n'a peut-être été qu'un exercice d'entraînement pour l'armée d'experts informatiques dont dispose la Corée du Nord qui, à long terme, pourrait chercher à paralyser l'ensemble du réseau de télécommunication et d'électricité de ses adversaires. /Photo d'archives/REUTERS/Pawel Kopczynski

par Ju-min Park et Jack Kim SEOUL (Reuters) - La cyberattaque contre la division cinéma de Sony n'a peut-être été qu'un exercice d'entraînement pour l'armée d'experts informatiques dont dispose la Corée du Nord qui, à long terme, pourrait chercher à paralyser l'ensemble du réseau de télécommunication et d'électricité de ses adversaires. Selon des Nord-Coréens ayant fui leur pays, les autorités de Pyongyang ont massivement investi dans la cybernétique et les technologies nucléaires depuis des années afin de combler leur retard dans le domaine des armes conventionnelles. Vivant dans l'obsession d'une invasion orchestrée par la Corée du Sud et les Etats-Unis, le pouvoir communiste oeuvre à améliorer ses capacités d'intrusion informatique afin de paralyser ou détruire les systèmes et serveurs gérant des services publics essentiels. "L'objectif ultime de la 'cyberstratégie' de la Corée du Nord est de pouvoir attaquer les infrastructures de la Corée du Sud et des Etats-Unis", explique Kim Heung-kwan, un professeur de sciences informatiques qui a fui la Corée du Nord mais conservé des liens avec des membres de sa communauté. "L'attaque informatique contre Sony Pictures est semblable à celle menée par le passé et imputée à la Corée du Nord. Il s'agit d'entraînement et de tentatives dont le but est de détruire des infrastructures", ajoute-t-il. Cette opération, qui s'est traduite par le vol de milliers de documents de la division cinéma de Sony, constitue une victoire pour les pirates puisque la société de Culver City a renoncé à diffuser le film "The Interview" que le gouvernement nord-coréen considérait comme un "acte de guerre". De sources gouvernementales américaines, on assure qu'une telle opération de "hacking" a été "parrainée par un Etat" et que le pouvoir de Pyongyang était impliqué. "Ils s'entraînent à lancer des attaques contre des réseaux électroniques", précise Jang Se-yul, qui a étudié à l'université militaire pour les sciences informatiques avant de se réfugier en Corée du Sud il y a six ans. Le Bureau 121, géré par l'agence nord-coréenne de renseignement, est une cellule travaillant à préparer la guerre informatique et réunissant certains des experts les plus doués du pays. La plupart des hackers de cette unité, largement financée par le pouvoir central, sont issus des rangs de l'université militaire. "A long terme, leur objectif est de s'en prendre aux infrastructures", dit Jang Se-yul. VULNÉRABILITÉ En mars 2013, le système bancaire et le réseau de télévision sud-coréens avaient été paralysés pendant plusieurs jours par une cyberattaque que Séoul avait imputée à la Corée du Nord. Plus de 30.000 ordinateurs avaient été concernés par cette opération menée après une précédente attaque contre des sites gouvernementaux. Selon un responsable du ministère sud-coréen de la Défense qui a créé un "cyber commandement" il y a quatre ans, la capacité du Nord à perturber le fonctionnement des infrastructures du Sud est une menace croissante. Des responsables soutiennent que des mesures de protection existent pour empêcher des intrusions étrangères, notamment dans les systèmes informatiques du réseau gazier et des 23 réacteurs nucléaires qui fournissent un tiers de l'électricité consommée par le pays. Korea Gas, premier acheteur mondial de gaz liquéfié, collabore avec le Service national du renseignement pour faire face à toute menace informatique. Malgré la vigilance, la vulnérabilité de certains systèmes demeure évidente. Récemment, le réseau de Korea Hydro & Nuclear Power a été compromis et des informations personnelles d'employés et certains plans d'équipement électrique d'une centrale ont fuité. Les auteurs de l'attaque n'ont apparemment pas réussi à prendre le contrôle du système de gestion du réacteur, selon l'enquête ouverte après cet incident. Bien que dépensant une grande partie de son budget annuel dans la défense, la Corée du Nord accuse un évident retard dans le domaine conventionnel sur sa rivale du Sud. "Si l'on raisonne en termes de capacité militaire, il y a différents aspects comme le nucléaire ou le conventionnel. Mais avec l'environnement économique et les difficultés que rencontre le Nord, il se heurte à des limites dans sa volonté d'accroître ses capacités nucléaires ou sa puissance sous-marine et conventionnelle", explique Lim Jong-in, doyen à l'université de Seoul. "La capacité informatique dépend entièrement des gens. Je pense que c'est le moyen le plus efficace pour un renforcement de la puissance militaire du Nord", ajoute-t-il. (Pierre Sérisier pour le service français)