Combien de profs manque-t-il vraiment pour la rentrée? L'Éducation nationale peine à recruter
Les concours enseignants n'ont à nouveau pas fait le plein cette annnée. Créteil, Versailles et la Guyane sont particulièrement touchés dans le premier degré. Et dans le second, près d'un poste sur cinq n'a pas été pourvu.
Vers une nouvelle pénurie de professeurs? Si la ministre de l'Éducation nationale Nicole Belloubet assurait fin juin sur BFMTV que "la rentrée est prête" et qu'il y aurait bien des professeurs devant toutes les classes, il n'en reste pas moins que les concours enseignants n'ont, cette année encore, pas fait le plein.
Premier et second degrés confondus, enseignement général, professionnel ou technologique, dans les établissements publics, ce sont quelque 3401 postes de professeurs qui n'ont pas été pourvus à l'issue des concours, selon les décomptes de BFMTV.com. Et qui manquent donc pour la rentrée de septembre.
Versailles, Créteil, Guyane...
Dans le premier degré, certaines académies sont, comme les années précédentes, particulièrement touchées par la pénurie d'enseignants. C'est le cas dans celle de Versailles.
Sur les 1646 postes ouverts aux différents concours de recrutement de professeurs des écoles (concours externe, concours externe supplémentaire, troisième concours -BFMTV.com n'a volontairement pas pris en compte les concours internes qui s'adressent à des personnels déjà en poste), quelque 641 restent vacants. En clair: près de quatre postes sur dix proposés aux concours restent vacants dans cette académie.
L'académie de Versailles a ainsi organisé plusieurs journées de recrutement d'enseignants contractuels au mois de mai. Conditions requises: être titulaire, a minima, d'une licence (bac+3) et avoir un casier judiciaire vierge. Pourtant, même du côté des contractuels, le concours - ouvert à ceux justifiant 18 mois d'exercice - n'a pas fait le plein. L'académie enregistre seulement 72 titularisations pour les 120 proposées (il s'agit du concours interne exceptionnel)
"En parallèle des concours, l'académie a organisé quatre journées de recrutement qui ont permis de recruter un peu plus de 400 contractuels", défend l'académie de Versailles auprès de BFMTV.com. "Nous avons renouvelé environ 1000 professeurs des écoles et enseignants contractuels pour la prochaine rentrée."
Dans l'académie de Créteil, alors que 1935 postes étaient ouverts aux concours enseignants du premier degré, seuls 1086 candidats et candidates ont été admis. Près de la moitié des postes proposés n'ont donc pas été pourvus.
La situation est encore plus alarmante en Guyane. Près des trois quarts des postes restent vacants à l'issue des concours du premier degré (162 places, 44 admis en prenant en compte le concours externe, le CRPE externe spécial langue régionale créole de la Guyane ainsi que le troisième concours). Au total, dans toute la France, ce sont ainsi 1608 postes dans le premier degré qui restent non pourvus.
Le ministère assure dans un communiqué que "10.270 postes de professeurs des écoles étaient offerts aux différents concours du premier degré de l'enseignement public" et que "8920 candidats seront admis". "Toutes les académies ont réussi à pourvoir l'ensemble des postes ouverts dans les différentes voies de concours, à l'exception de quatre académies - Créteil et Versailles, la Guyane et Mayotte."
"Des difficultés de recrutement"
Début mai, Nicole Belloubet a tout de même reconnu sur France info "des difficultés de recrutement" à Versailles et Créteil. Mais elle s'est voulue rassurante sur BFMTV, expliquant qu'en plus des enseignants titulaires, des personnels contractuels seraient recrutés.
"Le problème, c'est que dans les académies en tension où c'est compliqué de recruter des contractuels, il va falloir piocher dans le pôle de remplaçants qui est déjà insuffisant", s'inquiète pour BFMTV.com Guislaine David, porte-parole et co-secrétaire générale du Snuipp-FSU, le syndicat enseignant majoritaire du premier degré.
"Dès la rentrée, on va avoir des remplaçants qui vont prendre des classes à l'année. Et rapidement, on n'aura plus de remplaçants pour couvrir les absences."
C'est justement ce que craignent les familles dont les établissements ont déjà été touchés par ces difficultés. Comme le groupe scolaire du Centre à Orsay (Essonne), dans l'académie de Versailles. Cet hiver, les six enseignants de l'école maternelle ont été en arrêt maladie en même temps, comme le racontait Le Parisien.
"On a eu des remplaçants au compte-goutte, une journée par ci, deux jours par-là", se souvient pour BFMTV.com Solweig Guinard, la présidente de la FCPE d'Orsay Centre, qui décompte "40 jours sans école." Elle décrit une situation particulièrement compliquée.
"Le lundi et le mardi on avait madame untel, personne le mercredi (l'organisation est de 4,5 jours de classe par semaine, NDLR), puis monsieur untel le jeudi et encore personne le vendredi. On a eu un premier, puis un deuxième, puis un troisième remplaçant qui sont partis. Une dizaine au total. Un sketch", déplore Solweig Guinard.
Avec parfois jusqu'à 35 enfants de maternelle par classe, sans compter le manque d'accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) pour les neuf enfants de l'école. "Le système est en train de craquer, l'école publique est en train de perdre pied", estime-t-elle.
Un poste sur cinq vacant dans le second degré
La pénurie se profile également dans le second degré où 1793 postes restent vacants sur les quelque 9968 offerts aux concours de l'enseignement public. Soit près d'un poste sur cinq proposés aux concours.
Pour effectuer ce décompte, BFMTV.com a additionné les admis au concours externe du Capes - le principal - mais aussi au troisième concours, au concours externe avec affectation locale à Mayotte, à l'agrégation, l'agrégation spéciale réservée aux doctorants, le Capet pour enseigner en lycée technologique, le Capeps pour l'éducation physique et le CAPLP pour enseigner en lycée professionnel. Ce qui représente près d'un poste sur cinq non pourvu aux concours.
Certaines disciplines sont particulièrement touchées, comme la physique-chimie. Moins de deux tiers des postes sont couverts à l'issue des concours. Car sur les 450 postes proposés au Capes (externe et troisième concours), comme l'indiquent les données du ministère de l'Éducation nationale, seuls 293 candidats et candidates ont été admis.
En mathématiques, alors que 1226 postes étaient ouverts (aux concours externe, troisième concours et concours externe du Capes avec affectation locale à Mayotte), quelque 923 candidats et candidates ont été admis. Ce qui signifique que dans cette discipline, c'est un quart des postes qui n'ont pas été couverts aux concours du Capes Pas mieux en lettres classiques: 90 postes, 57 admis. Ou en lettres modernes: 763 postes, 640 admis.
Même pénurie pour l'enseignement des langues vivantes. Au Capes d'espagnol: 314 places mais seulement 275 admis. En allemand: sur les 185 postes proposés, seuls 87 sont couverts par le concours. Et en anglais: 879 places pour 835 admis. Quant à l'éducation musicale, seules 92 des 129 places sont couvertes.
Des résultats "en nette amélioration" pour le ministère
"Parmi les disciplines qui ne pourvoient pas l'ensemble de leurs postes, la situation des disciplines traditionnellement déficitaires s'améliore pour les mathématiques (79,9% de postes pourvus contre 76% en 2023), les lettres classiques (63,3% de postes pourvus contre 30,6% en 2023) et l'allemand (45,5% de postes pourvus contre 42% en 2023)", nuance le ministère.
En ce qui concerne le Capet, le concours pour enseigner en lycée technologique, quelque 138 postes (sur les 624 ouverts aux concours) n'ont pas été attribués. Pour la filière professionnelle, il va manquer 477 enseignants pour la rentrée (477 admis sur les 1305 postes proposés aux CAPLP).
Le ministère se félicite pourtants de résultats "en nette amélioration" par rapport à l'année passée:
"Au niveau national, le taux de postes pourvus pour le second degré, tous concours confondus se situe à 88,3% pour la présente session alors qu'il était de 86,3% en 2023 et 83,3% en 2022."
Des pénuries qui s'accumulent
"Les mois, les ministres passent mais on a toujours autant de mal à recruter des enseignants", déplore pour BFMTV.com Sophie Vénétitay, secrétaire générale et porte-parole du Snes-FSU, le premier syndicat enseignant du second degré. "C'est une situation qui devient dramatique et dont on ne devrait pas s'accomoder. Car le résultat, ce sont des élèves sans professeur."
Une pénurie qui s'ajoute à celles des années précédentes. En 2023, quelque 3100 postes n'ont pas été pourvus aux concours enseignants. En 2022, c'était 4000. "On va se retrouver dans les mêmes bricolages que les dernières années avec des petites annonces, des recrutements express de contractuels sans véritable formation avant la rentrée."
"L'Éducation nationale bricole", dénonce-t-elle.
Afin de pallier les difficultés de recrutement chroniques de ces dernières années, Emmanuel Macron a annoncé au mois d'avril une réforme de la formation initiale des enseignants. En clair, les concours enseignants pourront être passés à la fin de la licence, soit à bac+3, au lieu de bac+5 actuellement.
Mais il n'est pas certain que cela suffise, estime Sophie Vénétitay. "On voit bien que le choc d'attractivité n'a pas eu lieu. Tant que les conditions de travail resteront les mêmes, avec des classes surchargées et la question des salaires toujours pas réglée qui présagent un métier au rabais, rien ne changera."