Procès des viols de Mazan: quand les victimes de viol refusent le huis clos pour "lutter contre le déni sociétal"

Procès des viols de Mazan: quand les victimes de viol refusent le huis clos pour "lutter contre le déni sociétal"

Une victime de violences sexuelles doit-elle accepter d'exposer son intimité au grand public pour ne pas permettre à ses agresseurs de rester dans l'ombre? Alors que le procès dit des "viols multiples de Mazan" s'ouvre ce lundi 2 septembre, la principale victime, Gisèle, une septuagénaire, ne devrait pas demander le huis clos, selon nos informations. Public, journalistes devraient ainsi pouvoir assister à ces quatre mois d'audience pendant lesquels la justice va devoir juger de faits particulièrement atroces.

Le huis clos, cette publicité restreinte des débats qui vont se tenir dans cette salle de la cour criminelle départementale du Vaucluse, aurait pourtant été accordé, de droit, à Gisèle au regard des faits jugés. C'est le cas dans de nombreux procès de viol. Dans ce procès-là, les accusations sont particulièrement sordides: des viols perpétrés pendant une dizaine d'années par des dizaines d'hommes -50 seront jugés- le tout orchestré par son mari qui la droguait avant de la livrer à ces inconnus au domicile du couple. Totalement assommée par les médicaments ingurgités, Gisèle n'avait aucun souvenir.

Pour Gisèle, en refusant le huis clos, il s'agit de "rééquilibrer la salle" et rendre cette atmosphère moins "hostile". Si pendant l'instruction, la plupart des accusés ont exprimé leurs regrets envers cette femme abusée, réduite à l'état d'objet grâce à un stratagème de soumission chimique, il n'en reste pas moins que la septuagénaire va se retrouver face à 51 hommes qui seront dans le box des accusés. Gisèle pourra certes compter sur le soutien de ses trois enfants -sa fille et ses deux belles-filles sont également partie civile- "elle s'est rendue compte qu'en demandant le huis clos, c'est aussi se retrouver uniquement face à ses agresseurs", explique une source proche du dossier.

"Ne pas les épargner"

Claudine Cordani a été la première victime de viol mineure en France à refuser le huis clos. En 1985, elle est seule face à ses trois agresseurs. Elle n'a pas averti ses parents, pour les préserver, qu'un an plus tôt, elle a été violée, une première fois le long du canal de l'Ourcq dans le XIXe arrondissement de Paris puis séquestrée, torturée et à nouveau violée en réunion dans un appartement. Claudine a 17 ans. La règle veut alors que le procès se tienne à huis clos. Mais quand il s'ouvre devant la cour d'assises de Paris -le viol est considéré comme un crime aux yeux de la loi depuis 1980- la jeune femme le refuse.

"Je n'ai jamais ressenti de honte, ce n'était pas à moi d'avoir honte", résume auprès de BFMTV.com Claudine Cordani.

Et de détailler: "À partir du moment où ces hommes entrent dans mon intimité, je voulais braquer les projecteurs sur eux, qu'ils aient honte. Je ne voulais pas les épargner, parce que moi, je n'ai pas été épargnée."

Le nom de Claudine est anonymisé pendant le procès, elle est appelée Caroline. "Le public, je l'ai oublié pendant le procès", confie-t-elle. "Bien sûr que ça a été dur de raconter ce qu'il s'est passé à la barre, de dévoiler mon intimité, mais ma préoccupation, à ce moment-là était que ces hommes aillent en prison."

L'effet "libérateur" du public

Me Anne Bouillon voit en la présence du public un effet "libérateur" pour les victimes. L'avocate nantaise, spécialisée dans l'accompagnement de victimes de violences sexuelles, conseille à ses clientes de ne pas demander le huis clos. "L'expérience démontre que la présence d'autres personnes ne change rien pour les victimes, au contraire, le public est porteur, c'est souvent un moment où la parole se libère", explique la pénaliste. "Elle peut prendre à témoin la justice et la société de ce qu'elle a vécu." L'important pour la victime est de la préparer.

Claudine Cordani se souvient de la bienveillance du juge qui a instruit son affaire. "J'ai eu beaucoup de chance", se remémore-t-elle. "Il m'a expliqué ce qui allait se passer, il m'a fait visiter une salle de cours d'assises, vide, pour m'habituer. Je me suis sentie protégée parce que j'étais préparée." Pour autant, elle raconte avoir subi des pressions de l'entourage des accusés. Malgré tout, elle refusera le huis clos. Aujourd'hui, elle ne veut pas parler de "courage" mais de "conviction".

Lutter contre le "déni sociétal"

Quelques années auparavant, il y eu le procès emblématique du viol à Aix-en-Provence, affaire qui a conduit à considérer le viol comme un crime. L'un des combats menés par l'avocate Gisèle Halimi qui défendait les victimes dans ce dossier où deux touristes ont été violées et torturées pendant plusieurs heures à Marseille.

La célèbre avocate en a fait un procès politique en ne demandant pas le huis clos. L'ambiance est électrique. Gisèle Halimi, son assistante, sont injuriées et même giflées devant les portes du palais de justice. Deux ans plus tard, le viol est alors considéré comme un crime. Il est jugé par une cour d'assises et les auteurs risquent dix ans de réclusion criminelle.

"En refusant le huis clos, c'était aussi l'idée qu'il n'y ait pas de filtre entre ce qui se passe dans la société et la société elle-même", appuie pour sa part Claudine Cordani.

Le privé est politique lançaient les mouvements féministes dans les années 60. "La justice doit être rendue en public, cela garantit un fonctionnement démocratique", abonde Me Anne Bouillon. "De plus, très souvent, les affaires de violences sexuelles ont une dimension politique." Dans l'affaire des viols multiples de Mazan, il y a "l'idée que c'est le mari qui est détenteur du corps de sa femme, et c'est cette idée qui doit être combattue", poursuit l'avocate.

Pour les deux femmes, la tenue des procès pour viol, comme ce sera le cas dans le Vaucluse, devant une chambre criminelle départementale "appauvrit" par ailleurs la connaissance de la société de ces crimes sexuels et "instaure un filtre". La publicité des débats, c'est "pourtant la meilleure façon de lutter contre le déni sociétal", conclut Claudine Cordani.

Article original publié sur BFMTV.com