Procès des viols de Mazan : plusieurs accusés vont porter plainte pour « diffusion d’informations personnelles »

Si des militantes ont régulièrement fait entendre leur voix en marge du procès des viols de Mazan, sur les réseaux sociaux, la diffusion du nom des accusés pose de plus sérieux problèmes à la justice.
CHRISTOPHE SIMON / AFP Si des militantes ont régulièrement fait entendre leur voix en marge du procès des viols de Mazan, sur les réseaux sociaux, la diffusion du nom des accusés pose de plus sérieux problèmes à la justice.

JUSTICE - Un dérapage inévitable ? À Avignon, l’ouverture du procès des viols de Mazan, où le septuagénaire Dominique Pelicot est jugé pour avoir drogué, violé et fait violer son épouse par des dizaines d’hommes recrutés sur Internet, pendant plus de dix ans, une phrase de la victime, Gisèle Pelicot, avait tout de suite marqué les esprits : « La honte doit changer de camp ».

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Des mots prononcés pour justifier son refus d’un huis clos dans ce procès où 51 hommes apparemment sans histoire se retrouvent sur le banc des accusés. Sauf qu’au début de la deuxième semaine d’un procès qui doit durer jusqu’à la fin décembre, les avocats chargés de défendre ces hommes ont fait savoir qu’ils allaient porter plainte pour « diffusion d’informations personnelles suivies de menaces envers leurs clients ».

Éviter la frénésie de l’instant

Une annonce faite ce lundi 9 septembre, à l’ouverture du sixième jour d’audience, par l’intermédiaire de l’avocate Isabelle Crépin-Dehaene, qui s’est exprimée au nom de tous ses confrères massés derrière elle. « Dès cette semaine, une quinzaine de plaintes seront déposées par les différents avocats que nous sommes, entre les mains des parquets territorialement compétents, d’autres suivront dans les semaines à venir », a-t-elle prévenu

Il est difficile de nier le fait que depuis l’ouverture du procès des viols de Mazan, les réseaux sociaux sont devenus une caisse de résonance très importante. En cause ? Plusieurs volets de cette affaire particulièrement perturbants. Qu’il s’agisse du profil des suspects (d’une banalité inquiétante), de la soumission chimique perpétrée par le mari, du nombre de viols commis, ou de l’utilisation du site plus que douteux Coco, fermé définitivement après avoir été mis en cause dans de multiples affaires de viols, de pédophilie et de prostitution.

Sur X ou TikTok notamment, des comptes se sont donc sciemment servis des paroles de Gisèle Pelicot pour littéralement faire changer « la honte de camp ». Ce qui s’est traduit par la diffusion sans le moindre filtre de la liste des accusés présents au procès, qui sont tous présumés innocent. Une pratique illégale pouvant comporter un risque important pour les accusés, peu importent les actes pour lesquels ils sont aujourd’hui poursuivis.

« Des informations à caractère personnel des accusés, leur identité, nom, prénom, profession, adresse et parfois des photos prises dans l’enceinte même du tribunal ont été diffusées sur les réseaux sociaux, au mépris des règles les plus élémentaires de notre droit, socle de notre démocratie », a donc indiqué Isabelle Crépin-Dhaene à la presse.

Pour rappel, lors de la première semaine d’audience, il avait déjà été martelé qu’aucune captation d’image n’était autorisée pendant les débats dans la salle d’audience, mais aussi dans la salle de retransmission où un public nombreux se presse à chaque journée pour suivre ce procès sans commune mesure en France.

L’avocate rapporte d’ailleurs plusieurs faits inquiétants qui ont déjà eu lieu. « Des enfants d’accusés ont été pris à partie au sein de leur établissement scolaire, des épouses et proches d’accusés ont été insultés, des appels téléphoniques malveillants reçus par des accusés, avec tentatives d’intrusion à leur domicile », a-t-elle notamment listé. Sauf que pour l’avocate, « la justice s’exerce par nos lois, dans le calme du temps et non dans la frénésie de l’instant ».

De quoi conduire les avocats de la défense à « devoir saisir le ministère public de poursuites pénales afin de prévenir toute nouvelle forme de violence voire, ce qui est à craindre, d’atteinte à l’intégrité physique des accusés et de leurs proches ».

Le procès de « Monsieur tout-le-monde »

Selon maître Crépin-Dehaene, seront « systématiquement poursuivis ceux qui diffuseraient des informations à caractère personnel ou qui tiendraient des propos à connotation raciale à l’égard des accusés aux noms patronymiques à consonance étrangère ».

Car la diffusion de la liste des noms des accusés a donné lieu à un double mouvement, certains utilisateurs des réseaux sociaux se permettant des saillies racistes. D’autres, à l’inverse, ont plutôt souligné la faible présence de noms de famille d’origine étrangère, s’en servant pour décrédibiliser les arguments venus de l’extrême droite sur l’origine ethnique supposée des agresseurs sexuels. La consonance française de la plupart des noms de famille d’accusés serait donc là pour contredire cette idée reçue et montrer que les agresseurs sexuels sont avant tout des « Messieurs tout-le-monde ».

Face à ces arguments, des internautes masculins se sont insurgés contre cette campagne en ligne, utilisant les slogans et hashtags reprenant l’idée de « Not all men » (« pas tous les hommes » en français) pour réfuter la généralisation de ces accusations à l’encontre des comportements masculins. De quoi pousser certains hommes à prendre la parole pour se désolidariser de cette campagne aux relents masculinistes. C’est le cas de l’artiste et musicien Waxx, qui a partagé un message sur X pour réagir à la résurgence du « not all men » en ligne, alors que le féminicide d’une athlète ougandaise présente aux JO de Paris 2024 a également suscité une vague d’indignation en lien avec les violences conjugales.

Avant cette annonce face à la presse, les avocats des accusés qui souhaitent porter plainte ont également délivré leur message devant la cour criminelle de Vaucluse. Face à eux, le président de la cour, Roger Arata, a promis que « tout sera fait pour garantir la sérénité des débats ». Une sérénité nécessaire « afin de les mener à leur terme ». Une réaction nécessaire alors que plus de trois mois de procès sont encore programmés.

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