Procès des viols de Mazan: la famille Pelicot à l'épreuve du "cataclysme" vécu
Depuis le début du procès, ils apparaissent unis. Gisèle Pelicot, ses trois enfants, Caroline et ses deux frères, ses deux belles-filles, arrivent ensemble aux audiences. Pendant les débats ou les témoignages, ils se prennent dans les bras, ils se supportent, se réconfortent, il pleurent ensemble. Depuis quatre ans, pourtant l'"affaire historique, au mauvais sens de terme", c'est celle de cette fratrie, celle de leur père accusé d'avoir drogué leur mère et de l'avoir livrée à des inconnus.
"Ca m’est tombé dessus comme un véritable cataclysme", souffle Caroline Darian. Elle est la première à prendre la parole ce vendredi devant la cour criminelle du Vaucluse. La fille cadette de Gisèle Pelicot fait le choix de traverser, la tête haute, le regard fixe, la salle d'audience où sont répartis les 32 accusés comparaissant libres. Elle se souvient, avec douleur, de ce 2 novembre 2020 quand sa mère lui apprend l'impensable, quand "son monde s'écroule", quand elle découvre que son père est "sans doute l’un des plus grands prédateurs sexuels de ces dernières années".
"J'aimais mon père"
Lorsque sa mère Gisèle l'appelle ce soir-là, elle imagine que celui qu'elle considère encore comme son père "est sur le point de mourir". "On est en période de Covid, mon père a des problèmes respiratoires, je l'imagine en réanimation", explique la quadragénaire, cheveux blonds au carré. Caroline Darian évoque ce "point de bascule", ce "glissement où on ne sait pas jusqu’où on va descendre" quand sa mère lui raconte avoir passé sa journée au commissariat. Des policiers lui ont montré des photos d'elle, endormie, des inconnus en train de la violer. Elle n'a pas pu affronter les vidéos.
Jeudi, Gisèle Pelicot avait raconté le cri de douleur de sa fille à cet instant, un cri "gravé dans sa mémoire". "On essaie d’enfermer mon fils pour ne pas qu’il entende les cris de sa mère en train de dévisser de sa vie", confie la quadragénaire, avant de fondre en larmes. "J’aimais mon père, j’aimais l’image de l’homme que je croyais connaître, j’aimais l’image de cet homme sain, bienveillant, prévenant", souffle-t-elle. Dominique Pelicot s'agite dans son box, lui aussi pleure par moment.
Céline, sa belle-soeur, est vite aller coucher ses trois enfants ce soir du 2 novembre quand son mari, le fils aîné de la septuagénaire, a reçu un appel de sa mère. "Quand mon mari raccroche, il n’a même pas le temps de venir jusqu’à moi, il va aux toilettes pour vomir, se souvient-elle ce vendredi. Ma priorité est d’isoler mes enfants car je sais ce qui va venir va bouleverser notre vie." Aurore voit elle son mari, le benjamin de la fratrie, "se décomposer au téléphone".
"On est dans la sidération", confie-t-elle à la cour.
L'image de la famille idéale détruite
L'annonce de la garde à vue de Dominique Pelicot et celle de la découverte des photos et vidéos de Gisèle Pelicot sont venue frapper de plein fouet le quotidien de ces trois couples, de ces trois familles. "Avant le 2 novembre 2020, nous avions une famille unie, nous avons traversé tellement d’épreuves tous ensemble", explique Caroline Darian. Tous partent souvent en vacances avec Gisèle et Dominique Pelicot. Les grands-parents gardent ou viennent garder leurs petits-enfants. "Pour moi c'était un peu la famille idéale", explique Aurore.
Dans les heures qui suivent l'appel de leur mère, ils décident de la rejoindre à Mazan pour "l'envelopper, la protéger, la mettre en sécurité". "Avec ma belle-sœur, on essaie de les soutenir comme on peut. Chacun d’entre nous, on souhaite être là pour notre belle-mère mais on a chacun notre vie et il faut qu’on se concentre sur nos enfants", s'excuse presque Céline.
La famille, surtout les trois femmes aujourd'hui partie civile dans ce procès, vont aussi devoir faire face à "l'humiliation", au "dégoût" après la découverte de photos intimes d'elle dans les fichiers de Dominique Pelicot. Pour Caroline Darian, ce sera le choc. Sur ces clichés qu'on lui présente, il y a "une femme qui, a priori, dort, allongée sur le côté, la lumière allumée. On voit ses fesses", décrit-elle avec beaucoup de souffrance. Sur la deuxième photo, cette femme est dans la même position, portant la même culotte, avec la même mise en scène. Caroline Darian dit ne pas se reconnaître, mais le policier lui fait remarquer une tache brune sur la joue, comme elle.
"Là je me découvre et je comprends que l’homme qui était mon père en qui j’avais totale confiance, de qui je pensais qu’il avait une intégrité, qu’il respectait sa fille, qui en était fière, qui l’avait toujours encouragée, je découvre qu’en fait, mon père m’a photographié à mon insu, dénudée."
Des photos intimes des trois femmes découvertes
Dominique Pelicot, qui a toujours nié avoir drogué sa fille, avait aussi photographié Céline, la femme de son fils aîné. "Il a pris des photos de moi dans la salle de bain à mon domicile. Pas une seule comme il dit", s'indigne-t-elle. Aurore aussi a été photographiée dans son intimité dans la salle de bain, sous la douche. Il existe aussi un photomontage intitulé "ma salope de belle-fille". "Où sont ces photos? À qui les a-t-il envoyées? Où seront-elles dans 5 ans, dans 10 ans, quand je serais morte? Mes enfants tomberont ils un jour dessus? Pourquoi a-t-il eu ce regard sur moi?", se désole Céline.
Jusqu'au 2 novembre 2020, aucun n'a eu de doute sur Dominique Pelicot. Il pouvait être colérique, il y avait certains sujets qu'on ne pouvait pas aborder avec lui. Rien de plus, à part quelques moments de tension propres à toute famille. Mais pour ces mères de famille, il existe désormais le soupçon que leurs enfants ont pu être victime de ce grand-père décrit comme "bienveillant". "On leur a posé beaucoup de questions", racontent les deux belles-soeurs.
Des souvenirs ont émergé, comme cette fois où les enfants de Céline ont trouvé leur grand-mère ne se réveillant qu'à 17 heures. "Il est évident que quand on sait ce qu’on sait aujourd'hui que des questions se posent, estime la mère de famille. Nos enfants ont pu être témoin, auraient pu entendre des choses, auraient pu être présents." Avec le temps, les deux filles de Céline se sont aussi souvenu de cette "lumière rouge" quand elles allaient dans la piscine. À l'été 2020, juste avant son interpellation, il avait demandé à la fille aînée d'Aurore de se "mettre nu" en échange de bonbons. Dominique Pelicot a toujours nié également avoir pu abuser de ses petits-enfants.
Le combat contre la soumission chimique
À la douleur de cette famille s'est aussi ajouté le témoignage d'Aurore pendant l'instruction évoquant cette fois où elle a entendu son beau-père proposant au fils de Céline et de son mari de "jouer au docteur". "Pourquoi à ce moment-là je n’en parle pas? Pourquoi je n’informe pas mon beau-frère et ma belle-sœur?", dit-elle, évoquant ce sentiment de "culpabilité".
Aurore a été victime d'inceste, à l'époque elle cherche à faire reconnaître les abus de son grand-père par la justice. "En tant qu’abusée, on a tendance à douter de la véracité de ce qu’on peut entendre? On se dit 'est-ce que je ne vois pas le mal partout?'", confie-t-elle. Aujourd'hui ces doutes, elle les balaie. "Je ne me tairai plus", lance la jeune femme avant de saluer le "courage" et la "dignité" de sa belle-mère qui "porte un vrai message".
Caroline Darian livre elle-aussi ce combat contre la soumission chimique, notamment avec son association #MendorsPas. "Dans ce dossier, il s’agit bien de soumission chimique, tranche-t-elle ce vendredi. Dans la majorité des cas, les preuves comme dans le dossier de ma mère ça n’existe pas. Comment fait on quand on se présente devant vous dans une cour criminelle, quand la qualification des faits n’est pas à la hauteur de ce que la victime sait ce qu’elle a subi, comment fait-elle pour se reconstruire?", questionne-t-elle.
Avant de conclure avec fermeté: "Comment fait on pour aller mieux? Comment fait on pour se reconstruire?"