Procès de Mazan : sur les réseaux sociaux, certains avocats de la défense sont « en roue libre »
Sur Instagram ou sur LinkedIn, des avocats de la défense commentent en direct le procès en cours, notamment le témoignage de Gisèle Pelicot. Et leur déontologie est fortement questionnée.
JUSTICE - « Je sors du procès Pelicot, pffiiiiiou ! (...) On a diffusé les photos de Madame, elles sont effectivement dans des positions qui posaient problème, puisque depuis quelques jours, elle soutenait que jamais elle n’avait participé à quoi que ce soit… » Ces propos – ceux d’une avocate de la défense au procès des viols de Mazan – n’ont pas été tenus devant la cour criminelle d’Avignon, mais sur Instagram.
Procès des viols de Mazan : cet autre dossier sordide dans le Tarn rappelle l’affaire Pelicot
Quotidiennement, Nadia El Bouroumi, qui représente deux des 51 accusés de viol sur Gisèle Pelicot, commente le procès en cours sur son compte. L’avocate se filme en selfie, généralement au volant de sa voiture ou en chemin pour la salle de sport, et fait part de ses impressions à ses plus de 47 000 abonnés.
« Ça chauffe aux Assises ! » peut-on lire sur son compte le 18 septembre, jour où Gisèle Pelicot, affirme comprendre « pourquoi les victimes de viol ne portent pas plainte », face à la violence de la défense à son égard. Ce jour-là, Nadia El Bouroumi fait partie des avocats dont l’agressivité est montée d’un cran, devant la diffusion de 27 clichés intimes de Gisèle Pelicot.
« Je ne comprends pas ce qui vous choque »
« Quand on reçoit des photos comme celles-là, on peut se dire que c’est une femme qui aime les jeux sexuels », lance Nadia El Bouroumi à la plaignante lors de l’audience. Sur son compte Instagram, l’avocate « débriefe » ensuite la scène avec ses followers. « Elle s’est mise en colère, moi j’ai pris le micro en disant que c’était elle qui avait souhaité que ce soit public et que maintenant il ne s’agissait pas de se plaindre », s’agace-t-elle, comme le montre le post ci-dessous.
Ça arrive souvent que des avocats publient ce genre de stories ?
On se croirait dans une télé-réalité. Celle que Le Monde décrit comme la "bruyante figure de proue de la défense" a vraiment une façon très personnelle de peser dans la médiatisation de ce procès historique 😵💫 pic.twitter.com/9UfKkIV8Ka— Elodie Safaris (@avriogata) September 19, 2024
Dans une vidéo publiée jeudi 19 septembre, on voit même l’avocate danser sur « Wake me up before you go-go » de Wham ! En légende, elle écrit : « Triste réalité que je préfère mettre en lumière avec humour ! Il y a ceux qui disent oui et ceux qui disent NON ! Moi je dis NON ! Jamais vous ne me ferez taire car vous considérez que mon avis ou ma position ne vous convient pas ! ».
Les paroles de la chanson se traduisent par : « Réveille-moi avant de partir ». Un choix qui interroge en plein milieu d’un procès où la plaignante a été, des aveux même de son mari, victime de sous soumission chimique. Dans les commentaires du post, les mots « honte » et « indécence » à l’égard de l’avocate prédominent.
Interrogée sur BMFTV ce vendredi 20 septembre au sujet de ses vidéos, Nadia El Bouroumi affirme ne pas voir ce qui pose problème. « Je ne comprends pas ce qui vous choque. J’ai un compte Instagram depuis déjà 4-5 ans où j’explique mes journées de travail au-delà de ce qui peut paraître », se défend-elle. Avant d’ajouter : « Il faut avoir envie de ne pas faire des raccourcis et ça c’est très compliqué, d’où l’utilisation pour moi de mes réseaux. »
« Dommage, elle aurait pu vendre ses seins en plastique »
Sur LinkedIn, c’est une autre avocate de la défense, Isabelle Crépin-Dehaene, qui se permet dans une publication d’user de sarcasme au sujet de la plaignante. Dans des captures d’écran du post en question, qui n’est plus visible sur son compte, elle publie un article sur la cagnotte de soutien à Gisèle Pelicot lancée puis fermée par Nabilla Benattia Vergara.
Intéressant ce post LinkedIn d'une des avocates de la défense qui s'est montrée particulièrement agressive hier avec Gisèle Pélicot. On sent bien l'envie de préserver la dignité des débats pic.twitter.com/xXUnJdUO13
— Nolwenn Guellec (@Nolwenn_Guellec) September 19, 2024
« Le soutien qui tue », écrit-elle. Avant d’ajouter, dans les commentaires : « Dommage, elle aurait pu vendre ses seins en plastique ». Depuis, l’avocate semble avoir effacé la publication en question et affirme avoir déposé plainte « à l’encontre de nombreuses personnes qui s’estiment bien fondées à insulter un avocat par médias interposés ».
Dans une autre publication, à l’ouverture du procès de Mazan, cette même avocate dénonce la « manifestation foireuse », d’une vingtaine « de pseudo-féministes avec des banderoles ». Quelques jours plus tard, elle s’agace, « en direct du palais de justice d’Avignon, seule la partie civile a la parole. La défense est totalement ignorée. Elle n’existe pas médiatiquement ou très peu. »
La défense est « en totale roue libre »
Sur les réseaux sociaux, le ton de ces avocates, les propos tenus et leur diffusion en plein procès ont choqué de nombreux observateurs du monde judiciaire et des avocats eux-mêmes. « La défense dans ce procès est en totale roue libre », commente un juge.
« Je vois passer des posts LinkedIn d’une consœur de la défense dans le procès #Mazan. J’espère que (si ces posts sont bien les siens) son bâtonnier va être immédiatement saisi. Je rappelle que la dignité et l’humanité font partie de notre serment », s’indigne l’ex-avocate des Grandes Gueules Marie-Anne Soubré-Trinh.
« L’impression que les avocats de défense font un concours. […] On pourrait s’accommoder de l’image désastreuse pour la profession si on était vraiment certains qu’ils agissent dans l’intérêt de leurs clients Il y a des doutes », souligne un autre avocat.
« Vu qu’apparemment c’est à la mode de se mettre en avant sur les RS pendant des procès d’assise, je vous annonce que je ferai de même pour ma prochaine commission départementale d’expulsion à Châteauroux, et ce sera sen-sa-tion-nel. En même temps je ferai Guide Michelin », ironise un avocat spécialisé en droit d’asile et droit des étrangers.
L’impression que les avocats de défense font un concours. Et que certains Confrères parient un peu leur champion
On pourrait s’accommoder de l’image désastreuse pour la profession si on était vmt certains qu’ils agissent dans l’intérêt de leurs clients
Il y a des doutes. #mazan https://t.co/Jj85eAmgtH— Clintiswoud 🇫🇷 (@L_Aut_Avocat_La) September 19, 2024
Je viens de visionner la vidéo (l'une des vidéos ?) postée par la consœur qui intervient dans le dossier de #Mazan. Je suis consterné et effondré. J'ai le sentiment que l'audience est désormais hors de contrôle.
C'est dramatique.— JP Ribaut-Pasqualini (@De_lege_lata) September 19, 2024
C'est officiel : la défense dans ce procès est en totale roue libre. https://t.co/pniV5VBtMI
— le Canard justicier (@Canardjusticier) September 19, 2024
NOT ALL LES AVOCATS DE LA DEFENSE.
— Klm (@MaitreKlem) September 19, 2024
Je vois passer des posts LinkedIn d’une consœur de la défense dans le procès #Mazan. J’espère que (si ces posts sont bien les siens) son bâtonnier va être immédiatement saisi. Je rappelle que la dignité et l’humanité font partie de notre serment.
— Marie-Anne Soubré-Trinh (@soubremarieanne) September 19, 2024
Aurait-on imaginé Gisèle Halimi ou Henri Leclerc faire des stories Tiktok ou des posts Linkedin pour debriefer leurs interventions du jour et envoyer bouler de façon agressive et familière tous les gens qui n’auraient pas compris leur défense ? #mazan
— Astrée ✨ (@spicyplume) September 19, 2024
Ok je viens de comprendre : entre le premier qui dit qu'il y a "viol et viol", la seconde qui se vante sur insta d'avoir rabroué la victime et mtn ça : en fait ils font un concours à qui sera le plus scabreux. https://t.co/GZWs4yrfcV
— le Canard justicier (@Canardjusticier) September 19, 2024
#Mazan Une avocate qui blague sur LinkedIn au sujet des seins de Nabila et de sa cagnotte pr Gisèle P. Une autre qui affirme sur Insta que la victime "fait des poses" sur des photos montrées au procès. C'est tjrs une défense normale ou on peut enfin parler de volonté d'humilier ? pic.twitter.com/H3gNdVmNUA
— Coline Clavaud-Mégevand (@colinecm) September 19, 2024
Certains rappellent aux avocats de la défense le code de déontologie de leur profession. Toujours sur X, Nicolas Hervieu, juriste en droit public et droit européen des droits de l’homme, cite le code de déontologie : « La liberté d’expression de l’avocat ne l’autorise pas à donner de sa profession une image violente, vulgaire ou cynique. »
D’autres invoquent le serment que les avocats prêtent au moment de leur entrée en fonction : « Je jure, comme avocat, d’exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité ».
Petit rappel :
« La liberté d'expression de l'avocat ne l'autorise pas à donner de sa profession une image violente, vulgaire ou cynique »
[CD @Avocats_Paris, 22 déc. 2023, n° 381859] https://t.co/j2zYP261Q0— Nicolas Hervieu (@N_Hervieu) September 19, 2024
Je repose ça ici.
"Je jure, comme avocat, d'exercer mes fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité"— avokatoptimist' (@avokatoptimist) September 19, 2024
Alors, les avocats ont-ils le droit de commenter une affaire en cours ? C’est le cas, quotidiennement, dans les médias, mais les réseaux sociaux semblent changer la donne. De nombreux professionnels appellent en tout cas le Bâtonnier de l’Ordre des avocats à réagir.
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