Procès de Mazan : les avocats de la défense sont-ils obligés de mettre si violemment en cause Gisèle Pelicot ?

Gisele Pelicot, à la cour d’Assises à Avignon, le 17 septembre.
CHRISTOPHE SIMON / AFP Gisele Pelicot, à la cour d’Assises à Avignon, le 17 septembre.

JUSTICE - « Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte. » Ces mots, prononcés par Gisèle Pelicot lors du 12e jour d’audience du procès dit des « viols de Mazan », ont résonné chez de nombreuses femmes victimes de violences sexuelles. « Depuis que je suis arrivée dans cette salle d’audience, je me sens humiliée », a-t-elle lâché en direction des 51 hommes accusés et, surtout, de leurs avocats.

L’affaire de Mazan a changé le regard de ces femmes sur les hommes : « Je doute de mes proches »

Ce 18 septembre, la cour criminelle du Vaucluse vient alors d’assister à la diffusion de photos de la plaignante, nue et les yeux ouverts, dans des positions lascives, avec des gros plans sur son entrejambe. Gisèle Pelicot affirme qu’elles ont été prises à son insu et s’agace aussitôt des questions des avocats de la défense : « On cherche à me piéger avec ces photos, on veut montrer que j’ai appâté ces individus chez moi et que j’étais consentante. »

L’une des questions la met hors d’elle : « Vous n’auriez pas des penchants exhibitionnistes que vous n’assumeriez pas ? », demande l’un des avocats de la défense. « Je ne vais même pas répondre à cette question, je la trouve très insultante, rétorque Gisèle Pelicot. Je comprends que les victimes de viol ne portent pas plainte, parce qu’on passe vraiment par un déballage humiliant. »

« La parole des femmes encore décrédibilisée »

Les critiques de cette séquence, éprouvante pour la partie civile, portent à la fois sur la violence de son contenu et sur sa forme. Sur les réseaux sociaux, de nombreux observateurs du procès crient à un retournement de la culpabilité ou de l’accusation, à l’encontre de la plaignante. Ils dénoncent la « mauvaise foi » et l’ancrage de la « culture du viol » chez les avocats de la défense.

« L’éternel problème, c’est la mise en cause de la victime présumée, confirme Migueline Rosset, avocate spécialisée qui accompagne des victimes de violences conjugales. La parole des femmes est encore trop souvent décrédibilisée et questionnée. »

Pour elle, si cette « violence des avocats de la défense n’est pas normale, elle est malheureusement habituelle ». Elle évoque le nombre incalculable de cas où certaines de ses clientes sont allées au commissariat pour des violences sexistes et sexuelles (VSS) et que les policiers n’ont pas voulu prendre leur plainte. Et estime que certaines questions posées aux femmes plaignantes ne sont pas formulées de la même manière aux hommes.

« Pendant des années, les plaignantes pour viol se sont vues demander comment elles étaient habillées et si elles avaient bu de l’alcool, rappelle l’avocate. Si un mec porte plainte parce qu’il s’est fait tabasser dans la rue, on ne lui posera pas ces questions-là. Même si ça évolue, tout cela existe encore. »

« S’assurer que les débats restent dignes »

Si elle reconnaît que « la parole des femmes a longtemps été un objet social intrinsèquement suspect », l’avocate Anne Bouillon, pénaliste et autrice de Affaires de femmes (éditions L’iconoclaste, à paraître le 3 octobre), estime qu’il est néanmoins « normal et cohérent » d’interroger partie civile et accusés sur leurs pratiques sexuelles, dans le cadre d’un procès pour violences sexuelles.

Pour elle, ce n’est pas tant le fait de poser des questions qui pose problème, car « toutes les questions doivent être posées », mais de savoir dans quel but et sous quelle forme. « Il y a la question qui est posée parce qu’on a besoin d’une réponse et il y a la question posée parce qu’elle véhicule en elle-même un message. Et ça, c’est de l’ordre de la stratégie », souligne-t-elle. Comme on l’a vu lors de la journée du 18 septembre à Avignon, le ton des avocats de la défense peut devenir offensif.

Sur X (ex-Twitter), l’avocat Maître Eolas estime que la violence des débats dans ce type de procès hors norme est « inévitable comme la pluie en automne ». « Il peut arriver, dans la chaleur des débats, la tension qui peut y régner (vous ai-je dit qu’un procès pénal était un moment violent ?) qu’un défenseur aille trop loin, ait un mot malheureux, une colère injustifiée, se trompe ou même soit un peu de mauvaise foi », admet-il. Il ajoute : « S’en émouvoir revient à pester contre les nuages qui vous trempent. »

Anne Bouillon reconnaît que les procès sont « des moments difficiles ». « On n’est pas autour d’une tasse de thé, pour philosopher ou échanger poliment sur les dernières nouvelles du jour. Il y a des enjeux qui sont considérables, parfois même vitaux », concède-t-elle. Mais elle considère que l’on peut défendre son client sans pour autant agresser l’adversaire. « Il faut s’assurer que les débats restent dignes », résume-t-elle.

« Un procès, ce n’est pas forcément une arène »

Elle s’est même rendu compte, avec l’expérience, qu’avoir une démarche d’écoute, « débarrassée des oripeaux des postures », permettait en réalité « une parole beaucoup plus authentique et d’aller plus loin dans les débats ».

Alors, pour la défense comme pour les parties civiles, avoir recours à des attaques est-il un passage obligé ? « Un procès, ce n’est pas forcément une arène, estime Anne Bouillon. Si le but c’est d’essayer de comprendre au plus juste ce qui s’est passé, cela ne nécessite ni agressivité, ni brutalité. Cela nécessite intelligence, perspicacité et peut-être un peu de diplomatie. »

Elle estime que lors des procès au pénal, cette posture agressive est souvent perçue comme « obligatoire pour être légitime ». Leur image publique est également un enjeu pour certains avocats. « Pour les pénalistes, les Assises, c’est une carte de visite, surtout quand c’est médiatisé, relève Migueline Rosset. Ils se montrent, ils parlent aux médias, on note leur nom. C’est comme cela qu’ils se font leur clientèle. »

Pour ces avocates, la défense pourrait adopter une stratégie différente. « On peut tout plaider, mais avec délicatesse, estime Migueline Rosset. C’est dans notre serment d’avocat. »

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