Prise illégale d'intérêts: la conseillère "Justice" de Macron entendue dans l'enquête visant Eric Dupond-Moretti

Eric Dupond-Moretti et Emmanuel Macron lors d'un déplacement à Marseille le 1er septembre 2021. - Ludovic Marin
Eric Dupond-Moretti et Emmanuel Macron lors d'un déplacement à Marseille le 1er septembre 2021. - Ludovic Marin

Qui était au courant de l'ouverture d'une enquête à l'encontre de certains magistrats du parquet national financier (PNF)? C'est en substance ce que cherche à savoir la Cour de justice de la République qui enquête sur une éventuelle prise illégale d'intérêts du ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti.

Mardi, les magistrats de la CJR, seule juridiction à pouvoir juger des ministres en fonction, ont entendu très longuement Hélène Davo, la conseillère "Justice" du président de la République. Selon nos informations, la CJR cherche à savoir si Eric Dupond-Moretti et Emmanuel Macron ont discuté de l'opportunité de lancer une enquête contre les magistrats du PNF.

Une affaire à tiroirs

Cette enquête n'est qu'une partie de cette affaire à tiroirs qui implique le garde des Sceaux. Il faut revenir en juin 2014 pour évoquer son commencement. A cette époque-là, le PNF enquête sur une éventuelle taupe ayant informé Nicolas Sarkozy et son avocat Thierry Herzog qu'ils ont été mis sur écoute dans le cadre d'une autre affaire judiciaire, celle dite "des écoutes".

Les magistrats avaient épluché les fadettes, les relevés téléphoniques, de plusieurs avocats parisiens susceptibles d'être à l'origine des fuites, dont Eric Dupond-Moretti, qui portait toujours la robe. Ce dernier avait d'ailleurs déposé une plainte, qu'il a retirée depuis. Quand l'information est révélée, l'avocate de Nicolas Sarkozy, Me Jacqueline Laffont réclame à la ministre de la Justice de l'époque, Nicole Belloubet, de dilligenter auprès de l'Inspection générale de la justice une enquête sur ces magistrats. C'est chose faite en juillet 2020.

Le remaniement passe par là et Nicole Belloubet cède son bureau de ministre à Eric Dupond-Moretti qui va être destinataire, le 15 septembre 2020, du rapport de l'IGJ. Ce rapport indique que "les nécessités d’enquête ayant justifié ces investigations sont précisées par des PV clairs et factuels". L'inspection note également que "la rédaction des PV de réception et d’exploitation des données collectées atteste du souci des enquêteurs de ne pas exposer excessivement la vie privée ou le secret professionnel des titulaires des lignes exploitées".

L'Elysée et Matignon questionnés

Eric Dupond-Moretti n'en reste toutefois pas là. Le 18 septembre 2020, le ministre ordonne une enquête administrative à l'encontre de trois magistrats du PNF, Patrice Amar, Lovisa-Ulrika Delaunay-Weiss et Eliane Houlette. Le ministère, sur la base du rapport de l'IGJ, estime que "les faits relevés seraient susceptibles d'être regardés comme des manquements au devoir de diligence, de rigueur professionnelle et de loyauté."

Cette nouvelle procédure a mis le feu au poudre, attisant la colère des syndicats de magistrats, déjà vent debout contre leur ministre. Des plaintes ont été déposées, une par l'association Anticor, trois par les syndicats l'USM, le Syndicat de la magistrature et Unité magistrats SNM-FO. Tous estiment que dans cette affaire le garde des Sceaux est juge et partie. Eric Dupond-Moretti, mis en examen en juillet dernier, s'est toujours défendu d'un éventuel conflit d'intérêts.

"Pour qu'il y ait conflit d'intérêts, il faut être juge et partie. Partie, je l'ai été et je ne le suis plus. (...) Juge, je ne l'ai pas été davantage et je ne le serai pas", a-t-il expliqué dans une vidéo postée sur Facebook au moment de cette mise en examen. Il a toujours expliqué avoir suivi les recommandations de ses services concernant l'ouverture de cette enquête administrative.

Dans le cadre de l'enquête menée par la CJR, une vingtaine de gendarmes a perquisitionné les bureaux du ministre le 1er juiller dernier. Un mois plus tôt, le 7 juin, c'est le Premier ministre qui avait été entendu par les juges dans le cadre de cette procédure. C'est d'ailleurs Jean Castex, en vertu d'un décret qui est désormais destinataire des dossiers du ministère de la Justice en lien avec les anciennes activités d'Eric Dupond-Moretti, dont le rapport attendu de l'enquête administrative contre les trois magistrats du PNF.

D’autres auditions récentes ont eu lieu visant également Matignon. Le conseiller "Justice" de Jean Castex, Stéphane Hardouin, a ainsi également été entendu par cette même CJR. Les juges de la juridiction cherchent donc à comprendre dans quel cadre cette procédure a été lancée et qui était au courant.

Article original publié sur BFMTV.com