Une prise en charge de Dominique Pelicot "retardée"? Comment sont soignés les détenus en France
L'avocate de Dominique Pelicot a dénoncé une prise en charge "lamentable" de son client, atteint d'une infection rénale depuis plusieurs jours et absent de son procès jusqu'à au moins mardi. Une situation qui met en lumière les carences de la médecine pénitentiaire, "sinistrée".
Dominique Pelicot aurait-il pu être en état de comparaître à l'ouverture de cette nouvelle journée de procès, ce lundi 16 septembre, s'il avait été pris en charge médicalement plus tôt? C'est ce que veut croire son avocate Me Béatrice Zavarro qui a déploré "une prise en charge lamentable" de son client, qui "se plaint de douleurs" depuis le 6 septembre.
À la reprise de l'audience, le président de la cour criminelle du Vaucluse n'a eu d'autre choix que de suspendre à nouveau, jusqu'à mardi au moins, le temps qu'un collège d'experts ne se prononce sur l'aptitude du septuagénaire à comparaître.
"Nous avons perdu une semaine", déplore Me Stéphane Babonneau, qui défend avec Me Antoine Camus, Gisèle Pelicot.
Lundi soir, une expertise, menée par deux médecins a établi qu'il n'y a plus de contre-indications à sa comparution.
Unité sanitaire dans la prison
Pour les avocats des deux camps, les responsabilités de cette situation jugée "anormale" seront à établir. Depuis 1994, la prise en charge des personnes détenues est sous la responsabilité du ministère de la Santé. "C'est le personnel de l'hôpital public qui vient dans la prison", résume Wilfried Fonck, secrétaire national UFAP Unsa justice. Quand un détenu se sent mal, il peut remplir un bulletin qu'il glissera dans la boîte aux lettres de l'unité de consultations de soins ambulatoires, l'unité sanitaire en milieu pénitentiaire. Un rendez-vous lui sera alors donné pour une consultation avec un médecin généraliste.
"S'il y a une urgence, le détenu peut en parler avec le surveillant responsable qui peut voir avec l'unité sanitaire s'il peut être reçu par un médecin, sans rendez-vous", détaille Wilfried Fonck.
Sur le papier, le détenu va alors être reçu par un personnel infirmier ou un médecin généraliste. Dans certaines maisons d'arrêt, des spécialistes sont présents. Le corps médical peut ensuite décider, si cela est nécessaire, que le détenu malade soit extrait de sa cellule et conduit à l'hôpital. L'extraction devra alors être réalisée par le personnel pénitentiaire. Là où la santé prime pour les médecins, c'est la sécurité qui est prioritaire pour l'administration pénitentiaire. "Nous ne sommes pas médecins, nous nous plions à l'avis médical", assure le représentant syndical.
Reflet d'une réalité
Dominique Pelicot s'est plaint, pour la première fois, le 6 septembre et avait appelé "à l'aide le personnel pénitentiaire". N'ayant pas de téléphone dans sa cellule, il n'avait pu prévenir son avocate, selon ses termes. Le lundi, un rendez-vous lui était proposé à l'unité sanitaire mais pas avant trois jours. Le mardi suivant, il a été hospitalisé moins d'une heure. Un certificat médical relevait que le septuagénaire était en capacité de comparaître.
Le lendemain, il revoyait un médecin de la prison du Pontet, lui prescrivant un médicament qu'il "n'était pas en stock", selon son avocate. "Le jeudi, le vendredi, le samedi, il est resté au fond de sa cellule", déplore Me Béatrice Zavarro, qui avait alors alerté le président de la cour criminelle. Ce n'est que le dimanche 15 septembre qu'un bilan sanguin et un scanner ont été réalisés, révélant une infection urinaire, un caillot de sang dans la vessie et un problème à la prostate.
"Il est vrai que l’état de la médecine pénitentiaire est sinistrée, consent Me Babonneau. Dans le cas présent, si jamais, nous étions dans une situation où l’état de santé de Dominique Pelicot s’est dégradé parce que pas pris suffisamment tôt en charge, alors ce serait uniquement le reflet d’une réalité que tous les avocats vivent au quotidien."
"On se demande s’il a le suivi qui s’impose pour un homme de 71 ans", poursuit le pénaliste, qui regrette la situation pour sa cliente et pour la bonne tenue du procès.
Surpopulation carcérale et manque de personnel
L'Observatoire international des prisons a, dans une étude publiée en 2022, fait le constat d'une difficulté d'accès aux soins médicaux pour les détenus. Difficiles accès aux soins, manque de matériel ou extraction annulée, les prisonniers français sont très souvent privés de soins spécialisés. À cela s'ajoute deux autres difficultés RH: à savoir le manque de personne hospitaliser et le manque de surveillant. "Il y a un tel manque de personnel que de nombreuses extractions sont annulées", constate Odile Macchi, responsable du pôle enquête à l'Observatoire international des prisons (OIP).
Population carcérale vieillissante, détenus issus de milieu précaire, avec davantage de problèmes de santé, à ce manque de personnel s'ajoute aussi le problème de la surpopulation carcérale. A la maison d'arrêt du Pontet où est incarcéré Dominique Pelicot, le taux d'occupation est de 151,3%, il y a 596 détenus pour 394 places. Et autant de rendez-vous en moins à l'unité sanitaire. "Malgré le travail immense du personnel soignant, c'est impossible de traiter toutes les pathologies, déplore Odile Macchi.
Et très souvent, les missions pénitentiaires se retrouvent face aux missions médicales. "Et l'administration pénitentiaire privilégie toujours la logique sécuritaire quand il y a un choix à faire sur la répartition des personnels", poursuit la membre de l'OIP. En clair, selon elle, ce sont les escortes pour les extractions qui pâtissent. "Je ne sais pas si c’est l’administration pénitentiaire ou le corps médical, mais on est au milieu d’un débat. Quand le corps médical décide quelque chose, l’administration pénitentiaire peut dire l’inverse. Ce sont tous les détenus de France qui sont pris en otage", conclut Me Béatrice Zavarro.