"La pression me pesait": Hajime Isayama évoque les dessous de "L'Attaque des Titans"

Au festival de la BD d'Angoulême, pour assister à la masterclass de Hajime Isayama, le créateur de L'Attaque des titans, il fallait beaucoup de patience. Devant le Théâtre d'Angoulême, où se déroulait la rencontre samedi dernier, des fans agitaient des pancartes pour obtenir des invitations.

"On avait peur de ne pas avoir de places, on a 'refresh' le site pour s'inscrire, pendant 40 minutes", confient Ophélie et Estelle, deux fans.

Beaucoup n'ont pas eu cette chance. Complète en quelques heures, cette masterclass était l'une des rares prises de parole publique du mangaka, qui a confié son désir de quitter le manga pour ouvrir un sauna. Cette rencontre animée par Fausto Fasulo, co-directeur artistique du festival de la BD d'Angoulême, était l'un des temps forts de la cinquantième édition du festival avec l'exposition consacrée à L'Attaque des titans et la séance de dédicaces de Hajime Isayama, elles aussi complètes et soumises à un système de jauge.

Des mesures prises par le festival pour éviter des débordements. Seulement 15.000 fans de Shingeki no Kyojin (SnK) ont pu visiter l'exposition. "Nous ne voulions pas une file d'attente de deux à trois heures", précise Franck Bondoux, directeur général du festival. "C'est indécent pour le public. Ce ne sont pas les bonnes conditions pour visiter l'exposition. Et pour l'auteur, c'est un manque de respect."

Le respect était omniprésent samedi matin lors de la masterclass de Hajime Isayama. Dans un silence presque religieux, les amateurs de SnK ont bu les paroles de l'auteur japonais et ont respecté à la lettre la consigne de Fausto Fasulo: aucune photo et aucune vidéo. "Gardez des souvenirs", a-t-il demandé à l'assistance.

Pénétrer dans l'intimité artistique

Précisant que la rencontre avait été préparée en amont avec Hajime Isayama, le journaliste a ajouté qu'elle n'aborderait pas "des points de détail de la série", mais plutôt "la méthode de travail" du mangaka: "comment il a créé cet univers, quel a été son quotidien de mangaka, [pour nous] faire pénétrer dans cette intimité artistique qu'on connaît peu, [car] les mangakas travaillent de manière discrète, voire secrète."

La première question aborde justement cette solitude des mangakas. A-t-il ressenti le même isolement que ses personnages en travaillant sur son manga? "L'univers de L'Attaque des titans ressemble beaucoup à mon univers", répond-t-il. "Au cours de la série, mon rôle a évolué, comme les personnages. Je me suis souvent identifié aux personnages de L'Attaque des titans. Par exemple, à la fin, Eren doit assumer les pouvoirs du Titan. C'était un peu comme moi. J'ai dû assumer l'importance de mon œuvre."

Concernant le succès international de cette œuvre, Hajime Isayama se montre plus évasif: "On me pose souvent cette question", lance-t-il, avant de poursuivre: "Ce que je raconte peut arriver à n'importe quelle époque et à n'importe quel pays. C'est pour ça que l'on peut s'identifier aux personnages de cet univers. C'est pour ça que cette œuvre a été aussi bien accueillie partout."

Isayama a mesuré l'étendue de ce succès lors de la diffusion de l'anime en 2013. Mais pour lui, ce succès a été le synonyme de grandes souffrances, liées aux pressions des fans. "C'était assez dur, surtout à la fin", révèle-t-il. "La pression me pesait. Je ne me sentais plus capable de porter un tel poids tout seul. Vers la fin, je sentais le besoin de solliciter l'aide des autres, mais j'ai fini par me dire que c'était à moi d'assumer."

Sentiment de désespoir

Réticent à l'idée d'évoquer les films et les mangas qu'il dévore depuis la fin de L'Attaque des titans ("J'ai vu récemment Smile dans l'avion. Ce n'était pas intéressant."), Hajime Isayama s'est montré plus généreux sur ses influences. Le mangaka est revenu en détail sur le travail de Kiyoshi Yamashita (1922-1971) dont le tableau Kaiju a inspiré "Le Grand Terrassement", un des moments marquants de SnK.

"A la maison, il y avait un artbook de ce peintre. Je me souviens que j'avais très peur à chaque fois que je regardais ces peintures. Il a toujours peint sur la peur de la guerre. Je n'ai pas pensé à son travail pendant que je faisais SnK, mais une fois le dernier chapitre terminé, je me suis rendu compte que 'Le Grand Terrassement' venait de cette peinture. On y retrouve le même sentiment de désespoir."

Parmi ses autres inspirations, Hajime Isayama évoque Game of Thrones. L'ironie de la série de fantasy l'a inspiré pour ses dialogues. Le mangaka cite aussi la mini-série Watchmen (d'après le comic book d'Alan Moore et Dave Gibbons) et le film District 9 (2009) de Neill Blomkamp, qui met en scène une cohabitation entre humains et extraterrestres dans un ghetto d'Afrique du Sud.

"Acculé" par le travail

Sans donner de clefs de lecture de son œuvre, Hajime Isayama explique à plusieurs reprises à demi-mots sa difficulté à concevoir SnK. Pendant les douze années de création du manga, il n'a pas osé confier ses doutes à ses assistants. "Je parlais très peu de L'Attaque des titans et de son contenu avec mes assistants", révèle-t-il. "J'étais trop intimidé pour en parler. On parlait plutôt de choses un peu bêtes, de films, etc."

Hajime Isayama était entouré de douze voire quinze assistants pour L'Attaque des titans. Ils travaillaient en alternance, quelques jours par mois, si bien qu'Isayama avait au maximum jusqu'à quatre assistants par session de travail - lorsqu'il se retrouvait "acculé" par le travail. "C'était alors un peu comme une guerre entre mes assistants et moi-même", s'amuse le mangaka.

Il a aussi dû les former à son style: "Je ne savais pas comment expliquer à mes assistants. C'était imprévisible. On tâtonnait, on cherchait, on parlait de choses, on se disait que le design de Demon Slayer était chouette. On parlait de ce genre de choses." Une vidéo projetée confirme l'ambiance studieuse. Une autre les montre aussi en train de jouer à Tétris. "Ce n'était pas toujours facile de se dégager du temps pour le faire."

"Améliorer mon dessin"

Isayama révèle avoir eu des relations assez musclées avec son responsable éditorial, notamment à propos des storyboards. "Au début, je me révoltais assez souvent. Mais lorsque je relisais, je me disais qu'il avait raison. Ces discussions étaient un peu compliquées, mais au fur et à mesure, c'est devenu de mieux en mieux."

Hajime Isayama a défendu son style, souvent jugé bâclé, voire amateur. "Mon responsable éditorial m'a dit à plusieurs reprises que je devais améliorer mon dessin. Il m'a dit des choses un peu dures. Je savais que c'était très difficile de m'améliorer. Je défendais mon travail en disant que mon style 'rough' était charmant."

Au fil de l'avancée de son œuvre, ses carences techniques l'ont cependant complexé. Rapidement, il a pris conscience qu'il devait s'améliorer. Ryōji Minagawa, l'auteur d'ARMS, lui a alors offert de précieux conseils, comme "mieux travailler les onomatopées". "Ça m'a beaucoup servi", estime-t-il à présent. "J'ai beaucoup amélioré mes dessins." Une déclaration chaleureusement applaudie par l'assemblée.

Ce trait particulier a été salué par les fans qui ont eu la chance de visiter l'exposition: "Je suis resté 1h15 pour bien tout regarder", s'enthousiasme Yan, un fan venu de Concarneau. "On est captivé par les planches. On se rend compte du niveau de détails de précision des planches et de l'évolution de son style. Le niveau de détail est impressionnant. On ne s'en rend pas compte sur la version papier!"

"Beaucoup de regrets"

Le mangaka reste gêné par certaines séquences de son manga et souhaiterait les modifier. "Je me pose souvent cette question", assure-t-il. Isayama aimerait notamment changer une réplique d'Armin pour "améliorer la compréhension" d'un chapitre. Et il aimerait que la transformation d'Eren en titan, au début du manga, se fasse de manière moins brusque. "J'ai beaucoup de regrets de ce type."

Isayama l'assume, son scénario a souvent été modifié. "Les grandes lignes de l'histoire étaient respectées, mais il y a eu un peu d'improvisation. C'est comme ça que l'histoire est devenue plus longue que prévu." Souvent lassé par SnK, il a eu envie à plusieurs reprises d'arrêter pour dessiner autre chose. La transition opérée dans le tome 21, avec l'arrivée des Mahr, lui a permis de renaître artistiquement: "J'ai ressenti un énorme plaisir, que je n'avais pas ressenti auparavant. C'était une autre œuvre."

A présent que L'Attaque des titans est terminé, Hajime Isayama n'a pas de nouveau manga de prévu. Il envisage de reprendre ses pinceaux: "Ce n'est pas encore annoncé. Mais il est question que je fasse quelque chose de 8 ou 16 pages. Je ne vous assure pas de réussir, mais grâce à vos applaudissements, je vais faire mon maximum", a-t-il conclu.

La rencontre a séduit les fans. "J'ai adoré voir Isayama à nos côtés pour raconter ce qu'il faisait dans le détail", réagit Kevin, un fan. "Très content d'apprendre qu'il va se remettre à dessiner pour nous." "J'aurais aimé que l'univers du manga soit davantage creusé, mais dans l'ensemble je suis contente, c'était très intéressant", renchérit une autre fan, Gaïa. "C'était un moment assez unique."

Article original publié sur BFMTV.com