Jean-Marie Bigard à l'Élysée : les électeurs peuvent-ils être séduits ?

Jean-Marie Bigard laisse entendre, depuis quelques temps, qu'il pourrait se lancer dans la course à l'Élysée. L'humoriste aurait-il une chance ?
Jean-Marie Bigard laisse entendre, depuis quelques temps, qu'il pourrait se lancer dans la course à l'Élysée. L'humoriste aurait-il une chance ?

Jean-Marie Bigard laisse planer le doute quant à une candidature à la prochaine présidentielle. Il ne serait pas le premier humoriste à se lancer en politique. Ce mélange des genres peut-il fonctionner ?

Humour et politique font-ils bon ménage ? C’est, en tout cas, ce que semble penser Jean-Marie Bigard. Et c’est sans doute aussi ce qu’a supposé Emmanuel Macron. Car, au cours du mois de mai, le président de la République s’est entretenu au téléphone avec l’humoriste de 66 ans. Le sujet de cet appel, rendu possible par l’aide de Patrick Sébastien selon Le Monde, était la réouverture progressive des bars en sortie de confinement.

Du coup de gueule au coup de fil

Tout aurait commencé par un coup de gueule de Jean-Marie Bigard sur son compte Instagram. Ulcéré de constater que la sortie du confinement ne rimait pas avec la réouverture des débits de boisson, l’humoriste a publié un long message sur son compte Instagram : “J'en ai marre d'accepter d'être enfermé comme un lion en cage et voir que lundi TOUT va ré-ouvrir SAUF les lieux de convivialité ? On va laisser crever nos bars, nos restos, nos bistrots ?? C'est ça ??? Pourquoi le gouvernement relance les courses du PMU mais nous interdit de boire un canon en terrasse ? J'en ai marre de voir des guignols nous diriger ! Y en a marre [sic] de voir ce gouvernement céder à des pressions, plutôt que de nous laisser boire des "pressions" !!! Partagez en masse, pour que le président m'appelle et qu'on règle ça, entre hommes, autour d'un Ricard !".

L’histoire ne dit pas si les deux hommes avaient un verre de Ricard devant eux. Mais Jean-Marie Bigard a raconté, au micro de Sud Radio le 19 mai, sa discussion téléphonique avec Emmanuel Macron, qui lui aurait, selon son propre récit, donné raison sur le sujet.

Ça pourrait m’intéresser

De quoi faire naître - ou plutôt renforcer - une vocation ? Déjà, pour les municipales de 2020, le sexagénaire s’est présenté en numéro deux sur la liste de Marcel Campion dans le VIe arrondissement de Paris. Les résultats n’ont pas été au rendez-vous mais cela ne freine visiblement pas l’humoriste.

Interrogé sur BFMTV, le 27 mai dernier, au sujet d’une éventuelle course à l’Élysée, Jean-Marie Bigard a répondu que “ça pourrait [l]’intéresser”. Invité sur RMC ce 11 juin, il a à nouveau évoqué cette envie, galvanisé par une enquête Ifop pour Valeurs Actuelles selon laquelle 13% des interrogés se déclarent prêts à voter pour lui. “Je m’aperçois qu’il y a tellement de guignols qui parlent de moi, qui tout d’un coup auraient éventuellement peur d’un électron libre comme moi, qu’ils se démasquent tout seuls. Plus ça vient et plus je me dis qu’il y a tellement une belle bande de tocards en face de moi que je crois que je peux encore avancer un petit peu dans la mêlée”, a-t-il confié à l’antenne.

Un chiffre à relativiser pour Bruno Cautrès, chercheur au Cevipof et enseignant à Sciences Po. “Ce genre de profil dispose toujours d’un crédit de sympathie qui a peu à voir avec l’intention de vote à l’élection présidentielle”, nous explique-t-il. Sans oublier que le sondage ne mettait pas Jean-Marie Bigard en concurrence avec d’autres candidats, “donc ça ne veut absolument rien dire”, résume le politologue.

Un scénario redouté...

Le scénario ferait pourtant frémir l’Élysée. Selon un “puissant conseiller de l’exécutif”, Emmanuel Macron craindrait une candidature populaire hors parti, décrit Le Monde. Dès février, on redoutait déjà un “phénomène à la Coluche”, sans qu’aucun candidat précis ne se dessine encore.

Il est vrai que, comme le montre le Baromètre de la confiance politique, le phénomène du rejet du personnel politique ne fait que grandir en France. “Tout le monde est bien conscient de l’extrême fragilité du jeu politique, l’électorat semble très désappointé, donc une candidature qui viendrait de l’extérieur inquiète”, décrit le spécialiste. D’autant que l’élection de 2017 avait déjà “presque pris la forme d’une dernière chance pour les candidats issus du monde politique”, rappelle-t-il. Emmanuel Macron se présentait alors comme le profil nouveau qui allait mettre fin à la crise de confiance.

Alors, forcément, un candidat hors système comme Jean-Marie Bigard peut séduire. Il renvoie “une image inversée du politicien professionnel, qui parle en langage codé, technique, qui sait manipuler les chiffres”, décrit le chercheur. “D’un seul coup, on a un autre visage, avec un message au fond très populiste à savoir : ‘il faut virer tous ces incompétents’”.

... Pourtant pas si crédible ?

Certes, “le contexte actuel offre une opportunité aux personnages hors du système de faire parler d’eux. Mais ça ne veut pas dire avoir des votes à la présidentielle”, nuance le chercheur.

D’après lui, la véritable crainte d’Emmanuel Macron pour 2022 se situera plutôt dans “une candidature de centre-droit”.

Car il ne faut pas oublier que la crise sanitaire sans précédent qu’a connu le pays - et qui risque de donner lieu à une crise économique tout aussi grave - va influencer les préoccupations des Français. “Certes, ils n’aiment pas les hommes et femmes politiques, mais ils savent que les questions budgétaires et fiscales sur l’après-crise vont prendre une grande ampleur”, décrit Bruno Cautrès. Les Français auront donc “à cœur de promouvoir une personnalité politique qui a un discours crédible sur ces questions-là”, estime-t-il.

Coluche en 1981

S’il décide tout de même de poursuivre sur cette voie, Jean-Marie Bigard ne serait pas le premier humoriste à se lancer en politique. En octobre 1980, Coluche annonçait sa candidature pour la présidentielle de 1981. À l’époque, il venait de se faire renvoyer d’Europe 1 puis de RMC, comme le rappelle Le Monde. En s’adressant aux électeurs de gauche et aux abstentionnistes, il avait réussi à se voir créditer de 16% des intentions de vote en quelques mois.

Mais, en avril 1981, l’humoriste a finalement décidé de se retirer. Dans une lettre, dévoilée il y a peu dans Le Monde, l’homme à la salopette expliquait les raisons de cette décision. Parmi elles, le fait que les partis politiques fassent pression sur les maires pour qu’ils ne le parrainent pas, et que les journalistes ne lui laissent pas la parole. Par ailleurs, le documentaire “Coluche : un clown ennemi d’état” dévoilait que le gouvernement avait demandé aux renseignements généraux de tout faire pour que l’humoriste renonce à se présenter, jusqu’à le menacer de mort.

Pour Bruno Cautrès, difficile de comparer la candidature de Coluche et la position actuelle de Jean-Marie Bigard, la situation politique étant bien différente. “À l’époque, la crise idéologique n’était pas aussi forte qu’aujourd’hui et il y avait de fortes espérances à gauche”, nous rappelle-t-il.

Mais surtout, les deux hommes sont très différents. Coluche était indissociable “de la génération 68” et il avait “une intensité politique bien supérieure à celle de Jean-Marie Bigard. La preuve, c’est qu’il a en partie mis en oeuvre ses idées à travers les Restos du cœur”, poursuit le politologue.

En Ukraine, la fiction devient réalité

Ailleurs en Europe, d’autres humoristes ont réussi à s’emparer du pouvoir. C’est notamment le cas en Ukraine, où Volodymyr Zelensky a été élu président en avril 2019 avec plus de 73,2% des voix, dans un second tour qui l’opposait au président sortant Petro Porochenko. L’acteur et humoriste de 41 ans était jusque-là connu pour son rôle dans la série “Serviteur du peuple”. Il y incarnait un professeur d’histoire qui se retrouve, un peu contre sa volonté, président. Une fiction qui l’a inspiré au point de nommer son parti “Serviteur du peuple”, rappelle BFMTV.

Affirmant très tôt “je suis clown et j’en suis fier”, Volodymyr Zelensky a mené une campagne des plus étonnantes, remplaçant les meetings par du stand up et préférant des vidéos sur les réseaux sociaux aux médias traditionnels. Selon Le Parisien, le comédien a profité d’une vague de “dégagisme”, dans un pays miné par la corruption et les problèmes économiques, au cœur d’un conflit avec la Russie.

L’effet Beppe Grillo

Quelques années plus tôt, c’est l’Italien Beppe Grillo qui avait réussi à conquérir le pouvoir. En 2009, cet humoriste a fondé le mouvement 5 étoiles (M5S), dont il est devenu le dirigeant. S’il ne s’est lui-même présenté à aucun scrutin, afin de respecter la charte du mouvement selon laquelle une personne condamnée ne pouvait prétendre à une élection, il a grandement contribué à la popularité de M5S.

Aux élections générales de 2013 et 2018, le mouvement a raflé de nombreux sièges au Parlement. Beppe Grillo, qui se définissait lui-même comme un “marginal” auprès du JDD partageait des idées très hétéroclites. À la fois protectionniste et populiste, saluant l’élection de Donald Trump et le Brexit, il défendait aussi le revenu universel et la création d’un corridor humanitaire pour accueillir les réfugiés. Il a fini par quitter la direction du mouvement en 2017 et s’est totalement retiré l’année suivante, après avoir laissé son emprunte dans la politique italienne.

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