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Premiers raids de la coalition contre l'EI en Syrie

Premiers raids de la coalition contre l'EI en Syrie

par Phil Stewart et Tom Perry WASHINGTON/BEYROUTH (Reuters) - Les Etats-Unis, appuyés par cinq pays arabes, ont mené dans la nuit de lundi à mardi leurs premières frappes contre des positions de l'Etat islamique (EI) en Syrie, ouvrant un nouveau front contre les djihadistes sunnites également présents en Irak. Une cinquantaine de cibles de l'EI ont été frappées dans les provinces de Rakka, le principal bastion du groupe islamiste en Syrie, de Daïr az Zour et de Hasakah, dans l'est du pays, tuant au moins 70 djihadistes, a indiqué l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH), une ONG basée à Londres. Le groupe Khorasan, une unité d'Al Qaïda proche du Front al Nosra, a également été pris pour cible dans les provinces d'Alep et d'Idlib (ouest), cette fois par les seules forces américaines. Le bilan serait d'au moins 50 combattants et huit civils tués. D'après l'OSDH, les combattants tués seraient des ressortissants étrangers pour la plupart. L'administration américaine assure que ce groupe armé organisé autour de figures historiques d'Al Qaïda se préparait depuis des mois à des attentats contre des cibles aux Etats-Unis ou en Europe et que la menace était imminente. D'après un décompte du Pentagone, plus de 160 projectiles, pour l'essentiel des missiles de haute précision, ont été utilisés pour ces frappes qui, selon le commandement des forces américaines, ne font que commencer. Cinq gouvernements arabes sunnites - l'Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats arabes unis, la Jordanie et Bahreïn, tous signataires de la déclaration de Djeddah le 11 septembre contre l'Etat islamique - ont participé ou apporté leur soutien à ces frappes. Barack Obama, s'exprimant mardi en fin de matinée à Washington, a souligné que leur participation apportait la démonstration que les Etats-Unis ne sont pas seuls dans le combat engagé contre l'Etat islamique. "L'Amérique est fière de se tenir côte à côte avec ces nations au nom de notre sécurité commune. La force de cette coalition démontre clairement au monde que ce n'est pas un combat mené par les seuls Etats-Unis", a-t-il dit. Le président américain, attendu à New York où se réunit l'Assemblée générale des Nations unies, a ajouté qu'il continuerait de renforcer la coalition mise sur pied face à la menace que représente le groupe dirigé par Abou Bakr al Baghdadi, l'émir du "califat" autoproclamé sur les territoires syriens et irakiens que l'Etat islamique contrôle. ENGAGEMENT AMÉRICAIN EN SYRIE Les frappes ont été menées à partir de navires croisant en mer Rouge et dans le Golfe, dans le but d'empêcher des "attaques imminentes" contre les intérêts américains et occidentaux, précise le Commandement central des forces américaines (CentCom), qui couvre notamment le Moyen-Orient. Ces opérations marquent le premier engagement de Washington dans le conflit syrien depuis son déclenchement en mars 2011. Le gouvernement de Damas a été prévenu quelques heures avant le début des frappes. Recevant un émissaire du gouvernement irakien, Bachar al Assad a fait savoir par la télévision publique syrienne qu'il était prêt à "poursuivre sa lutte contre le terrorisme" et a apporté son soutien aux initiatives internationales internationale contre l'EI. Depuis l'offensive éclair lancée par les djihadistes sunnites début juin en Irak, Damas voit dans l'émergence de cette menace un moyen de réintégrer le jeu diplomatique dont la répression du mouvement de protestation puis la guerre civile l'ont écarté. Les Etats-Unis excluent toute coordination avec le dirigeant syrien, dont Washington exige toujours le départ. Et l'Armée syrienne libre (ASL), un groupe de l'opposition syrienne que soutiennent les Occidentaux, a salué cet engagement étranger, estimant qu'il était de nature à lui redonner l'avantage contre les forces pro-gouvernementales. "Cela va nous renforcer dans notre combat contre Assad. La campagne doit se poursuivre jusqu'à l'éradication complète de l'Etat islamique", a déclaré un responsable de la Coalition nationale syrienne (CNS), qui représente l'opposition soutenue par les Occidentaux. Certains groupes de l'insurrection syrienne redoutent néanmoins qu'Assad n'en tire profit. "Il est à craindre que le régime exploite le vide militaire créé dans les secteurs que l'Etat islamique contrôlait pour obtenir des avancées militaires", dit un commandant local de l'ASL joint dans l'ouest du pays. "Cela ferait apparaître la coalition comme le sauveur du régime Assad", ajoute-t-il. Cette inquiétude explique notamment pourquoi la France, dont l'aviation a frappé l'Etat islamique dans le nord de l'Irak, a exclu de prendre part à des opérations aériennes en Syrie. "Il n'est pas question que M. Bachar al Assad prenne la place laissée par Daech en Syrie", soulignait lundi le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, quelques heures avant les frappes des forces américaines et de leurs alliés arabes. La France, a-t-il ajouté, refuse de choisir "entre les terroristes et les dictateurs". A Londres, les services du Premier ministre David Cameron ont indiqué mardi matin que les forces britanniques ne participaient pas pour le moment aux opérations contre les islamistes en Syrie, la décision finale du Royaume-Uni n'ayant pas encore été prise. INQUIÉTUDE DES KURDES, LE HCR CRAINT UN EXODE Les frappes ont débuté quelques heures avant l'arrivée de Barack Obama à New York pour l'Assemblée générale de l'Onu. Il doit présider mercredi une séance du Conseil de sécurité consacrée au problème des candidats au djihad. Elle devrait donner lieu à l'adoption d'une résolution invitant les Etats membres de l'Onu à "prévenir et à empêcher" leurs déplacements. Sa décision d'intervenir militairement en Syrie illustre la gravité de la menace que représente l'Etat islamique aux yeux du gouvernement américain, qui s'était jusqu'ici gardé de toute implication directe. Il y a un an, Obama avait renoncé in extremis à ordonner des frappes aériennes contre des objectifs du régime Assad accusé d'avoir bombardé sa population à l'arme chimique. L'opération intervient alors que les djihadistes ont pris le contrôle de nombreux villages kurdes dans le nord de la Syrie, près de la Turquie dont près de 140.000 réfugiés ont franchi la frontière la semaine passée. Alors que le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) a dit se préparer à un possible exode de 400.000 habitants, les Kurdes de Syrie, assiégés depuis une semaine près de la ville-frontière de Kobani (Aïn al Arab), ont réclamé des frappes contre les positions qu'occupent les combattants de l'Etat islamique dans le nord du pays. A défaut, ils disent craindre que l'Etat islamique se retire des zones bombardées dans l'est et se redéploient dans les régions à majorité kurde du Nord syrien, accentuant de ce fait la pression militaire qu'il exerce déjà sur les unités de protection populaire (YPG), la branche armée du Parti de l'union démocratique (UPD) kurde. (Avec Phil Stewart, Roberta Rampton et Susan Heavey à Washington, Suleiman al Khalidi à Amman, Dasha Afanasieva à Istanbul, Daniel Bases et Arshad Mohammed à New York; Jean-Philippe Lefief, Eric Faye, Pierre Sérisier et Henri-Pierre André pour le service français, édité par Danielle Rouquié)